Démesure


(a) Apparition. Le mot <démesure> est attesté dans un écrit de 1131, "Le Couronnement de Loïs".


(b) Définition. La démesure est le "manque de mesure", le "manque de modération", l'"excès".


(c) Etymologie, héritage notionnel et inspiration. D'un point de vue morphologique, le mot <démesure> dérive, bien sûr, du mot <mesure> (attesté en 1080 dans "La Chanson de Roland"). Sur le plan sémantique, il est la traduction du grec <hubris> ou <ubris>, désignant le crime le plus condamnable qui soit, pour la rationnalité des Grecs.


(d) Origine. Dans "L'Iliade", le héros Ajax (roi de l'île de Salamine) fait preuve de démesure. A contrario, pour Homère, le personnage positif est Ulysse. Ce dernier pratique le juste calcul et la ruse.


(e) Dans toutes ses tragédies, et en particulier dans "Les Perses" et "Les Sept contre Thèbes", le poète grec Eschyle dénonce la démesure et les sacrilèges comme cause des catastrophes (à Suse ou à Thèbes).


- <<Le cinquième, Mardis, devint chef, honte à sa patrie et au trône antique ;

Contre lui il usa d'un piège et le tua, Artaphrénès le bon, chez lui ;

Il fut aidé par des guerriers, ses amis, pour qui c'était chose utile.

Et moi, le sort me rencontra tel que je le voulais ; et je lançai mes armes maintes fois en campagne, avec maintes armées ;

Mais non, un malheur aussi grand, je n'en affligeai pas à ma cité.

Xerxès, mon fils, est jeune, jeune est son esprit; il ne se rappelle pas mon message.

Bien clairement sachez-le, mes compagnons : nous qui en maîtres ici avons régné,

Ne saurions apparaître, dans ces épreuves, les ouvriers de tant de maux !

LE CHŒUR

Mais quoi ! maître, Darius, jusqu'où déroules-tu ton discours ? quelle en est la fin ?

Comment, après cela, pourrions-nous encore agir au mieux, nous, le peuple des Perses ?

DARIUS

Si vos armes ne faisaient pas campagne contre le pays des Grecs, pas même si l'armée est plus nombreuse chez les Mèdes.

Car la terre même combat avec eux.

LE CHŒUR

Comment dis-tu cela ? de quelle façon combat-elle avec eux ?

DARIUS

Elle tue par la faim le trop-plein des foules excessives.

LE CHOEUR

Mais elle aura bon équipage, l'élite que nous lèverons pour notre équipée.

DARIUS

Mais pas même l'armée restée maintenant au pays grec n'atteindra le retour qui la sauve.

LE CHOEUR

Comment dis-tu ? n'est-elle pas entière, l'armée des Barbares qui passe le passage d'Hellè, partant d'Europe ?

DARIUS

Non, quelques-uns sur tant d'hommes, si l'on peut se fier aux dieux, s'il faut en croire leurs prédictions,

Au vu des choses maintenant accomplies : car elles ne vont pas l'une sans l'autre.

Et s'il en est bien ainsi, la foule qu'il a triée pour en faire une armée,

Il la laisse, mais vides sont les espoirs qui l'ont persuadé.

Ils restent dans la plaine où l'Asôpos coule, arrosant, cher à la terre, engraissant le sol de Béotie.

Et là, pour eux, des maux à leur faîte attendent ferme de les éprouver :

De la démesure c'est la rançon, pour ceux qui nient les dieux dans leurs pensers.

Ceux-là, en terre grecque venus, non, les dieux et leurs idoles, ils n'avaient pas pudeur à les dépouiller, non plus à brûler les temples ;

Et les autels, on n'en voit plus ; et les statues des dieux, déracinées - un gâchis, - retournées en bas des socles.

Aussi après le mal qu'ils ont fait, non moindres sont leurs épreuves, sans parler de celles à venir.

Et même, le malheur n'a pas encore sandale au pied, non, il ne sort pas encore d'enfance.

Si grande sera l'offrande du sang des égorgés sur la terre des Platéens, sous le coup de la lance dorienne !

Et des tas de cadavres, jusqu'aux rejetons de troisième génération,

Sans voix signifieront aux regards des hommes de ne pas crier trop haut,

Mais que, mortels qu'ils sont, il faut qu'ils en gardent les pensées.

Car la démesure en poussant produit l'épi de folie ; de là toute de pleurs, la moisson qu'on récolte.

C'est ainsi : et quand vous voyez ces fautes et leurs châtiments, souvenez-vous d'Athènes et de la Grèce ;

Et que personne n'ait l'âme trop haut dédaigneuse de ce qu'aujourd'hui lui donnent les dieux,

Pour ailleurs porter ses convoitises, et renverser un grand bonheur !

Zeus élague : sur ceux qui font trop de bruit, excessifs en leurs pensées, d'en haut il exerce son droit qui pèse lourd.

Après cela, que Xerxès ait de saines pensées, qu'il se serve - inspirez-le - des bonnes paroles que vous lui poserez dans l'esprit ;

Et qu'il cesse de faire tort aux dieux par une trop bruyante audace.

Toi, vieille mère que Xerxès chérit, va chercher au palais une parure, une toute belle ;

Prends-la, et marche secourable à la rencontre de ton fils.

Ce ne sont en effet, à cause de ses malheurs et de sa souffrance, que lambeaux autour de son corps,

Et leur trame se rompt aux bigarrures de ses vêtements.

Alors, sagement calme-le, parle-lui : tu es la seule, je le sais, qu'il entendra patiemment.

Pour moi, je m'en vais sous la terre, au fond de la ténèbre.

Vous, vieillards, joie à vous ! vous êtes dans les malheurs, c'est vrai,

Mais votre âme, donnez-lui du plaisir chaque jour, car chez les morts la richesse n'est d'aucun secours.

[Le spectre de Darius disparaît]

LE CHŒUR

Oui, que de maux présents et à venir encore !

J'ai souffert à l'entendre ! pour les Barbares que d'épreuves !

LA REINE (Atossa)

Dieux ! ah ! sur moi, qu'il en vient des malheurs ! que je souffre !

Et surtout cette circonstance me mord : le mépris de mon fils pour son corps et pour les vêtements que, je l'apprends, il a sur lui.

Mais j'irai, je prendrai une parure chez moi, je marcherai secourable à la rencontre de mon fils, j'essaierai.

Non, ce que j'aime le plus, dans les malheurs nous ne l'abandonnerons pas.

LE CHŒUR

Oh ! oh ! grandeur parfaite,

Ordre et salut de la cité,

La vie,

Que nous trouvâmes quand le vieil homme,

Plus puissant que tout, sans malfaisance,

L'imbattable souverain,

L'égal des dieux,

Darius,

Commandait l'étendue.

C'était d'abord la belle renommée

De nos armées

Quand elles paraissaient,

Qu'elles réglaient les sièges des tours

Toujours droitement.

On revenait des guerres

Sans avoir connu ni peines ni épreuves ;

De retour au pays prospère,

On n'en amenait pas chez soi.

(Eschyle, "Théâtre", traduction de Louis Bardollet et Bernard Deforge, Les Belles Lettres, Denoël, Paris, 1975, Tome I, "Les Perses", pages 64-68)>>.


(f) Référence d'usage du terme :


- <<L'inertie idéologique qui allie de façon automatique croissance, progrès et bien-être est tenace. L'obstination à se complaire dans la démesure reste l'état d'esprit d'une grande majorité de citoyens et de décideurs qui veulent à tout prix «rester compétitifs», sans avoir véritablement conscience de la finalité ontologique d'un tel objectif. (Yves Cochet, "Colloque Degrowth, l'entrée d'un mouvement dans le champ du savoir", sur Actu-Environnement.com, le 23 avril 2008)>>.


(g) Voir Décroissance. Pensée sacrificielle.






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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Mercredi 25 Juin 2008



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