L'homme du monde


(a) <L'homme du monde le plus ...> est une expression toute faite, très usitée par les contemporains de Louis XIII et de Louis XIV.


(b) Cette expression est particulièrement prisée par Jean-François Paul de Gondi, jeune coadjuteur de l'archevêque de Paris, frondeur puis cardinal.


- <<M. d'Elbeuf, qui était grand saltimbanque de son naturel, commença la comédie par la tendresse qu'il avait pour le nom français, qui ne lui avait pas permis d'ouvrir seulement un petit billet qu'il avait reçu d'un lieu suspect. Ce lieu ne fut nommé qu'après deux ou trois circonlocutions toutes pleines de scrupules et de mystères, et le président de Nesmond, qui, avec tout le feu d'un esprit gascon, était l'homme du monde le plus simple, remplit la seconde scène d'aussi bonne foi qu'il y avait eu d'art à la première. (Cardinal de Retz, "La Vie du cardinal de Rais")>>.


- <<La vérité est que tout ce qui était dans ce cabinet jouait la comédie : je faisais l'innocent, et je ne l'étais pas, au moins en ce fait ; le Cardinal faisait l'assuré, et il ne l'était pas si fort qu'il le paraissait ; il y eut quelques moments où la Reine contrefit la douce, et elle ne fut jamais plus aigre ; M. de Longueville témoignait de la tristesse, et il était dans une joie sensible, parce que c'était l'homme du monde qui aimait le mieux les commencements de toutes affaires ; M. le duc d'Orléans faisait l'empressé et le passionné en parlant à la Reine, et je ne l'ai jamais vu siffler avec plus d'indolence qu'il siffla une demi-heure en entretenant Guerchi dans la petite chambre grise ; le maréchal de Villeroy faisait le gai pour faire sa cour au ministre, et il m'avouait en particulier, les larmes aux yeux, que l'Etat était sur le bord du précipice ; Bautru et Nogent bouffonnaient, et représentaient, pour plaire à la Reine, la nourrice du vieux Broussel (remarquez, je vous supplie, qu'il avait quatre-vingts ans), qui animait le peuple à la sédition, quoiqu'ils connussent très bien l'un et l'autre que la tragédie ne serait peut-être pas fort éloignée de la farce. (Cardinal de Retz, "La Vie du cardinal de Rais")>>.


- <<L'on dit après que la Reine avait défendu cette alliance, et je n'en doute pas ; mais je sais bien que Viole n'en dit pas un mot dans son compliment. Ce qui est encore de plus étonnant est que Mme de Longueville m'a dit vingt fois, depuis sa dévotion, qu'elle n'avait point rompu ce mariage ; que M. de La Rochefoucauld me l'a confirmé, et que Monsieur le Prince, qui est l'homme du monde le moins menteur, m'a juré d'autre part qu'il n'y avait ni directement ni indirectement contribué. (Cardinal de Retz, "Mémoires")>>.


- <<Je le suppliai avec instance qu'il me permît d'avoir l'honneur de l'accompagner. Il me le défendit expressément ; mais il me confia Vanbroc, un joueur de luth flamand, et qui était l'homme du monde à qui il se confiait le plus. Il me dit qu'il me le donnait en garde, que je le cachasse chez moi, et que je ne le laissasse sortir que la nuit. (Cardinal de Retz, "La Vie du cardinal de Rais")>>.


- <<M. de La Meilleraye, que l'on appelait le Grand Maître, était devenu amoureux d'elle ; mais elle ne l'était nullement de lui. Comme il était, et par son naturel et par sa faveur, l'homme du monde le plus impérieux, il trouva fort mauvais que l'on ne l'aimât pas. (Cardinal de Retz, "Mémoires")>>.


(c) Mais on la retrouve aussi sous la plume de la fille de Gaston d'Orléans :


- <<Monsieur ne revenoit jamais de ses visites qu'il ne passât à ma chambre ; il me faisoit éveiller, et se doutoit bien que j'aurois plus de plaisir à le voir qu'à dormir ; et après avoir appelé madame de Saint-Georges, Beaumont et Saint-Louis, il nous entretenoit de toutes ses aventures passées, et cela fort agréablement, comme l'homme du monde qui a le plus de grâce et de facilité naturelle à bien parler. Je le mettois le plus souvent qu'il m'étoit possible sur le chapitre de ma belle-mère, pour qui je me sentois beaucoup d'amitié : même nous nous écrivions, et je puis dire avec vérité, qu'après avoir parlé d'elle en plusieurs occasions à Son Altesse Royale, personne ne la servit auprès de lui plus utilement que moi. (Mademoiselle de Montpensier, "Mémoires", Partie 1, chapitre 1)>>.


- <<J'appris que c'étoit M. l'évêque de Montauban qui avoit ouvert cet avis, qui n'avoit pas été suivi, mais qui avoit retardé leur visite. Il s'appeloit Bertier en son nom. C'étoit un homme que j'avois fort connu à la cour, qui avoit été un grand prédicateur fort attaché à la reine mère, fort ami de M. et de madame de Brienne où je l'avois fort vu, serviteur particulier de M. le prince de Conti, enfin l'homme du monde qui devoit aller le plus au-devant de nous rendre des respects. Il avoit été fort malade l'année de devant ; il avoit prêché, il y avoit peu, devant la reine. (Grande Mademoiselle, "Mémoires de Mademoiselle de Montpensier, petite-fille de Henri IV", Partie 2, Chapitre 6)>>.


(d) L'auteur de "La Princesse de Clèves" l'utilise, comme tout son entourage.


- <<- C'est l'homme du monde le mieux fait, ajouta-t-il, il n'a guère la mine d'être réduit à gagner sa vie. Toutes les fois qu'il vient céans, je le vois toujours regarder les maisons et les jardins, mais je ne le vois jamais travailler. (Madame de La Fayette, "La Princesse de Clèves", 1678, tome 4)>>.


- <<Avec les sentiments que je me trouve pour vous, Monsieur, il m'est difficile de vous plaindre. Il me semble que vous auriez beaucoup perdu si vous aviez cessé d'être M. de Pomponne, quand vous avez eu d'autres dignités, mais de quelle perte ne doit-on pas se consoler quand on est assuré d'être toujours l'homme du monde dont les vertus et le singulier mérite se font le plus aimer et respecter ? La comtesse de Grignan. (Marquise de Sévigné, extrait d'une lettre au Marquis de Pomponne, de Paris, le lundi 18 ème décembre 1679, avec un post-scriptum de sa fille, Madame de Grignan)>>.


- <<Madame de Sévigny, ayant rencontré Saucour deux ans après dans un bal, pensa s'évanouir ; une autre fois, elle s'évanouit à demi pour avoir vu le chevalier d'Albret. Le printemps suivant, comme elle s'étoit allée promener à Saint-Cloud, elle aperçut Lacger dans une allée proche de la source. «Ah ! dit-elle à deux officiers aux gardes qui étoient avec elle, voilà l'homme du monde que je hais le plus. - Madame, lui dirent-ils, voulez- vous qu'on le pende, qu'on le noie, qu'on l'extermine ? - Non, dit-elle, il suffit qu'on le jette dans la fontaine.» En ces entrefaites la compagnie avec laquelle Lacger étoit venu parut ; elle y reconnut des gens et n'osa faire affront à ce garçon devant eux. «Arrêtez, dit-elle, voilà de mes parents avec lui.» C'eût été un beau tour à elle. (Gédéon Tallemant des Réaux, "Historiettes")>>.


(e) La formule est encore d'usage courant, au siècle des Lumières, pour un homme comme Arouet le Jeune, pour le Secrétaire de l'Académie, Fontenelle, et pour l'encyclopédiste Diderot.


- <<Si vous ajoutez à toutes ces affaires domestiques qu'ayant été sur les bords du Rhin à la chasse de quelques hordes de Francs qui habitaient dans ces quartiers-là, et ayant pris leurs rois, qui probablement étaient de la famille de notre Pharamond et de notre Clodion le Chevelu, il les exposa aux bêtes pour son divertissement, vous pourrez inférer de tout cela, sans craindre de vous tromper, que ce n'était pas l'homme du monde le plus accommodant. Examinons à présent les principaux événements de son règne. Son père Constance Chlore était au fond de l'Angleterre, où il avait pris pour quelques mois le titre d'empereur. (Voltaire, "Dictionnaire philosophique", article "Constantin")>>.


- <<L'illustre monsieur Cassini, l'homme du monde à qui le ciel est le mieux connu, a découvert sur la Lune quelque chose qui se sépare en deux, se réunit ensuite, et se va perdre dans une espèce de puits. Nous pouvons nous flatter avec bien de l'apparence que c'est une rivière. Enfin on connaît assez toutes ces différentes parties pour leur avoir donné des noms, et ce sont souvent des noms de savants. (Fontenelle, "Entretien sur la pluralité des mondes", Second soir, "Que la Lune est une Terre habitée")>>.


- <<C'est le meilleur homme, l'homme du monde le plus officieux, la meilleure connaissance... (Denis Diderot, "Jacques le fataliste et son maître", 1792)>>.


(f) Après la Révolution française, elle est restée une habitude pour ceux qui ont connu l'Ancien Régime.


- <<Leur aimable frère le Duc de Chartres, était l'homme du monde le plus insipide et le plus taquin, tout à la fois : car il avait trouvé moyen de réunir ces deux qualités disparates. Il avait commencé par faire le bigot, en esprit de contradiction ; il ne voulait dire ses prières qu'en hébreu ; il jeûnait et faisait maigre le jour de Pâques, et quand il allait sermonner la Duchesse de Berry, sa soeur, elle ne manquait pas de lui donner des soufflets, ce qui divertissait beaucoup M. leur père. (Pseudo, "Souvenirs de Madame de Créquy", Partie I, Chapitre VII)>>.


(g) Puis l'expression prend un autre sens, quand <homme du monde> n'est plus suivi de <le plus...> ni de <le moins...>.


- <<L'homme du monde lui-même et l'homme occupé de travaux spirituels échappent difficilement à l'influence de ce jubilé populaire. Ils absorbent, sans le vouloir, leur part de cette atmosphère d'insouciance. Pour moi, je ne manque jamais, en vrai Parisien, de passer la revue de toutes les baraques qui se pavanent à ces époques solennelles. (Charles Baudelaire, "Le Spleen de Paris", 1869, XIV. Le Vieux Saltimbanque)>>.


- <<Mais, dans les parfaites manières de l'homme du monde, en parlant d'un prince, il y a un pédantisme aussi qui trahit une autre caste, celle où l'on fait précéder le nom Guillaume de «l'Empereur» et où l'on parle à la troisième personne à une Altesse. (Marcel Proust, "Sodome et Gomorrhe")>>.


(h) Quand la société prend conscience de ses clivages et, à partir de Karl Marx, théorise à partir des contradictions sociales, chaque homme est d'un monde, bourgeois, ouvrier, paysan, conservateur, libéral.


- <<L'homme du monde libéraliste ne choisit pas son destin sous le poids d'une Histoire.

Comme on le sait, le marxisme a contesté la transcendance du sujet humain ainsi que l'idéologie des Lumières. L'homme est soumis à des besoins matériels. (Georges Hansel, "Ethique et politique dans la pensée d'Emmanuel Levinas", document du web)>>.


(i) La formule peut s'employer au féminin.


- <<- Que voulez-vous dire, général ? Que vous trouvez cette scène indécente ? Eh bien, j'en ai assez de jouer à la femme du monde ! Pendant les cinq années où je me suis exhibée dans ma loge au Théâtre Français, je me suis donné des allures de sainte-nitouche, j'ai été farouche pour tous ceux qui me poursuivaient de leurs assiduités, j'ai affecté des airs d'innocence hautaine. Voilà la sottise dans laquelle je suis tombée. (Dostoïevski, "L'Idiot", traduction de A. Mousset, Gallimard, 1953, Tome I, page 262)>>.


(j) Voir Nastasia Philippovna.






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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Mercredi 18 Juin 2008



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