(A) Généralités.
(a) L'adjectif <contraire>, terme de 1080 dans "La Chanson de Roland", signifie "qui est en opposition".
- <<Si je remplis ce serment sans l'enfreindre, qu'il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais des hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire. (Hippocrate, "Serment du médecin")>>.
(b) Le nom masculin <contraire> signifie "l'opposé".
(c) L'expression <au contraire> signifie "tout autrement", "loin de là".
(d) Etymologie. L'adjectif latin <contrarius, a, um> signifie "situé en face", "qui est en sens contraire", "opposé", "qui contraste avec". Les substantifs singulier <contrarium, ii> et pluriel <contraria, orum> signifient "contraire", "contraste".
(e) Voir A partir d'un mot.
(B) Développement.
(a) Le contraire d'une idée ou d'une chose est son opposé. La logique de l'identité exclut qu'une chose ait un attribut et le contraire de celui-ci. Ce qui impose que chaque entité ait un contraire, au moins potentiellement.
(b) Le sens des mots utilise des oppositions paradigmatiques. Le sens de <haut> s'oppose à celui de <bas>, comme <droit> s'oppose à <gauche>. Mais la manière dont les hommes classent leurs mots et leurs significations n'est pas un reflet automatique ni fidèle de la réalité.
(c) La réalité inclut la coexistence des contraires, ceux que la logique d'identité s'efforce de dissocier par la pensée.
(d) Dans le théâtre de William Shakespeare, le point commun de Coriolan (de Rome) et de Timon d'Athènes est de ne pas pouvoir penser simultanément les contraires ou les différences :
- Passionné et obnubilé par le monde de la guerre, Coriolan est sourd au monde de l'amour et méprisant à l'égard du monde du travail.
- Désireux de voir le bien et de faire le généreux par ses dons, le "premier" Timon ne voit pas l'hypocrisie ni la nécessité de gérer son budget.
(e) <Au contraire> est une formule de rhétorique, qui met fin à la thèse et débute l'exposé de l'antithèse. Sa formulation latine est <videtur quod non>.
(f) L'usage des contrastes est une des figures de rhétorique.
- <<Il se trouvait donc que j'avais sous les yeux un tableau qui contrastait avec celui d'Holbein, quoique ce fût une scène pareille. Au lieu d'un triste vieillard, un homme jeune et dispos ; au lieu d'un attelage de chevaux efflanqués et harassés, un double quadrige de boeufs robustes et ardents ; au lieu de la mort, un bel enfant ; au lieu d'une image de désespoir et d'une idée de destruction, un spectacle d'énergie et une pensée de bonheur. (George Sand, "La Mare au Diable", 1846, chapitre II)>>.
(g) La dialectique admet la coexistence, voire l'identité des contraires.
- <<Ceux qui nient que le monde ait été créé pour Dieu et pour les hommes, et que les choses d'ici-bas soient gouvernées par la Providence, croient mettre en avant un argument bien fort lors qu'ils disent : «S'il y avait une Providence, le mal n'existerait pas. Rien, en effet, ajoutent-ils, n'est moins eu harmonie avec l'action d'une Providence que ce nombre infini de souffrances et de maux répandus dans ce monde, si, comme on le dit, il a été fait pour l'homme.» Chrysippe, en réfutant cette doctrine dans le quatrième livre de son traité sur la Providence, dit : «Rien n'est plus absurde que l'opinion de ces hommes qui croient que le bien peut exister sans le mal : car le bien étant le contraire du mal, il faut qu'ils existent ensemble, opposés l'un à l'autre, et appuyés, pour ainsi dire, sur leur mutuel contraste. Deux contraires, en effet, ne peuvent exister l'un sans l'autre, Ainsi, comment pourrions-nous avoir la notion de la justice, si l'injustice n'existait pas ? En d'autres termes : Qu'est-ce que la justice, en l'absence de l'injustice ? comment pourrions-nous comprendre le courage, si nous ne lui opposions la lâcheté ? la tempérance sans son contraire, l'intempérance ? la prudence, sans l'imprudence ? Pourquoi, ajoute Chrysippe, ces hommes insensés ne désirent-ils pas aussi que la vérité existe sans le mensonge ? Donc, ici-bas le bien et le mal, le bonheur et le malheur, la douleur et le plaisir sont inséparables l'un et l'autre, comme le dit Platon, sont liés étroitement par des extrémités contraires : on ne peut détruire l'un sans détruire en même temps l'autre» Dans le même livre, Chrysippe discute et examine cette question qui lui paraît digne d'attention : «Si les maladies qui attaquent l'homme sont inhérentes à sa nature,» c'est-à-dire si c'est la puissance appelée nature des choses ou Providence, puissance ordonnatrice de l'ensemble de l'univers et créatrice de l'homme, qui a produit les maladies, les infirmités, les souffrances dont l'homme est assiégé. Or, Crysippe pense que le but principal de la nature n'a pas été d'assujettir l'homme à la maladie ; car un tel dessein ne pouvait convenir à la nature, auteur et mère de toutes bonnes choses. «Mais en créant, dit-il, en formant une abondance de choses grandes, utiles, avantageuses, elle produisit, sans le vouloir, des maux inévitables inhérents aux avantages dont elle dotait l'espèce humaine ; maux qu'elle n'a point voulu créer, mais sont une conséquence nécessaire, un accompagnement fatal, ce que Chrysippe appelle katoe parakoloæyhsin, selon la conséquence.» Ainsi, dit-il, lorsque la nature forma le corps humain, une raison supérieure, des vues bienfaisantes l'engagèrent à former notre tête avec des os très minces et très délicats. Mais elle ne put remplir la grandeur de ses desseins en faveur de l'homme sans qu'il s'ensuivit un danger à l'extérieur : la tête, préservée que par une faible cloison, peut être endommagée par un choc, par la moindre atteinte. Ainsi les maladies et les souffrances qui atteignant l'homme sont toujours le résultat des plus tendres précautions de la nature. De même, pour Hercule, ajoute Chrysippe, tandis que la nature met dans l'homme l'amour de la vertu, les vices viennent germer à côté, par l'affinité des contraires.» (Aulu-Gelle, "Les Nuits attiques", Livre VI, I. De quelle manière Chrysippe réfutait ceux qui niaient l'existence de la Providence.)>>.
(h) Voir Adjectif non marqué. Amour et haine. Ambivalence. Antanaclase. Approbation du réel. Attentif à tout ce qui est. Axes du carré sémiotique. Bon objet. Carré sémiotique. Ironie. Mensonge. Paradoxe. Savoir et ne pas savoir. Videtur quod non.
(i) Lire "Crise Salariat".
(C) Références littéraires :
(a) Des vents contraires soufflent dans le sens opposé à celui dans lequel le capitaine du navire à voile voudrait se déplacer.
- <<Il y a l'un de leurs amis, qu'ils cognoissent mieux que moy, qui s'escrie à ce propos, que la science la plus importante qui soit en nostre usage, comme celle qui a charge de nostre conservation et santé, c'est de mal'heur, la plus incertaine, la plus trouble, et agitée de plus de changemens. Il n'y a pas grand danger de nous m'escomter à la hauteur du Soleil, ou en la fraction de quelque supputation astronomique: mais icy, où il va de tout nostre estre, ce n'est pas sagesse, de nous abandonner à la mercy de l'agitation de tant de vents contraires. (Michel Eyquem, seigneur de Montaigne, "Les Essais", 1595, Livre II, Chapitre XXXVII, De la ressemblance des enfans aux peres)>>.
- <<Télémaque ne répondait à ce discours que par des soupirs. Quelquefois il aurait souhaité que Mentor l'eût arraché malgré lui de l'île ; quelquefois il lui tardait que Mentor fût parti, pour n'avoir plus devant ses yeux cet ami sévère qui lui reprochait sa faiblesse. Toutes ces pensées contraires agitaient tour à tour son coeur, et aucune n'y était constante : son coeur était comme la mer, qui est le jouet de tous les vents contraires. Il demeurait souvent étendu et immobile sur le rivage de la mer, souvent dans le fond de quelque bois sombre, versant des larmes amères et poussant des cris semblables aux rugissements d'un lion. Il était devenu maigre ; ses yeux creux étaient pleins d'un feu dévorant ; à le voir pâle, abattu et défiguré, on aurait cru que ce n'était point Télémaque. Sa beauté, son enjouement, sa noble fierté s'enfuyaient loin de lui. Il périssait, tel qu'une fleur, qui, étant épanouie le matin, répandait ses doux parfums dans la campagne et se flétrit peu à peu vers le soir : ses vives couleurs s'effacent ; elle languit, elle se dessèche et sa belle tête se penche, ne pouvant plus se soutenir ; ainsi le fils d'Ulysse était aux portes de la mort. (François de Salignac de la Mothe-Fénelon, "Les Aventures de Télémaque", 1699, Livre VI)>>.
- <<La vente du peu de bien qui me restait, et que je cédai à mon frère, les longs préparatifs d'un convoi, les vents contraires, me retinrent longtemps dans le port. J'allais chaque matin m'informer des nouvelles d'Amélie, et je revenais toujours avec de nouveaux motifs d'admiration et de larmes. (François-René de Châteaubriand, "René", 1802)>>.
- <<- Oui, quatre-vingts jours ! s'écria Andrew Stuart, qui, par inattention, coupa une carte maîtresse, mais non compris le mauvais temps, les vents contraires, les naufrages, les déraillements, etc.
- Tout compris, répondit Phileas Fogg en continuant de jouer, car, cette fois, la discussion ne respectait plus le whist.
- Même si les Indous ou les Indiens enlèvent les rails ! s'écria Andrew Stuart, s'ils arrêtent les trains, pillent les fourgons, scalpent les voyageurs ! (Jules Verne, "Le tour du monde en quatre-vingt jours", 1873, Chapitre 3. Où s'engage une conversation qui pourra coûter cher à Phileas Fogg)>>.
(b) Le meilleur moyen d'inverser les vents est de sacrifier une jeune fille, si possible nommée Iphigénie, au dieu Eole.
(c) Un destin contraire s'oppose à la réalisation des projets.
- <<Eliante
Pour moi, je n'en fais point de façons, et je croi
Qu'on doit, sur de tels points, être de bonne foi :
Je ne m'oppose point à toute sa tendresse ;
Au contraire, mon coeur pour elle s'intéresse ;
Et si c'étoit qu'à moi la chose pût tenir,
Moi-même à ce qu'il aime on me verroit l'unir.
Mais si dans un tel choix, comme tout se peut faire,
Son amour éprouvoit quelque destin contraire,
S'il falloit que d'un autre on couronnât les feux,
Je pourrois me résoudre à recevoir ses voeux ;
Et le refus souffert, en pareille occurrence,
Ne m'y feroit trouver aucune répugnance.
(Molière, "Le Misanthrope", 1666, Acte IV, Scène I)>>.
- <<Il me fit un tableau vrai de la vie humaine, dont je n'avais que de fausses idées ; il me montra comment, dans un destin contraire, l'homme sage peut toujours tendre au bonheur et courir au plus près du vent pour y parvenir ; comment il n'y a point de vrai bonheur sans sagesse, et comment la sagesse est de tous les états. Il amortit beaucoup mon admiration pour la grandeur en me prouvant que ceux qui dominaient les autres n'étaient ni plus sages ni plus heureux qu'eux. (Jean-Jacques Rousseau, "Les Confessions", 1782, Partie I, Livre III)>>.
(d) Un sort contraire ou néfaste est un coup du destin, une punition des dieux.
- <<Par un sort contraire, Oreste persécuté, jeune encore, se réfugia au pied du mont Parnasse, dans la demeure du vieillard Strophius père de son ami. Mais à peine y eut-il atteint la force de l'âge qu'il sacrifia de sa main une mère dénaturée et qu'il mit le coupable Egiste au nombre de ses victimes. Ici, ô mes amis, ne vous semble-t-il pas qu'après avoir pris un chemin droit, je m'embarrasse dans des voies détournées ; comme si les vents eussent entraîné ma barque loin du terme de sa navigation ? Cependant, ô ma muse, ô toi qui ne connus point l'appât d'un gain mercenaire, il t'est permis d'ajouter quelques ornements étrangers aux éloges d'un père couronné dans les jeux pythiques et de son fils Thrasydée tous deux couverts de gloire et brillants de joie. (Pindare, "Odes", Onzième ode phythique)>>.
- <<Au Roi.
Vous les préviendrez, Sire ; et par un juste arrêt
Vous saurez embrasser bien mieux son intérêt.
Ce qu'il a fait pour elle, il peut encor le faire :
Il peut la garantir encor d'un sort contraire.
Sire, ne donnez rien à mes débiles ans :
Rome aujourd'hui m'a vu père de quatre enfants ;
Trois en ce même jour sont morts pour sa querelle ;
Il m'en reste encore un, conservez-le pour elle :
N'ôtez pas à ses murs un si puissant appui ;
Et souffrez, pour finir, que je m'adresse à lui.
(Pierre Corneille, "Horace", Acte V, Scène III, Le Vieil Horace)>>.
Nota Bene. Les mots en gras sont tous définis sur le cédérom encyclopédique.