Fumées



(A) En Forez.



(a) Les fumées des jasseries d'estive sont la partie des terrains de la montagne qui se situent en aval des loges et en amont de l'étage forestier de la hêtraie ou de la sapinière. Par rapport à la terre de bruyère environnante, les fumées sont une création humaine de prairie riche en espèces végétales. Ces parcelles sont bonifiées par les déjections animales, accumulées dans la loge, pendant que les animaux sont à l'étable, pour la nuit ou pour la traite de la mi-journée. Les bouses sont raclées du plancher des vaches, réunies dans la rase centrale et nettoyées, telles les écuries d'Augias, par l'eau du béal d'alimentation. Cette eau est préalablement accumulée dans une bonde, juste en amont de la loge. En aval de l'étable :


- <<Une tranchée profonde d'une trentaine de centimètres suit le bord ou le lieu du pré dans le sens de la pente ; c'est le "descendé". De là partent, formant avec le descendé un angle un peu inférieur à 90 °, fermé vers le bas pour leur donner une inclinaison, des rigoles moins profondes, les "levées", qui, s'étendant d'un seul côté ou de part et d'autre du descendé suivant la conformation du terrain, traversent toute la largeur de la fumée. De dix mètres en dix mètres, les levées couvrent toute la partie du pré que l'on veut fertiliser. Elles sont taillées à la "jaille" ou "taille-pré", instrument double, tranchant d'un côté pour couper la motte, en forme de pioche de l'autre pour la soulever. ("Les Jasseries des Monts du Forez", Maurice Damon)>>.


(b) En 1459, l'acte Pastorali, concernant les jasseries de Coleigne, donne la formule latine : "... in fematis dictarum calmorum" ; sur les fumées desdites montagnes.


(c) Au moment du partage de chaque montagne, les près, les fumées et les landes formeront souvent des lots distincts, en fonction de la valeur propre de chaque terrain. Jusqu'en 1945, le fumier était le seul engrais massivement utilisé. Ainsi se maintenait un lien nécessaire et un rapport numérique étroit entre la culture et l'élevage, dans chaque maison paysanne.


(d) La Fumée est un lieu-dit, à Chalmazel, entre Chez Jacon et le Bois de Chapouilloux. Les Fumées est le nom d'une jasserie (1280 m), au bord de l'Ancette, sous le sommet (1341 m) de Sichard.


(e) Voir Foins et pailles. Exclusion du troupeau. Fumure. Assolement. Chez-X.



(B) Conservation des viandes.



(a) La fumée du feu domestique est utilisée por la conservation des jambons, bacons et saucissons.


- <<Hersent quitte le lit et se dispose à obéir. Mais Renart attendoit mieux de son oncle; il voyait trois beaux bacons suspendus au faîte de la salle, et c'est leur fumée qui l'avoit attiré. "Voilà," dit-il, "des bacons bien aventurés ! Savez-vous, bel oncle, que si l'un de vos voisins (n'importe lequel, ils se valent tous) les apercevoit, il en voudroit sa part ? A votre place, je ne perdrois pas un moment pour les détacher, et je dirois bien haut qu'on me les a volés.

- Bah ! fit Ysengrin, je n'en suis pas inquiet ; et tel peut les voir qui n'en saura jamais le goût.

- Comment ! Si l'on vous en demandoit ?

- Il n'y a demande qui tienne ; je n'en donnerois pas à mon neveu, à mon frère, à qui que ce soit au monde.'' (Anonyme, "Le Roman de Renart", 1200, Livre 1, Chapitre 1, Comment Renart emporta la nuit les bacons d'Ysengrin)>>.


- <<Pissant doncq plein urinal, se asseoyt à table, et, par ce qu'il estoit naturellement phlegmaticque, commençoit son repas par quelques douzeines de jambons, de langues de beuf fumées, de boutargues, d'andouilles, et telz aultres avant coureurs de vin. (François Rabelais, "Gargantua", 1534, Chapitre 21. L'estsude de Gargantua, selon la discipline de ses precepteurs sophistes)>>.



(C) Spectacle social.



(a) Les dieux et les puissants aiment les fumées des sacrifices, de l'encens et des coups de canon.


(b) Références littéraires :


- <<Quoy ? me donner congé de servir toute femme,

Et mon ardeur esteindre au premier corps venu,

Ainsi qu'un vagabond sans estre retenu,

Abandonner la bride au vouloir de ma flame:

Non, ce n'est pas aimer. L'Archer ne vous entame

Qu'un peu le haut du coeur d'un traict foible & menu.

Si d'un coup bien profond il vous estoit cognu,

Ce ne seroit que soulfre & braise de vostre ame.

En soupçon de vostre ombre en tous lieux vous seriez :

A toute heure en tout temps jalouse me suivriez,

D'ardeur & de fureur & de crainte allumee.

Amour au petit pas non au gallop vous court,

Et vostre amitié semble à celle de la Court,

Où peu de feu se trouve & beaucoup de fumée.

(Pierre de Ronsard, "Sonnets pour Hélène", 1578, chapitre 20)>>.


- <<Il est vrai que nos noms ne sauraient plus périr.

L'occasion est belle, il nous la faut chérir.

Nous serons les miroirs d'une vertu bien rare ;

Mais votre fermeté tient un peu du barbare :

Peu, même des grands coeurs, tireraient vanité

D'aller par ce chemin à l'immortalité ;

A quelque prix qu'on mette une telle fumée,

L'obscurité vaut mieux que tant de renommée.

(Pierre Corneille, "Horace", 1640, Acte II, Scène III, Curiace à Horace)>>.


- <<La gloire ! qu'y a-t-il pour le chrétien de plus pernicieux et de plus mortel ? quel appât plus dangereux ? quelle fumée plus capable de faire tourner les meilleures têtes ? (Jacques-Bénigne Bossuet, "Oraisons funèbres", Oraison funèbre de Henriette-Anne d'Angleterre)>>.


- <<Mon regret d'arriver si vite à Turin fut tempéré par le plaisir de voir une grande ville, et par l'espoir d'y faire bientôt une figure digne de moi, car déjà les fumées de l'ambition me montaient à la tête ; déjà je me regardais comme infiniment au-dessus de mon ancien état d'apprenti; j'étais bien loin de prévoir que dans peu j'allais être fort au-dessous. (Jean-Jacques Rousseau, "Les Confessions", 1782, Partie 1, Livre 2)>>.


- <<Les portiers dormaient dans les rues contre le seuil des maisons ; l'ombre des colosses s'allongeait sur les places désertes ; au loin quelquefois la fumée d'un sacrifice brûlant encore s'échappait par les tulles de bronze, et la brise lourde apportait avec des parfums d'aromates les senteurs de la marine et l'exhalaison des murailles chauffées par le soleil. Autour de Carthage les ondes immobiles resplendissaient, car la lune étalait sa lueur tout à la fois sur le golfe environné de montagnes et sur le lac de Tunis, où des phénicoptères parmi les bancs de sable formaient de longues lignes roses, tandis qu'au-delà, sous les catacombes, la grande lagune salée miroitait comme un morceau d'argent. (Gustave Flaubert, "Salammbô", 1862, Chapitre 3, Salammbô)>>.


- <<Vers la fin d'octobre de cette même année 1823, les habitants de Toulon virent rentrer dans leur port, à la suite d'un gros temps et pour réparer quelques avaries, le vaisseau l'Orion qui a été plus tard employé à Brest comme vaisseau-école et qui faisait alors partie de l'escadre de la Méditerranée. Ce bâtiment, tout éclopé qu'il était, car la mer l'avait malmené, fit de l'effet en entrant dans la rade. Il portait je ne sais plus quel pavillon qui lui valut un salut réglementaire de onze coups de canon, rendus par lui coup pour coup; total: vingt-deux. On a calculé qu'en salves, politesses royales et militaires, échanges de tapages courtois, signaux d'étiquette, formalités de rades et de citadelles, levers et couchers de soleil salués tous les jours par toutes les forteresses et tous les navires de guerre, ouvertures et fermetures de portes, etc., etc., le monde civilisé tirait à poudre par toute la terre, toutes les vingt-quatre heures, cent cinquante mille coups de canon inutiles. A six francs le coup de canon, cela fait neuf cent mille francs par jour, trois cents millions par an, qui s'en vont en fumée. Ceci n'est qu'un détail. Pendant ce temps-là les pauvres meurent de faim.(Victor Hugo, "Les Misérables", 1862, Partie 2, Livre 2, Chapitre 3, Qu'il fallait que la chaîne de la manille eût subi un certain travail préparatoire pour être ainsi brisée d'un coup de marteau)>>.



(D) Partir en fumée.



(a) Le nuage de fumée de l'incendie est le symbole de la perte totale.


- <<Il serait long, Chrétiens, de démêler ce raisonnement ; mais, pour en faire l'application, quiconque a des desseins particuliers, quiconque s'attache aux causes particulières, disons encore plus clairement, qui veut obtenir ce bienfait du Prince, ou qui veut faire sa fortune par la voie détournée, il trouve d'autres prétendants qui le contrarient, des rencontres inopinées qui le traversent : un ressort ne joue pas à temps, et la machine s'arrête ; l'intrigue n'a pas son effet ; ses espérances s'en vont en fumée. (Jacques-Bénigne Bossuet, "Sermon sur la Providence", 1643)>>.


- <<Ensuite Télémaque fit laver le corps dans des liqueurs odoriférantes ; puis on prépara par son ordre un bûcher. Les grands pins, gémissant sous les coups de hache, tombent en roulant du haut des montagnes. Les chênes, ces vieux enfants de la terre, qui semblaient menacer le ciel, les hauts peupliers, les ormeaux, dont les têtes sont si vertes et si ornées d'un épais feuillage, les hêtres, qui sont l'honneur des forêts, viennent tomber sur le bord du fleuve Galèse. Là s'élève avec ordre un bûcher, qui ressemble à un bâtiment régulier; la flamme commence à paraître, un tourbillon de fumée monte jusqu'au ciel. (François de Salignac de la Mothe-Fénelon, "Les Aventures de Télémaque", 1699, Livre XIII)>>.


- <<Qu'ils sont doux, mais qu'ils sont rapides, les moments que les frères et les soeurs passent dans leurs jeunes années, réunis sous l'aile de leurs vieux parents ! La famille de l'homme n'est que d'un jour ; le souffle de Dieu la disperse comme une fumée. A peine le fils connaît-il le père, le père le fils, le père la soeur, la soeur le frère ! Le chêne voit germer ses glands autour de lui ; il n'en est pas ainsi des enfants des hommes ! (François-René de Châteaubriand, "René", 1802)>>.


- <<"Attention au commandement de feu. - Joue... Feu !"

Nous avions tiré, les quatre carrés ensemble; on aurait cru que le ciel venait de tomber. A peine la fumée était-elle un peu montée, que nous vîmes les Russes qui repartaient ventre à terre ; mais nos canons tonnaient, et nos boulets allaient plus vite que leurs chevaux.

"Chargez !" cria le général.

Je ne crois pas avoir eu dans ma vie un plaisir pareil.

"Tiens, tiens, ils s'en vont !" me disais-je en moi-même.

Et de tous les côtés on entendait crier : Vive l'Empereur !

(Emile Erckmann et Alexandre Chatrian, "Histoire d'un conscrit de 1813", 1864, Chapitre 12)>>.


- <<C'était une de ces belles et rares journées d'hiver où l'Angleterre se souvient qu'il y a un soleil. L'astre pâli, mais cependant splendide encore, se couchait à l'horizon, empourprant à la fois le ciel et la mer de bandes de feu et jetant sur les tours et les vieilles maisons de la ville un dernier rayon d'or qui faisait étinceler les vitres comme le reflet d'un incendie. Milady, en respirant cet air de l'océan plus vif et plus balsamique à l'approche de la terre, en contemplant toute la puissance de ces préparatifs qu'elle était chargée de détruire, toute la puissance de cette armée qu'elle devait combattre à elle seule - elle femme - avec quelques sacs d'or, se compara mentalement à Judith, la terrible Juive, lorsqu'elle pénétra dans le camp des Assyriens et qu'elle vit la masse énorme de chars, de chevaux, d'hommes et d'armes qu'un geste de sa main devait dissiper comme un nuage de fumée. (Alexandre Dumas, "Les Trois mousquetaires", 1844, Chapitre 49, Fatalité)>>.


(b) Voir Vanitas vanitatis.



(E) Signal de fumée.



(a) La fumée d'un feu est utilisée comme signal optique à longue distance, par les Amérindiens.


- <<Au lieu de côtoyer la rive occidentale, sur laquelle il fallait qu'ils descendissent, le prudent Mohican dirigea sa course vers ces montagnes, derrière lesquelles on savait que Montcalm avait conduit son armée dans la forteresse redoutable de Ticonderoga. Comme les Hurons paraissaient avoir renoncé à les poursuivre, il n'existait pas de motif apparent pour cet excès de précaution. Cependant ils continuèrent pendant plusieurs heures à suivre la même direction, et ils arrivèrent enfin dans une petite baie, sur la rive septentrionale du lac : les cinq navigateurs descendirent à terre, et le canot fut retiré sur le sable. Oeil-de-Faucon et Heyward montèrent sur une hauteur voisine, et le premier, après avoir considéré avec attention pendant quelques minutes les eaux limpides du lac, aussi loin que la vue pouvait s'étendre, fit remarquer à Heyward un point noir, placé à la hauteur d'un grand promontoire, à plusieurs milles de distance.

-- Le voyez-vous ? lui demanda-t-il, et si vous le voyez, votre expérience d'homme blanc et votre science dans les livres vous apprendraient-elles ce que ce peut être, si vous étiez seul à trouver votre chemin dans ce désert ?

-- À cette distance, je le prendrais pour quelque oiseau aquatique, si c'est un être animé.

-- C'est un canot de bonne écorce de bouleau, et sur lequel se trouvent de rusés Mingos qui ont soif de notre sang. Quoique la Providence ait donné aux habitants des bois de meilleurs yeux qu'à ceux qui vivent dans des pays peuplés, et qui n'ont pas besoin d'une si bonne vue, cependant il n'y a pas de sauvages assez clairvoyants pour apercevoir tous les dangers qui nous environnent en ce moment. Les coquins font semblant de ne songer qu'à leur souper ; mais dès que le soleil sera couché, ils seront sur notre piste comme les plus fins limiers. Il faut leur donner le change, ou nous ne réussirons pas dans notre poursuite, et le Renard-Subtil nous échappera. Ces lacs sont quelquefois utiles, particulièrement quand le gibier se jette à l'eau, ajouta le chasseur en regardant autour de lui avec une légère expression d'inquiétude, mais ils ne mettent pas à couvert, à moins que ce ne soient les poissons. Dieu sait ce que deviendrait le pays si les établissements des blancs s'étendaient jusqu'au delà des deux rivières. La chasse et la guerre perdraient tout leur charme.

-- Fort bien ; mais ne perdons pas un instant sans nécessité absolue.

-- Je n'aime pas beaucoup cette fumée que vous voyez s'élever tout doucement le long de ce rocher, derrière le canot. Je réponds qu'il y a d'autres yeux que les nôtres qui la voient, et qu'ils savent ce qu'elle veut dire. Mais les paroles ne peuvent remédier à rien, et il est temps d'agir.

Oeil-de-Faucon descendit de l'éminence sur laquelle il était avec le major, en ayant l'air de réfléchir profondément ; et ayant rejoint ses compagnons, qui étaient restés sur le rivage, il leur fit part du résultat de ses observations en langue delaware, et il s'ensuivit une courte et sérieuse consultation. Dès qu'elle fut terminée, on exécuta sur-le-champ ce qui venait d'être résolu. (James Fenimore Cooper, "Le Dernier des Mohicans", Chapitre XX)>>.


(b) Voir Magua.






* * *


Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Jeudi 10 Juillet 2008



Explorer les sites.

Réseau d'Activités à Distance

A partir d'un mot

Le Forez

Roche-en-Forez



Consulter les blogs.

Connaître le monde

Géologie politique


Nota Bene.

Les mots en gras sont tous définis dans le cédérom encyclopédique.