Parlure


(a) Une parlure est une manière de parler, une tournure de phrase ou une expression propre à une région (suis tanné, C'est pas si pire, Envoye-donc, T'es ben fin, à soir, à bonne heure, icitte, y s'en vient-tu ?, on y va-tu ?) ou à une catégorie sociale.


- <<La parlure permet de caractériser le parler d'une classe sociale ; par extension, le terme désigne les particularités d'expression d'un personnage>>.


(b) Comme l'attitude et la posture, une parlure et un accent dénotent une origine et une appartenance.


- <<A son arrivée à Montreuil-sur-mer, il n'avait que les vêtements, la tournure et le langage d'un ouvrier. Il paraît que, le jour même où il faisait obscurément son entrée dans la petite ville de Montreuil-sur-mer, à la tombée d'un soir de décembre, le sac au dos et le bâton d'épine à la main, un gros incendie venait d'éclater à la maison commune. Cet homme s'était jeté dans le feu, et avait sauvé, au péril de sa vie, deux enfants qui se trouvaient être ceux du capitaine de gendarmerie ; ce qui fait qu'on n'avait pas songé à lui demander son passeport. Depuis lors, on avait su son nom. Il s'appelait le père Madeleine. (Victor Hugo, "Les Misérables", 1862, Partie I, Fantine, Livre I, La descente, Chapitre 1. Histoire d'un progrès dans les verroteries noires)>>.


(c) Etymologie. <Parlure> est construit sur le verbe <parler>. Le suffixe <ure>, qui donne au mot le genre féminin (ébarbure, palmature, filature), "sert généralement à signaler la trace laissée par quelque action".


(d) On évoque particulièrement la parlure québécoise, car <parlure> est un idiome du Québec.


- <<Je n'en peux plus d'entendre partout, incluant la radio et la télé de Radio-Canada utiliser les mots : "c'est quoi", "c'est quoi qui", "c'est quoi que", pour introduire une phrase interrogative. Je viens d'entendre un court message à la télé pour m'inviter à écouter "La Semaine Verte" et dans le texte on termine ainsi : "c'est quoi le problème ?" J'ai eu à me battre avec cette tournure de phrase dans l'enseignement alors que j'avais des stagiaires. Et, c'était toujours l'étonnement. "Cé où la faute ?" (Huguette Bellisle, posté sur le Forum "Indicatif présent" de Radio-Canada.ca)>>.


(e) A Saint-Jean-Soleymieux, on parle le patois.


- En Berry, on parle la parlure.


- Au Poitou on parle le parlange.


- A Saint-Etienne, on parle le gaga.


(f) Au Québec, on parle le joual.


- <<Il s'est fait encore enfirouaper par les belles paroles de ce maître-chanteur>>.


- <<Fais toé-z-en pas, mon tchomme>>.


- <<Le vocabulaire québécois est riche de mots liés à son histoire, on retrouve à travers la parlure québécoise :

- des régionalismes français, c'est-à-dire des emprunts faits aux divers patois connus des colons : bavasser (bavarder, dire des médisances) ; la boucane (fumée) ; la broue (mousse) ; la brunante (crépuscule) ; maganer (abîmer, maltraiter) ; une patate (pomme de terre) ; etc.

- des emprunts faits à la langue amérindienne : un achigan (un poisson) ; un atoka (canneberge) ; la babiche (lanière de cuir cru), etc.

- des québécismes, c'est-à-dire des mots ou expressions propres au français du Québec : bûcher (abattre un arbre, couper du bois) ; il mouille (il pleut) ; la poudrerie (fine neige tourbillonnante) ; une secousse (un certain temps) ; le solage d'une maison (les fondations) ; une tuque (un bonnet de laine) ; etc. ("La Parlure québecoise")>>.


- <<Samuel Chapdelaine et Maria allèrent dîner avec leur parente Azalma Larouche, chez qui ils avaient passé la nuit. Il n'y avait là avec eux que leur hôtesse, veuve depuis plusieurs années, et le vieux Nazaire Farouche, son beau-frère. Azalma était une grande femme plate, au profil indécis d'enfant, qui parlait très vite et presque sans cesse tout en préparant le repas dans la cuisine. De temps à autre, elle s'arrêtait et s'asseyait en face de ses visiteurs, moins pour se reposer que pour donner à ce qu'elle allait dire une importance spéciale ; mais presque aussitôt l'assaisonnement d'un plat ou la disposition des assiettes sur la table réclamaient son attention, et son monologue se poursuivait au milieu des bruits de vaisselle et de poêlons secoués. La soupe aux pois fut bientôt prête et servie. Tout en mangeant, les deux hommes parlèrent de l'avancement de leurs terres et de l'état de la glace du printemps.

- Vous devez être bons pour traverser à soir, dit Nazaire Larouche, mais ce sera juste et je calcule que vous serez à peu près les derniers. Le courant est fort au-dessous de la chute, et il a déjà plu trois jours.

- Tout le monde dit que la glace durera encore longtemps, répliqua sa belle-soeur. Vous avez beau coucher encore icitte à soir tous les deux, et après souper les jeunes gens du village viendront veiller. C'est bien juste que Maria ait encore un peu de plaisir avant que vous l'emmeniez là-haut dans le bois.

- Elle a eu suffisamment de plaisir à Saint-Prime, avec des veillées de chants et de jeux presque tous les soirs. Nous vous remercions, mais je vais atteler de suite après le dîner, pour arriver là-bas à bonne heure.

Le vieux Nazaire Larouche parla du sermon du matin, qu'il avait trouvé convaincant et beau ; puis, après un intervalle de silence, il demanda brusquement :

- Avez-vous cuit ?

Sa belle-soeur, étonnée, le regarda quelques instants, et finit par comprendre qu'il demandait ainsi du pain. Quelques instants plus tard, il interrogea de nouveau :

- Votre pompe, elle marche-t-y bien ?

Cela voulait dire qu'il n'y avait pas d'eau sur la table. Azalma se leva pour aller en chercher, et derrière son dos le vieux adressa à Maria Chapdelaine un clin d'oeil facétieux.

- Je lui conte ça par paraboles, chuchota-t-il. C'est plus poli.

(Louis Hémon, 1880-1913, "Maria Chapdelaine", 1914-1916)>>.


(g) Références d'usage du terme :


- <<À partir du Ve siècle, en Gaule, l'enjeu social des idiomes prend une disposition des plus originales, figure exemplaire de ce qu'est, dans son fond, l' "influence" linguistique. Les envahisseurs adoptent certes la langue des envahis, comme idiome second puis premier, mais, grâce à leur position sociale, ils imposent leur parlure. Ce n'est pas le gallo-roman des Gallo-Romains qui s'imprègne d'éléments germaniques ; c'est le gallo-roman des seigneurs germaniques, donné à entendre et valorisé par eux, qui devient la norme, et chasse l'autre. Les déformations opérées par les Francs acquièrent un prestige social : elles émanent de la classe dirigeante, elles en sont la marque, voire la distinction. De ce bilinguisme socialement orienté procède par suite un gallo-roman nettement transformé par les Francs. Le français, si l'on ose dire, est du francé. (Bernard Cerquiglini, "L'accent du souvenir", pages 14-15)>>.


- <<Puis, le couple étriqué d'Arthur et Germaine se disloque. Ils durent et s'écorchent pendant quarante ans. Au moment où Pauline ressurgit dans la vie d'Arthur pour lui offrir la paix, il sombre dans la détresse. Oiseau sans parlure, toujours ballotté par les vents de travers, il se lance sur la piste enfiévrée d'un trésor éphémère. Croyant trouver une fortune enterrée dans la cave de sa maison, il creuse la métaphore de sa vie et déterre sa souffrance à l'état pur. Il n'aura que mendié sa place au soleil, mettant plus de soixante ans à la trouver dans la simplicité de l'amour de Pauline. (Réal Burelle, "Un ruisseau à rebours", roman, présentation)>>.


- <<Si par le fond, la parlure québécoise demeure bien française - surtout française du dix-septième, avec des mots maintenant désuets chez l'ancienne mère-patrie – avec ses locutions d'une archaïque saveur, elle s'est enrichie de nombreux canadianismes que lui ont prodigués la si individuelle nature américaine, puis l'industrie, dans les villes surtout, la vie parlementaire et les autres institutions britanniques l'ont déjà fatalement imprégnée de mots, d'expressions qu'il lui est maintenant impossible de récuser. (Emile Miller)>>.


- <<Après sa victoire à Hastings sur les Saxons, Guillaume le Conquérant s'installe en Grande-Bretagne et impose sa langue, le normand (langue d'oïl de l'ancien français), comme langue de la cour ; ce faisant, il modifie profondément la langue anglaise : les emprunts se font très nombreux et souvent doublonnent avec des mots de radical germanique. Le mot saxon est parlé par le peuple, alors que le terme français est souvent lié au registre soutenu ou à la parlure des nobles. (Wikipédia, article "Anglais")>>.


- <<On peut caractériser le développement de la francophonie par la superposition d'une parlure particulière ― celle de la bourgeoisie parisienne cultivée ― sur les autres variétés issues comme elle du fonds gallo-roman (oïl). Dans un premier temps, cette parlure s'étendit dans les zones périphériques de tradition française d'Europe (Belgique, Suisse romande, val d'Aoste), puis dans les territoires d'outre-mer où avaient été transplantés des parlers régionaux lors de la première expansion coloniale française (Acadie, Canada, Louisiane, Antilles, Mascareignes). Dans un deuxième temps, cette parlure s'implanta dans des régions non romanophones où le français avait pris pied comme langue administrative (Maghreb, Afrique noire, Madagascar, Indochine, etc.). La suprématie du français standard hexagonal se maintint jusqu'à la deuxième moitié de notre siècle. Au Québec par exemple, l'idéologie du «rattrapage» industriel et culturel qui sévit entre 1945 et 1960 s'accompagna d'une recrudescence du purisme et de l'idéalisation du français de France dont l'envers fut le mépris des variétés locales symbolisé par l'emploi du terme joual pour désigner celles d'entre elles en usage dans les couches sociales inférieures (Corbeil, 1976). Mais à partir de 1970 se développa l'idéologie du «dépassement» qui se marqua sur le plan linguistique par la revalorisation des variétés québécoises du français. L'un des aspects de cette revalorisation fut l'emploi par certains auteurs des variétés les plus stigmatisées recouvertes par la désignation de joual (Bélanger, 1972). (Albert Valdman, Conseil Supérieur de la Langue Française, Québec, "Normes locales et francophonie", document du web)>>.


(h) Voir A partir d'un mot. Blonde. Chum. Erre. Charrette. Forez. Locution. Loge. Se croire sorti de la cuisse de Jupiter. Tournure de langage.



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