Progrès des connaissances


(a) La notion de progrès des connaissances est un espoir en Europe depuis l'époque de l'humanisme. Elle est devenue une mythologie (ou un acte de foi irraisonné) depuis le siècle des Lumières.


- <<On n'arrête pas le Progrès ! (Proverbe populaire)>>, même si le char de ce dieu moderne est parfois comparé au Juggernaut.


- <<- Un prospectus dont le premier mot tue Macassar, dit Gaudissart en se levant d'un air magistral pour prononcer les paroles suivantes qu'il scanda par des gestes parlementaires : On - ne - fait pas - pousser les cheveux ! On - ne les - teint pas - sans danger ! Ah ! ah ! là est le succès. La science moderne est d'accord avec les habitudes des anciens. On peut s'entendre avec les vieux et avec les jeunes. Vous avez affaire à un vieillard : "Ah ! ah ! monsieur, les anciens, les Grecs, les Romains avaient raison et ne sont pas aussi bêtes qu'on veut le faire croire !" Vous traitez avec un jeune homme : "Mon cher garçon, encore une découverte due aux progrès des lumières, nous progressons. Que ne doit-on pas attendre de la vapeur, des télégraphes et autres ! Cette huile est le résultat d'un rapport de monsieur Vauquelin !" Si nous imprimions un passage du mémoire de monsieur Vauquelin à l'Académie des Sciences, confirmant nos assertions, hein ! Fameux ! Allons, Finot, à table ! Chiquons les légumes ! Sablons le champagne au succès de notre jeune ami ! (Honoré de Balzac, "Grandeur et décadence de César Birotteau", 1837, Partie I, Chapitre VI, Les deux astres)>>.


- <<Ici finit l'histoire du mariage de Germain, telle qu'il me l'a racontée lui-même, le fin laboureur qu'il est ! Je te demande pardon, lecteur ami, de n'avoir pas su te la traduire mieux ; car c'est une véritable traduction qu'il faut au langage antique et naïf des paysans de la contrée que je chante (comme on disait jadis). Ces gens-là parlent trop français pour nous, et, depuis Rabelais et Montaigne, les progrès de la langue nous ont fait perdre bien des vieilles richesses. Il en est ainsi de tous les progrès, il faut en prendre son parti. (George Sand, "La Mare au diable", 1846, Appendice I, Les noces de campagne)>>.


- <<C'est bien. Mais tout cela vaut-il le sang versé ? Et au sang versé ajoutez l'avenir assombri, le progrès compromis, l'inquiétude parmi les meilleurs, les libéraux honnêtes désespérant, l'absolutisme étranger heureux de ces blessures faites à la révolution par elle-même, les vaincus de 1830 triomphant, et disant : Nous l'avions bien dit ! Ajoutez Paris grandi peut-être, mais à coup sûr la France diminuée. Ajoutez, car il faut tout dire, les massacres qui déshonoraient trop souvent la victoire de l'ordre devenu féroce sur la liberté devenue folle. Somme toute, les émeutes ont été funestes. (Victor Hugo, "Les Misérables", 1862, Partie IV, Livre X, Chapitre I, La surface de la question)>>.


(b) Le développement de la recherche scientifique, au cours du XX ème siècle, est un incontestable progrès de la connaissance. Dans bien des domaines, il y a plus de chercheurs vivants aujourd'hui qu"il n'y en a eu dans toute l'histoire passée de l'humanité.


(c) Mais cette facette de la réalité est trompeuse. Car elle s'accompagne d'un phénomène totalement opposé. On a fêté le centenaire des idées nouvelles apportées par Albert Einstein (1905-2005). Hélas, ce siècle a passé sans que la plupart des remises en cause gnoséologiques, incluses dans la Relativité générale et dans la Physique quantique (deux fruits des arbres semés par les articles de 1905), soient passées dans la culture de masse.


(d) Le progrès des connaissances d'une élite "scientifique" (même pas "intellectuelle", car les disciplines scientifiques s'ignorent mutuellement dans un néo-obscurantisme généralisé) reste confiné au sein de cette élite, malgré les tentatives de très rares vulgarisateurs.


(e) Il faudrait probablement interroger la Sociologie de la Science pour comprendre ce mécanisme de stase de la connaissance dans un organe très local (ponctuel) de l'organisme social.


(f) Mais il existe une explication complémentaire qui a le mérite de l'évidence. Ce développement des connaissances scientifiques est contemporain de deux autres phénomènes :


- Un phénomène jouant sur la communication entre les scientifiques. Cette croissance exponentielle de la recherche s'est amorcée pendant les années de guerre froide, au cours desquelles de nombreuses informations scientifiques, parce qu'elles avaient été financées par les militaires, n'ont pas fait l'objet des habituelles publications scientifiques.


- Un phénomène jouant sur la communication entre les scientifiques et le grand public (le terme est révélateur par l'exclusion qu'il implique de l'activité de recherche). Cette expansion des laboratoires est liée à une vision économique du développement. Les idées nouvelles ne se répandent pas dans la population comme des mèmes d'une culture commune ou mondiale. Ces idées ne sont considérées que pour leur impact sur la technologie. Leur impact sur l'épistémologie ne concerne que quelques rares individualités (rendons hommage à Bernard d'Espagnat, à Jean-Marc Levy-Leblond, à Etienne Klein et, ailleurs, à Jean-Pierre Dupuy, à Michel Aglietta et à André Orléan). Les idées de la physique quantique sont passées dans le laser (un outil de signalisation visuelle des boîtes de nuit dans la campagne), dans l'ordinateur et dans le lecteur de cédérom. Les idées de la relativité générale sont cruciales pour l'efficacité du positionnement par GPS. Mais les nombreux utilisateurs de tous ces produits industriels peuvent ignorer voire réfuter ces idées.


(g) Cet écart entre les idées de la recherche et celles de la culture commune tend à devenir un fossé, un gouffre ou un véritable clivage des représentations. Un symptôme est le conflit idéologique entre la théorie de l'évolution (trop souvent présentée de manière dogmatique ou finaliste) et l'Intelligent design (un vieux dogme relooké).


(h) Cette vision économique du développement (une idée est une opportunité de profit ou elle n'est rien) a conduit à sous-estimer le problème dit "pédagogique" de la transmission des informations, de l'assimilation des informations en connaissances et de la mise en réseau des connaissances.


(i) A l'opposé, une vision cognitive du développement humain devrait traiter cet aspect du problème en priorité. D'autant qu'Internet fournit un outils considérable et que s'y developpent de louables et efficaces initiatives (Wikipédia).


- <<En compensation de sa croissance démographique et pour perpétuer son mode de vie, chaque génération se doit de transmettre plus (progrès des connaissances) et plus vite (progrès pédagogique) qu'elle n'a reçu de la génération précédente. (HH, "Le Travail comme une Narration")>>.


(j) Références d'usage du terme :


- <<L'histoire moderne est sur ce point la critique vivante et continuelle de l'ancienne. Pour moi je renonce à cette étude puérile ; Dieu, la nature et moi-même, voilà plus d'objets qu'il n'en faut pour occuper dignement ma vie : l'histoire des cieux, celle d'une plante, celle d'un insecte, me touche plus que toutes les annales grecques et romaines. Encore, disait toujours ce détracteur de l'histoire, si en m'apprenant en détail les extravagances et la méchanceté des hommes, elle m'instruisait avec le même soin de ce qu'ils ont fait de bon et d'utile ! Si j'y trouvais le progrès des connaissances humaines, les degrés par lesquels les sciences et les arts se sont perfectionnés ! Mais point du tout. Cette partie de l'histoire, la seule vraiment intéressante, la seule digne de la curiosité du sage, est précisément celle que les compilateurs de faits ont le plus négligée ; infatigables narrateurs de ce qu'on ne leur demande pas, ils semblent s'être donné le mot pour taire ce qu'on voudrait savoir. (Jean Le Rond d'Alembert, "Réflexions sur l'histoire et sur les différentes manières de l'écrire")>>.


- <<Nous devons d'abord, pour comprendre, nous débarrasser d'une habitude mentale : l'idée a priori que l'aveuglement est absurde, antinaturel, exceptionnel. Toute explication doit au contraire partir de l'hypothèse inverse que rien n'est plus facile et nécessaire à l'homme que l'aveuglement. En économie et en politique autant qu'en amour. J'ai défini, au chapitre II, l'homme par sa curiosité intellectuelle, qui le pousse et explique le progrès des connaissances. Un tel postulat permet de comprendre la marche en avant de l'humanité, la hausse du taux d'alphabétisation, le développement de l'éducation secondaire et supérieure. L'homme est donc l'animal qui veut savoir. (Emmanuel Todd, "L'Illusion économique. Essai sur la stagnation des sociétés développées", Gallimard, 1998, page 312)>>.


(k) Le mot <progrès>, terme de 1532 sous la plume de François Rabelais, signifie "progression". Il vient du nom latin masculin <progressus, us>, signifiant "action d'avancer", "marche", "avance", "saillie", "commencement", "début". Il peut s'appliquer à l'ignorance, à l'erreur, à la maladie et au crime. Il n'a donc pas toujours été positif en soi.


- <<Quand Dieu laisse sortir du puits de l'abîme la fumée qui obscurcit le soleil, selon l'expression de l'Apocalypse, c'est-à-dire, l'erreur et l'hérésie ; quand, pour punir les scandales, ou pour réveiller les peuples et les pasteurs, il permet à l'esprit de séductions de tromper les âmes hautaines, et de répandre partout un chagrin superbe, une indocile curiosité, et un esprit de révolte, il détermine dans sa sagesse profonde, les limites qu'il veut donner aux malheureux progrès de l'erreur et aux souffrances de son Eglise. Je n'entreprends pas, Chrétiens, de vous dire la destinée des hérésies de ces derniers siècles, ni de marquer le terme fatal dans lequel Dieu a résolu de borner leur cours. Mais, si mon jugement ne me trompe pas ; si, rappelant la mémoire des siècles passés, j'en fais un juste rapport à l'état présent, j'ose croire, et je vois les sages concourir à ce sentiment, que les jours d'aveuglement sont écoulés, et qu'il est temps désormais que la lumière revienne. (Jacques-Bénigne Bossuet, "Oraisons funèbres", Oraison funèbre de Henriette-Marie de France)>>.


- << Il est pourtant vrai que rien ne me procurait un soulagement réel ; mais, n'ayant pas de douleurs vives, je m'accoutumais à languir, à ne pas dormir, à penser au lieu d'agir, et enfin à regarder le dépérissement successif et lent de ma machine comme un progrès inévitable que la mort seule pouvait arrêter. (Jean-Jacques Rousseau, "Les Confessions", 1782, Partie I, Livre VI)>>.


- <<Mais, depuis la destruction des monastères et les progrès de l'incrédulité, on doit s'attendre à voir se multiplier au milieu de la société (comme il est arrivé en Angleterre), des espèces de solitaires tout à la fois passionnés et philosophes, qui, ne pouvant ni renoncer aux vices du siècle, ni aimer ce siècle, prendront la haine des hommes pour l'élévation du génie, renonceront à tout devoir divin et humain, se nourriront à l'écart des plus vaines chimères, et se plongeront de plus en plus dans une misanthropie orgueilleuse qui les conduira à la folie, ou à la mort. (François-René de Châteaubriand, "Atala", 1801, Préface de 1805)>>.


- <<L'incendie s'était communiqué plus tard de ce côté, mais y avait fait de grands progrès. Lord Nelvil demanda si vivement quelle était cette maison, qu'un homme enfin lui répondit que c'était l'hôpital des fous. (Madame de Staël, "Corinne ou l'Italie", 1807, Livre I, Chapitre IV)>>.


- <<Son inquiétude avait fait tant de progrès en peu d'heures que je la trouvai pleinement convaincue de ce qu'elle nommait ma perfidie. J'étais arrivé auprès d'elle, décidé à tout lui dire. Accusé par elle, le croira-t-on ? je ne m'occupai qu'à tout éluder. Je niai même, oui, je niai ce jour-là ce que j'étais déterminé à lui déclarer le lendemain. (Benjamin Constant, "Adolphe", 1816, Chapitre IX)>>.


- <<Spada connaissait la coutume des invitations. Depuis que le christianisme, éminemment civilisateur, avait apporté ses progrès dans Rome, ce n'était plus un centurion qui arrivait de la part du tyran vous dire : "César veut que tu meures" ; mais c'était un légat a latere, qui venait, la bouche souriante, vous dire de la part du pape : "Sa Sainteté veut que vous dîniez avec elle." (Alexandre Dumas père, "Le Comte de Monte-Cristo", 1845, Chapitre 18, Le trésor)>>.


(l) Voir Don social. Fécondité. Haute modernité. Mon siège est fait. Négation de la réalité. Ru. Tant pis. Transmission.


(m) Lire "Economie Temps". "Inclusion Exclusion". "Progrès Technique". "Travail Narration".




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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Lundi 23 Juin 2008



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