Organisation paysanne de l'estive

En Forez. Sur les Hauts des monts du Forez.

(a) Un certain nombre de paysans se font reconnaître par les seigneurs locaux un droit d'usage sur les ressources de la montagne des hauts des monts du Forez ou des Hautes Chaumes.

(b) Citation :

- <<Au XIV ème siècle en tout cas, les paysans du lieu exploitent la montagne ; les documents révèlent une vie pastorale intense et organisée au cours des deux siècles suivants. Dès lors, la présence des paysans sur la montagne est collective. Les seigneurs locaux accordent des concessions aux habitants, au profit desquels la plus grande partie des pâturages est ainsi répartie peu à peu ; pour la jouissance d'étendues indivises, les bénéficiaires sont groupés de différentes manières :

- en sociétés de personnes, comme sur la montagne des Granges (Chalmazel, vers 1400) ou à Coleigne (Sauvain) où, dans le courant du XV ème siècle, respectivement dix-neuf et douze hommes sont nominativement investis de droits sur les pâturages.

- ou bien ce sont les habitants d'un même hameau ou groupe de hameaux qui se voient dotés sur une montagne : ainsi, par concessions signées au cours des XV ème et XVI ème siècles, les habitants de divers hameaux des paroisses de Valcivières, Saint-Martin-des-Olmes et Ambert sur la montagne des Halles-Basses, d'autres sur les montagnes de la Faye et Monthialier (Valcivières), d'autres encore sur les bois et montagnes de Saint-Pierre et du Brugeron.

- ou bien encore, le seigneur octroie des concessions à divers particuliers, à différents moments, mais le terrain sur lequel elles portent demeure indivis : Jeannin de Champal, de Sauvain, acquiert, le 24 décembre 1511, des droits sur la montagne de Chorsin où Pierre Moéson également de Sauvain, est doté le 6 août 1532. D'autres paysans, apprend-on, exploitent les mêmes pâturages, autorisés expressément par le même seigneur de Montherboux.

- certaines montagnes étaient affermées. Celles de l'Oule (Saint-Bonnet-le-Courreau) et Bazanne (Roche-en-Forez), dépendant du roi de France, alors comte de Forez, sont, vers le milieu du XVI ème siècle, au dire des "laboureurs, voisins desdites montagnes", et "depuis leur mémoire, ... mis à ferme sur les lieux, pour les habitants". Ceux-ci, là encore, jouissent en commun de toute l'étendue de la montagne qui leur est impartie. (Maurice Damon, "Les Jasseries des Monts du Forez")>>.

(b) Mais, jusqu'en 1789, quel que soit le mot employé, le concept de propriété privée n'a pas cours. Les paysans ont un droit d'usage sur un sol. Le domaine est tenu par le seigneur et découle du roi.

(c) En 1540, Claude de Lévis reconnaît bien peu de valeur aux terres d'altitude dont il rend hommage au représentant du roi :

- <<... les deux tiers des communes qui sont dans le mandement du seigneur de Montherboux ... et sont de peu de valeur, s'il n'est que pour "pastorger" les bêtes, pour ce que ce sont en pays de montagne et "mal à droict". (dénombrement d'hommage de Claude de Lévis-Lavieu, baron de Couzan)>>.

(d) C'est après la Révolution Française que de longues procédures judiciaires aboutissent au partage de la montagne de Roche comme au partage de la montagne de Sauvain. Parfois le même expert, comme Jean-Pierre Périer, organise, seul ou assisté, de nombreux partages :

- "Partage des communaux de Jeansagnières", 1859-1860, avec Mervillon ;

- "Partage de la montagne de Bazanne", 1862-1864 ;

- "Partage entre habitants de Jeansagnières et de Saint-Just-en-Bas", 1865-1866 ;

- "Partage de la montagne de Roche", 1873 ;

- "Partage de la montagne de Courreau", 1885.

(e) Les ayant droits de chaque montagne désignent un ou plusieurs syndics. Ils contrôlent le respect des règles et perçoivent la quote-part de chacun dans les impôts royaux ou les droits seigneuriaux à verser pour l'usage de la montagne.

(f) Selon les situations paroissiales, selon la forme historique de l'acquisition des droits, les copropriétaires édictent des règles limitant leur nombre, excluant les troupeaux étrangers et assurant à chacun d'eux un espoir de profit par l'usage de la montagne. La pleine propriété et l'enclosure des parcelles fera disparaître ces règlements.

- <<Pour que la propriété apporte à tous les mêmes garanties, pour que chacun tire un profit proportionnel à son droit, des réglementations rigoureuses s'imposent. Sur chaque montagne, le jour et même l'heure de la montée sur les pâturages sont fixés de façon autoritaire : généralement entre le début de mai et les premiers jours de juin, selon que l'altitude et l'exposition permettent plus ou moins tôt la croissance de la végétation. Les bêtes doivent quitter les pâturages en même temps, un jour d'octobre. Eventuellement, on distingue sur une même montagne deux quartiers : le plus bas est ouvert au pacage au début de la saison à l'exclusion de l'autre, qui sera laissé un peu plus tard au parcours des animaux ; quand les pâturages les plus élevés sont épuisés, on conduit à nouveau les bêtes sur les herbages où elles paissaient d'abord. (Maurice Damon)>>.

(g) Du jas aux jasseries. Au-delà de l'organisation commune de la montagne, c'est le béal d'alimentation commun à toutes les jasseries d'un jas qui fait l'objet d'une organisation précise. Ainsi les loges des jasseries de Garnier sont-elles alignées sur un même béal, la raze de Garnier. La gestion commune implique l'entretien de la raze, depuis la tourbière de l'Oule où s'effectue la prise d'eau. Mais pour une bonne gestion du débit d'eau tout au long de l'été, c'est le délicat frayage de la Goutte de l'Oule qui suppose un minimum d'accord entre les ayants droit.