Mot


(a) Le terme <mot> date de 980. Il est attesté dans un écrit intitulé "La Passion du Christ" où apparaît aussi le mot <passion>.


- <<Les mots sont des menteurs. N'acceptons pas aveuglément les indications qu'ils nous donnent. Ce serait une erreur d'écrire à Liège pour avoir des bouchons et à Pau pour avoir des gants.

(Victor Hugo, "Les Misérables", 1862, Partie I, Livre III, Chapitre VII, La Sagesse de Tholomyès)>>.


(b) On emploie l'expression <mot de passe> depuis 1831.


- <<La lune s'était voilée. La Cour des Miracles était tout à fait obscure. Il n'y avait pas une lumière. Elle était pourtant loin d'être déserte. On y distinguait une foule d'hommes et de femmes qui se parlaient bas. On les entendait bourdonner, et l'on voyait reluire toutes sortes d'armes dans les ténèbres. Clopin monta sur une grosse pierre. - A vos rangs, l'Argot ! cria-t-il. A vos rangs, l'Egypte ! A vos rangs, Galilée ! Un mouvement se fit dans l'ombre. L'immense multitude parut se former en colonne. Après quelques minutes, le roi de Thunes éleva encore la voix : - Maintenant, silence pour traverser Paris ! Le mot de passe est : Petite flambe en baguenaud ! On n'allumera les torches qu'à Notre-Dame ! En marche ! (Victor Hugo, "Notre-Dame de Paris", 1831, Livre X, Chapitre III)>>.


- <<D'Artagnan haussa les épaules.

- Et puis, dit-il, ce n'est pas le tout que de sortir de cette chambre.

- Cher ami, dit Porthos, vous me semblez aujourd'hui d'un peu meilleure humeur qu'hier. Expliquez-moi comment ce n'est pas le tout que de sortir de cette chambre.

- Ce n'est pas le tout, parce que n'ayant ni armes ni mot de passe, nous ne ferons pas cinquante pas dans la cour sans heurter une sentinelle.

- Eh bien ! dit Porthos, nous assommerons la sentinelle et nous aurons ses armes. (Alexandre Dumas père, "Vingt ans après", 1845, Chapitre LXXXVIII, L'esprit et le bras)>>.


(c) Etymologie. <Mot> vient du latin populaire <mottus>, lui même dérivé du bas latin <muttum> signifiant "son émis".


- <<Contrairement aux apparences, l'existence d'un signifiant de la jouissance n'est pas contraire à l'enseignement de Lacan, car il ne s'agit pas d'un signifiant verbal qui serait inscriptible dans un rapport, mais du corps, du corps comme signifiant. Corps parlant ou "parole" aussi bien — mais non telle ou telle parole, qui revient au symbolique ; énonciation pure. Lacan peut bien dire que la Chose "fait mot", motus, au sens où elle se tairait ; elle n'est muette qu'au sens où un corps peut l'être, c'est-à-dire jamais. ("Jouissances : chose", in Etudes lacaniennes, site de Didier Moulinier)>>.


(d) Le latin classique utilisait le masculin <nomen, inis> pour "nom", "désignation", "nom de famille", "renom", "réputation" et le neutre <motum, i> pour "mot". Curieusement, <motus>, dans le sens de "silence", n'est pas un mot latin, mais une latinisation humoristique et abrégée de l'expression "pas un mot". Il existe certes un mot latin, <motus, us>, masculin, mais il signifie "mouvement", "agitation", "secousse", "tremblement de terre", "séisme", "mouvement du corps".


- <<- Pardieu ! Eh bien ! j'aurais donc quelques mille livres de rente à lever pour vous ?

- Pas grand'chose pour commencer. Motus ! Je veux jouer ce jeu-là sans qu'on en sache rien. Vous me concluriez un marché pour la fin du mois ; mais n'en dites rien aux Cruchot, ça les taquinerait. Puisque vous allez à Paris, nous y verrons en même temps, pour mon pauvre neveu, de quelle couleur sont les atouts. (Honoré de Balzac, "Eugénie Grandet", 1833, "Promesses d'avare, serments d'amour")>>.


- <<- C'est juste, dit Porthos.

- Aiguise ton épée, baron, charge tes pistolets, donne l'avoine aux chevaux, je te réponds qu'il y aura du nouveau avant demain ; et motus !

- Ah çà ! ce n'est point un piège qu'on nous tend pour se défaire de nous ? dit Porthos toujours préoccupé de la gêne que sa grandeur future devait causer à autrui.

- Si c'est un piège, reprit d'Artagnan, je le flairerai, sois tranquille. Si Mazarin est Italien, je suis Gascon, moi. (Alexandre Dumas père, "Vingt ans après", 1845, Chapitre LIII, L'entrevue)>>.


- <<- Bonnes vêpres, maître Cornille ! lui criaient les paysans ; ça va donc toujours, la meunerie ?

- Toujours, mes enfants, répondait le vieux d'un air gaillard. Dieu merci, ce n'est pas l'ouvrage qui nous manque.

Alors, si on lui demandait d'où diable pouvait venir tant d'ouvrage, il se mettait un doigt sur les lèvres et répondait gravement : "Motus ! je travaille pour l'exportation...

Jamais on n'en put tirer davantage. Quant à mettre le nez dans son moulin, il n'y fallait pas songer. La petite Vivette elle-même n'y entrait pas... Lorsqu'on passait devant, on voyait la porte toujours fermée, les grosses ailes toujours en mouvement, le vieil âne broutant le gazon de la plate-forme, et un grand chat maigre qui prenait le soleil sur le rebord de la fenêtre et vous regardait d'un air méchant. Tout cela sentait le mystère et faisait beaucoup jaser le monde. Chacun expliquait à sa façon le secret de maître Cornille, mais le bruit général était qu'il y avait dans ce moulin-là encore plus de sacs d'écus que de sacs de farine. (Alphonse Daudet, "Les Lettres de mon moulin", 1869, Le secret de Maître Cornille)>>.


- <<- Vous voyez bien que non ! Pas besoin de leur avis, ni de leur permission pour crier : "Vive la République, à bas Napoléon !"

- Chut ; chut !!! ne soyez pas séditieux !

- Pas séditieux !... moi qui aime tant ça !

- C'est que les représentants doivent nous recevoir sur les marches du Corps législatif, nous donner la consigne. D'ici là, motus !

Toujours des consignes à attendre - comme le diamant du nègre - sous le derrière des états-majors. (Jules Vallès, 1832-1885, "L'Insurgé", 1886, Chapitre 18)>>.


(e) "Le Mot et la chose" est un ouvrage fondamental du philosophe et logicien américain Willard van Orman Quine (1908-2000).


(f) "Les Mots et les choses" (1966) est un ouvrage du philosophe français Michel Foucault (1926-1984).


(g) <A moi, comte, deux mots> est la provocation en duel qu'adresse le jeune Rodrigue. Il est venu venger le soufflet que ledit comte de Gormas a infligé à Don Diègue.


- <<D. RODRIGUE

A moi, comte, deux mots.

LE COMTE

Parle.

D. RODRIGUE

Ote-moi d'un doute.

Connais-tu bien don Diègue?

LE COMTE

Oui.

(Pierre Corneille, "Le Cid", Acte II, Scène II)>>.


(h) Dans un débat, <le mot de la fin> est l'argument décisif qui laisse le contradicteur sans voix ni inspiration.


(i) <Le fin mot de l'histoire> est la découverte du détail qui fournit le mobile de l'affaire, du scandale, du décret, de la loi ou du meurtre.


(j) Tacite approbation ou dol : <<Qui ne dit mot consent !>>. La formule latine <qui tacet consentiret> ou <qui tacet consentire videtur> signifiant "qui se tait, consent", a été employée par pape Boniface VIII (1235-1303), adversaire du roi de France Philippe IV le Bel.


- <<On n'est pas censé consentir, quand on ne fait que céder à l'autorité d'un père ou d'un maître (Droit ancien, Maxime)>>.


(k) <Prendre au mot>, c'est sommer quelqu'un ou mettre une personne au défi de réaliser ce qu'elle vient de suggérer. C'est lui dire <Chiche !>


(l) Une récitation latine, française, anglaise ou grecque se déchiffre <mot à mot>, doit s'apprendre par coeur et, finalement, se récite avec beaucoup de coeur.


- <<Je ne sçay si je me trompe : mais puis que par une faveur particuliere de la bonté divine, certaine façon de priere nous a esté prescripte et dictée mot à mot par la bouche de Dieu, il m'a tousjours semblé que nous en devions avoir l'usage plus ordinaire, que nous n'avons : Et si j'en estoy creu, à l'entrée et à l'issue de noz tables, à nostre lever et coucher, et à toutes actions particulieres, ausquelles on a accoustumé de mesler des prieres, je voudroy que ce fust le patenostre, que les Chrestiens y employassent, sinon seulement, au moins tousjours. (Michel Eyquem, seigneur de Montaigne, "Les Essais", 1595, Livre I, Chapitre 56, Des prieres)>>.


- <<Cela dit, Mme de La Pommeraye se renversa sur son fauteuil et se mit à pleurer. Le marquis se précipita à ses genoux, et lui dit : "Vous êtes une femme charmante, une femme adorable, une femme comme il n'y en a point. Votre franchise, votre honnêteté me confond et devrait me faire mourir de honte. Ah ! quelle supériorité ce moment vous donne sur moi ! Que je vous vois grande et que je me trouve petit ! C'est vous qui avez parlé la première, et c'est moi qui fus coupable le premier. Mon amie, votre sincérité m'entraîne ; je serais un monstre si elle ne m'entraînait pas, et je vous avouerai que l'histoire de votre coeur est mot à mot l'histoire du mien. (Denis Diderot, "Jacques le fataliste et son maître", 1792)>>.


- <<- Par exemple, dit-il, nous avons assisté hier à une veillée rustique à la ferme. Le chanvreur a conté des histoires jusqu'à deux heures du matin. La servante du curé l'aidait ou le reprenait ; c'était une paysanne un peu cultivée ; lui, un paysan inculte, mais heureusement doué et fort éloquent à sa manière. A eux deux, ils nous ont raconté une histoire vraie, assez longue, et qui avait l'air d'un roman intime. L'as-tu retenue ?

- Parfaitement, et je pourrais la redire mot à mot dans leur langage.

- Mais leur langage exige une traduction ; il faut écrire en français, et ne pas se permettre un mot qui ne le soit pas, à moins qu'il ne soit si intelligible qu'une note devienne inutile pour le lecteur.

(George Sand, "François le Champi", 1849, Avant-propos)>>.


- <<Il lui avait écrit ! Donc il ne l'oubliait pas. Elle ne songea point qu'il demandait de l'argent. On lui en enverrait puisqu'il n'en avait plus. Qu'importait l'argent ! Il lui avait écrit ! Et elle courut, en pleurant, porter cette lettre au baron. Tante Lison fut appelée ; et on relut, mot à mot, ce papier qui parlait de lui. On en discuta chaque terme. Jeanne, sautant de la complète désespérance à une sorte d'enivrement d'espoir, défendait Paul : "Il reviendra, il va revenir puisqu'il écrit." (Guy de Maupassant, "Une Vie", 1883, Chapitre 11)>>.


(m) Que savons-nous de la toute première histoire des mots, au-delà de l'étymologie ?


- <<Après avoir pris la relève des signaux d'alarme qu'utilisent les animaux, et inventé les verbes intimant les ordres, le langage a probablement désigné des objets "concrets" de l'environnement quotidien, ceux qui pouvaient être perçus directement par les cinq sens des individus. Dans sa lettre à Hérodote, Epicure expliquait déjà que c'est à cause de leur nature que les hommes, éprouvant des émotions et percevant des sensations, émettaient d'une façon particulière leurs états d'âme et leurs perceptions. Il ajoutait que les différents peuples donnèrent un nom aux choses pour éliminer les ambiguïtés et par souci de parcimonie. Cette idée était reprise dans les quatre volumes d'Eléments d'idéologie d'Antoine Destrutt de Tracy, parus entre 1801 et 1815, dans une vaste fresque peignant les hommes échangeant d'abord des signes pour aborder un langage de pantomime, puis de nomination. C'est la phase magique, où le lien entre le mot et la chose est intime, univoque, où le mot n'a pas encore acquis son autonomie, où le mot est incantatoire, celui qui est encore utilisé dans certains rituels religieux. Ces mots constituèrent ainsi un premier étage de l'environnement culturel, sur lequel pouvait donc à son tour opérer la perception sensorielle. Non seulement on pouvait créer des métaphores entre objets "concrets", mais aussi entre objets et éléments du langage, ajoutant ainsi un étage supplémentaire à l'environnement culturel. Il suffisait ensuite de créer des métaphores entre divers éléments du langage pour multiplier les étages de cet environnement culturel. Apparurent probablement ainsi les métaphores entre concepts abstraits et divinités les "personnalisant" par des héros, titans, totems, animaux et autres chimères (animaux composés associés à des concepts composés ?). Les divinités grecques réifiaient des concepts abstraits, comme les immortels zoroastriens (Amesha-Spentas) réifiaient la pensée (vohu mano), la justice (asa), etc., ou encore les Eons gnostiques réifiaient la pensée (Ennoia), la sagesse (Sophia Achamoth) etc. Les sociétés animistes choisissaient dans la faune et la flore qui les entouraient les métaphores donnant un sens au monde perçu. Ces Divinités, en devenant des symboles à la fois imaginaires — et combien "vivants" — de concepts abstraits, contribuèrent à la formation de la pensée abstraite, surtout dans les civilisations orales. (Jean-Pierre Aubin, "La mort du devin. L'émergence du démiurge. Essai sur la Contingence, la Viabilité et l'Inertie des systèmes", document du web, Métaphores et compréhension)>>.


(n) Le terme propre. Savoir exprimer une idée exige de connaître un mot susceptible de la formuler.


- <<Tom répondit :

– Non ! Après-demain seulement.

– Ah ! fit-elle. Alors ce sera moi la première partie !

Ils se turent tous les trois un instant, puis Bill reprit d'un ton maussade :

– C'est encore moi le plus à plaindre là dedans, savez-vous ! Sal s'en va en service, ça n'est peut-être pas drôle, mais ça n'empêche pas qu'elle va être comme un coq en pâte, bien nourrie, et tout ça, juste assez de travail pour ne pas s'ennuyer, et tous les clients pour lui faire la cour ! Et voilà Tom qui part pour être soldat, voir du pays, et le reste ! Mais le pauvre diable qui reste dans le coin après que tous les copains sont partis, si on en parlait un peu, hein !

Tom regarda Sal, qui écoutait la tête levée, le cou plié en arrière, ses lèvres humides luisant sur l'émail des dents, le menton se dessinant sur le haut collier de perles à l'éclat très doux et sur les pendeloques scintillantes ; puis il baissa les yeux et regarda son soulier sans rien dire. Ce fut Sal qui répondit, d'une voix basse, traînante, en hésitant un peu :

– Ça n'est pas drôle pour personne, Bill. On était si bien tous les trois... et voilà Tom qui s'en va, et je m'en vais aussi... Et qu'est-ce qui va nous arriver ?

Ils se turent encore tous les trois, parce qu'on ne leur avait appris que juste assez de mots pour exprimer leurs pensées de tous les jours, et qu'ils ne connaissaient pas de paroles qui pussent dire leur navrement hébété, le ressentiment sourd que leur inspirait la force des choses, la dureté du sort qui les séparait. (Louis Hémon, "Le dernier soir", in "Contes et nouvelles", pages 172-173)>>.


(o) Un bon mot est celui qui résume rapidement toutes les implications d'une situation.


- <<Quelques malveillants ont voulu jeter de la défaveur sur cette phrase de Figaro : Sommes-nous des soldats qui tuent et se font tuer pour des intérêts qu'ils ignorent ? Je veux savoir, moi, pourquoi je me fâche ! À travers le nuage d'une conception indigeste, ils ont feint d'apercevoir que je répands une lumière décourageante sur l'état pénible du soldat ; et il y a des choses qu'il ne faut jamais dire. Voilà dans toute sa force l'argument de la méchanceté ; reste à en prouver la bêtise. Si, comparant la dureté du service à la modicité de la paye, ou discutant tel autre inconvénient de la guerre et comptant la gloire pour rien, je versais de la défaveur sur ce plus noble des affreux métiers, on me demanderait justement compte d'un mot indiscrètement échappé. Mais, du soldat au colonel, au général exclusivement, quel imbécile homme de guerre a jamais eu la prétention qu'il dût pénétrer les secrets du cabinet pour lesquels il fait la campagne ? C'est de cela seul qu'il s'agit dans la phrase de Figaro. Que ce fou-là se montre, s'il existe ; nous l'enverrons étudier sous le philosophe Babouc, lequel éclaircit disertement ce point de discipline militaire. En raisonnant sur l'usage que l'homme fait de sa liberté dans les occasions difficiles, Figaro pouvait également opposer à sa situation tout état qui exige une obéissance implicite : et le cénobite zélé, dont le devoir est de tout croire sans jamais rien examiner, comme le guerrier valeureux, dont la gloire est de tout affronter sur des ordres non motivés, de tuer et se faire tuer pour des intérêts qu'il ignore. Le mot de Figaro ne dit donc rien, sinon qu'un homme libre de ses actions doit agir sur d'autres principes que ceux dont le devoir est d'obéir aveuglément.

Qu'aurait-ce été, bon Dieu ! si j'avais fait usage d'un mot qu'on attribue au grand Condé, et que j'entends louer à outrance par ces mêmes logiciens qui déraisonnent sur ma phrase ? À les croire, le grand Condé montra la plus noble présence d'esprit, lorsque arrêtant LouisXIV prêt à pousser son cheval dans le Rhin, il dit à ce monarque : "Sire, avez-vous besoin du bâton de maréchal ?" (Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, "Le Mariage de Figaro", 1784, Préface)>>.


(p) D'un point de vue grammatical, un mot peut être : adjectif, adverbe, nom, verbe...


(q) Voir A partir d'un mot. Consentir. Indicible. Le Cid. Linguistique. Pierre Corneille. Sémantique.


Mot utilisé dans : Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient. Mot de Cambronne. Premier mot. Représentation de chose et représentation de mot.


Les mots en gras sont tous définis sur le cédérom encyclopédique.