Décision
(a) On peut définir une décision ou une pensée organisatrice, par opposition à un chaos structurant, à une bifurcation ou à un faisceau de contraintes.
- <<La manière dont se prend une telle décision est à mes propres veux problématique. Mais une chose est évidente ou, disons, consciente : on procède fort peu par oui ou par non, mais c'est une affaire de temps. Peut-être n'est-ce pas la réaction de tous les humains ; toujours est-il qu'il en est ainsi pour moi. Ces derniers temps, j'ai toujours été frappé par le fait que les décisions que j'avais à prendre, n'étaient pas mes propres décisions. S'il y a quelque part un dilemme, je me contente d'attendre sans plus m'en préoccuper et j'aspire à ce que vienne d'elle-même l'évidence d'une décision. Une telle évidence n'a rien d'intellectuel, elle est plutôt de nature instinctive. Dire que l'on est ensuite en mesure de la justifier de façon satisfaisante est alors une autre question. (Dietrich Bonhoeffer, "Journal", à Barcelone)>>.
(b) Une situation cruciale, comme la croix d'un carrefour ou la croisée des chemins, est une situation (lieu) où il faut prendre une décision, même au hasard.
(c) Dans "Folie et Déraison, Histoire de la folie à l'âge classique" (Paris, Plon, 1961), Michel Foucault situe à l'âge classique une décision (de la raison) qui fait divorcer la raison de la folie, à partir d'un fond commun, un logos qui ne se serait pas connu de contraire.
- <<A défaut de cette inaccessible pureté primitive [de la folie], l'étude structurale doit remonter vers la décision qui lie et sépare à la fois raison et folie ; elle doit tendre à découvrir l'échange perpétuel, l'obscure racine commune, l'affrontement originaire qui donne sens à l'unité aussi bien qu'à l'opposition du sens et de l'insensé. (Michel foucault, "Folie et Déraison, Histoire de la folie à l'âge classique")>>.
- <<Par conséquent, si la décision par laquelle la raison se constitue en excluant et en objectivant la subjectivité libre de la folie, si cette décision est bien l'origine de l'histoire, si elle est l'historicité elle-même, la condition du sens et du langage, la condition de la tradition du sens, la condition de l'oeuvre, si la structure d'exclusion est structure fondamentale de l'historicité, alors le moment "classique" de cette exclusion, celui que décrit Foucault, n'a ni privilège absolu ni exemplarité archétypique. C'est un exemple comme échantillon et non comme modèle. (Jacques Derrida, "L'Ecriture et la différence", Point, Seuil, 1967, page 67)>>.
(d) Certaines bifurcations ne ressemblent pas au modèle de la décision.
- <<- Vous n'avez, pour une fois, qu'à ne rien dire du tout à Aliona Ivanovna, interrompit le mari, voilà ce que je vous conseille ; et venez chez nous sans lui en demander la permission. L'affaire est avantageuse, et plus tard la soeurette le verra bien.
- Vraiment, je dois...
- Mais oui, demain, vers sept heures ; et de chez eux aussi quelqu'un viendra ; vous déciderez vous-même.
- Et on mettra le samovar, ajouta la femme.
- Bien, je viendrai, prononça Elisabeth, toujours hésitante ; et, lentement, elle se mit en marche.
Raskolnikov, qui était passé, n'en entendit pas davantage. Il était passé silencieusement, sans se faire remarquer, mais en s'efforçant de ne pas perdre un seul mot. A la stupeur, peu à peu, succédait en lui l'effroi ; il lui semblait que son dos était parcouru d'un frisson glacé. Il venait d'apprendre, d'apprendre tout à coup, et de la façon la plus imprévue, que le lendemain, à sept heures précises du soir, Elisabeth, soeur et unique compagne de la vieille, ne serait pas à la maison, et que, par conséquent, à sept heures précises du soir, elle se trouverait seule à la maison. Il ne lui restait plus que quelques pas à faire pour atteindre son logis. Il rentra chez lui comme un condamné à mort. Il ne raisonnait plus, en était du reste incapable, mais il sentait, avec tout son être, qu'il n'avait plus ni liberté de jugement, ni volonté, et que tout, soudain, venait d'être irrévocablement décidé. Certes, si même il avait dû, pour mettre son projet à exécution, attendre des années, même alors il n'aurait pu compter sur une circonstance plus manifestement favorable à la réussite de son projet que celle qui venait brusquement de s'offrir à lui. En tout cas il lui eût été difficile de savoir la veille, et à coup sûr, avec autant de précision et aussi peu de risques, sans devoir recourir à des questions et enquêtes forcément dangereuses, que le lendemain, à telle heure, telle vieille qu'il avait décidé d'assassiner serait chez elle, seule, toute seule. (Dostoïevski, "Crime et Châtiment", 1866, traduction d'Arthur Adamov, éditions Rencontre, Lausanne, 1967, tome I, pages 124-125)>>.
(e) Décision unique ou décisions cumulatives ?
- <<La question de la décision du génocide reste objet de discussion, même si le débat a perdu beaucoup de l'aspérité qui le caractérisait lorsqu'il mettait aux prises Eberhard Jackel, Martin Broszat ou Hans Mommsen. Plus personne ne conteste vraiment aujourd'hui la responsabilité de Hitler, mais les débats portent sur le moment précis, la chaîne de la décision et la nature des motivations du Führer. Les uns la situent au début de 1941, la conquête prochaine de l'URSS impliquant le passage de la «solution territoriale» à la «solution finale» ; les autres dans l'hiver 1941, quand la campagne à l'Est connaît ses premiers ratés. Pour Christopher Browning, les instructions fournies aux Einsatzgruppen le 3 mars 1941 - donc avant même le lancement de l'attaque contre l'URSS - confient déjà à ces «groupes d'intervention» des «campagnes spéciales» visant l'élimination des communistes et des «éléments criminels». Raoul Hilberg ("la destruction des juifs d'Europe", Fayard, 1988) parle de la "cristallisation de la mi-41" pour désigner le moment où le processus trouve sa cohérence et se constitue en système. Aujourd'hui, le basculement dans l'extermination apparaît donc plutôt comme la conséquence d'une «radicalisation cumulative» qui s'est achevée avant la célèbre conférence de Wannsee du 20 janvier 1942. (Enrique Leon, "Le nazisme : controverses et interprétations", III, Vraies et fausses querelles, 5, Autour de la Shoah, document du web)>>.
(f) Voir Croix du treyve. Décision et coopération. Décideur. Décisif. Décision et exécution. Décision manquée. Décisions muettes. Décisions opérationnelles. Décisions réversibles. Treyve. Trivium.
(g) Lire "Décision Représentation". "Secrétaires Décision".
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Mis en ligne le Jeudi 3 Juillet 2008
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