Imagination


(a) L'imagination est la capacité d'un individu à produire des virtualités dans son imaginaire. Cette capacité est déjà très développée par Homo ergaster, dans la mise en oeuvre de ses outils de pierre taillée, caractéristiques de l'Acheuléen.


(b) L'imagination est à la base des représentations mentales i.e. la reconstitution de la réalité à l'intérieur de la pensée individuelle.


(c) L'imagination est une capacité et une activité spontanée (cauchemard, rêve, rêverie, fantasme) de notre cerveau trompeur. Elle peut être mobilisée et surtout récupérée par une attention conscience, dans un but de conception, d'invention de solution, de ruse, de stratagème et d'innovation économique ou sociale.


- << Imagination. C'est cette partie dominante dans l'homme, cette maîtresse d'erreur et de fausseté, et d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours, car elle serait règle infaillible de vérité si elle l'était infaillible du mensonge. Mais étant le plus souvent fausse, elle ne donne aucune marque de sa qualité, marquant du même caractère le vrai et le faux. Je ne parle pas des fous, je parle des plus sages et c'est parmi eux que l'imagination a le grand droit de persuader les hommes. La raison a beau crier, elle ne peut mettre le prix aux choses. Cette superbe puissance ennemie de la raison, qui se plaît à la contrôler et à la dominer, pour montrer combien elle peut en toutes choses, a établi dans l'homme une seconde nature. Elle a ses heureux, ses malheureux, ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres. Elle fait croire, douter, nier la raison. Elle suspend les sens, elle les fait sentir. Elle a ses fous et ses sages, et rien ne nous dépite davantage que de voir qu'elle remplit ses hôtes d'une satisfaction bien autrement pleine et entière que la raison. Les habiles par imagination se plaisent tout autrement à eux-mêmes que les prudents ne se peuvent raisonnablement plaire. Ils regardent les gens avec empire, ils disputent avec hardiesse et confiance, les autres avec crainte et défiance. Et cette gaieté de visage leur donne souvent l'avantage dans l'opinion des écoutants, tant les sages imaginaires ont de faveur auprès de leurs juges de même nature. Elle ne peut rendre sages les fous, mais elle les rend heureux, à l'envi de la raison, qui ne peut rendre ses amis que misérables, l'une les couvrant de gloire, l'autre de honte. Qui dispense la réputation, qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imaginante? Combien toutes les richesses de la terre insuffisantes sans son consentement. Ne diriez-vous pas que ce magistrat dont la vieillesse vénérable impose le respect à tout un peuple se gouverne par une raison pure et sublime et qu'il juge des choses par leur nature sans s'arrêter à ces vaines circonstances qui ne blessent que l'imagination des faibles? Voyez-le entrer dans un sermon où il apporte un zèle tout dévot, renforçant la solidité de sa raison par l'ardeur de sa charité. Le voilà prêt à l'ouïr avec un respect exemplaire. Que le prédicateur vienne à paraître, si la nature lui a donné une voix enrouée et un tour de visage bizarre, que son barbier l'ait mal rasé, si le hasard l'a encore barbouillé de surcroît, quelques grandes vérités qu'il annonce, je parie la perte de la gravité de notre sénateur. Le plus grand philosophe du monde sur une planche plus large qu'il ne faut, s'il y a au-dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra. Plusieurs n'en sauraient soutenir la pensée sans pâlir et suer. Je ne veux pas rapporter tous ses effets. Qui ne sait que la vue des chats, des rats, l'écrasement d'un charbon, etc. emportent la raison hors des gonds. Le ton de voix impose aux plus sages et change un discours et un poème de force. L'affection ou la haine changent la justice de face. Et combien un avocat bien payé par avance trouve-t-il plus juste la cause qu'il plaide ! Combien son geste hardi la fait-il paraître meilleure aux juges dupés par cette apparence ! Plaisante raison qu'un vent manie et à tout sens ! Je rapporterais presque toutes les actions des hommes, qui ne branlent presque que par ses secousses. Car la raison a été obligée de céder, et la sage prend pour ses principes ceux que l'imagination des hommes a témérairement introduits en chaque lieu. (Il faut, puisqu'il y a plu, travailler tout le jour pour des biens reconnus pour imaginaires. Et quand le sommeil nous a délassés des fatigues de notre raison, il faut incontinent se lever en sursaut pour aller courir après les fumées et essuyer les impressions de cette maîtresse du monde.) Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines dont ils s'emmaillotent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet appareil auguste était fort nécessaire. Et si les médecins n'avaient des soutanes et des mules et que les docteurs n'eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n'auraient dupé le monde, qui ne peut résister à cette montre si authentique. S'ils avaient la véritable justice et si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n'auraient que faire de bonnets carrés. La majesté de ces sciences serait assez vénérable d'elle-même. Mais n'ayant que des sciences imaginaires il faut qu'ils prennent ces vains instruments, qui frappent l'imagination, à laquelle ils ont affaire. Et par là en effet ils attirent le respect. Les seuls gens de guerre ne se sont pas déguisés de la sorte, parce qu'en effet leur part est plus essentielle. Ils s'établissent par la force, les autres par grimace. C'est ainsi que nos rois n'ont pas recherché ces déguisements. Ils ne se sont pas masqués d'habits extraordinaires pour paraître tels, mais ils se sont accompagnés de gardes, de hallebardes. Ces troupes armées qui n'ont de mains et de force que pour eux, les trompettes et les tambours qui marchent au-devant et ces légions qui les environnent font trembler les plus fermes. Ils n'ont pas l'habit seulement, ils ont la force. Il faudrait avoir une raison bien épurée pour regarder comme un autre homme le Grand Seigneur environné, dans son superbe Sérail, de quarante mille janissaires. Nous ne pouvons pas seulement voir un avocat en soutane et le bonnet en tête sans une opinion avantageuse de sa suffisance. L'imagination dispose de tout. Elle fait la beauté, la justice et le bonheur qui est le tout du monde. (Blaise Pascal, "Pensées", III. Vanité. )>>.


(d) L'imagination permet aussi la perte de la réalité. C'est le cas du fou, de l'amoureux et du poète.


- <<HIPPOLYTE. — C'est bien étrange, mon Thésée, ce que racontent ces amants.

THÉSÉE. — Plus étrange que vrai. Je ne pourrai jamais croire à ces vieilles fables, à ces contes de fée. Les amoureux et les fous ont des cerveaux bouillants, des fantaisies visionnaires qui perçoivent ce que la froide raison ne pourra jamais comprendre. Le fou, l'amoureux et le poète sont tous faits d'imagination. L'un voit plus de démons que le vaste enfer n'en peut contenir, c'est le fou ; l'amoureux, tout aussi frénétique, voit la beauté d'Hélène sur un front égyptien ; le regard du poète, animé d'un beau délire, se porte du ciel à la terre et de la terre au ciel ; et, comme son imagination donne un corps aux choses inconnues, la plume du poète leur prête une forme et assigne au néant aérien une demeure locale et un nom. Tels sont les caprices d'une imagination forte ; pour peu qu'elle conçoive une joie, elle suppose un messager qui l'apporte. La nuit, avec l'imagination de la peur, comme on prend aisément un buisson pour un ours !

HIPPOLYTE. — Oui, mais tout le récit qu'ils nous ont fait de cette nuit, de la transfiguration simultanée de toutes leurs âmes, est plus convaincant que de fantastiques visions ; il a le caractère d'une grande consistance, tout étrange et tout merveilleux qu'il est. ("Le Songe d'une nuit d'été", Acte V, Scène I, in "Théâtre complet", Shakespeare, traduction de François-Victor Hugo, Garnier, Paris, 1961, tome I, pages 994-995)>>.


(e) Illustration littéraire des effets cumulés de la peur et de l'imagination.


- <<Ce désastre inattendu avait laissé à découvert une vaste étendue de frontières, et des maux plus réels étaient précédés par l'attente de mille dangers imaginaires. Les colons alarmés croyaient entendre les hurlements des sauvages se mêler à chaque bouffée de vent qui sortait en sifflant des immenses forêts de l'ouest. Le caractère effrayant de ces ennemis sans pitié augmentait au delà de tout ce qu'on pourrait dire les horreurs naturelles de la guerre. Des exemples sans nombre de massacres récents étaient encore vivement gravés dans leur souvenir ; et dans toutes les provinces il n'était personne qui n'eût écouté avec avidité la relation épouvantable de quelque meurtre commis pendant les ténèbres, et dont les habitants des forêts étaient les principaux et les barbares acteurs. Tandis que le voyageur crédule et exalté racontait les chances hasardeuses qu'offraient les déserts, le sang des hommes timides se glaçait de terreur, et les mères jetaient un regard d'inquiétude sur les enfants qui sommeillaient en sûreté, même dans les plus grandes villes. En un mot, la crainte, qui grossit tous les objets, commença à l'emporter sur les calculs de la raison et sur le courage. Les coeurs les plus hardis commencèrent à croire que l'événement de la lutte était incertain, et l'on voyait s'augmenter tous les jours le nombre de cette classe abjecte qui croyait déjà voir toutes les possessions de la couronne d'Angleterre en Amérique au pouvoir de ses ennemis chrétiens, ou dévastées par les incursions de leurs sauvages alliés. (James Fenimore Cooper, "Le Dernier des Mohicans", Chapitre I)>>.

(f) Dans "Les Yeux bleus de Mistassini" de Jacques Poulin, le vieux libraire Jack Waterman, qui réside à Québec, s'imagine que Gabrielle Roy, romancière décédée dix ans plus tôt, réside dans une des pièces de son appartement. Il retrouve l'image des blés sous le vent qu'évoque l'auteure dans "La Detresse et l'Enchantement".


- <<Dans le parc Montmorency, il s'appuya le ventre au parapet en béton qui surplombait la falaise. Il se pencha au-dessus du vide, puis son regard se perdit dans le lointain.

- Elle revient d'un voyage dans l'Ouest, dit-il. Elle avait reçu un télégramme du Manitoba : sa mère venait de mourir. Alors elle a pris le train.

Je ne posai aucune question. Il raconta qu'elle avait passé son enfance dans cette région. C'était près de là que commençaient les grandes plaines couvertes de blé et inondées de soleil ; elles étaient si vastes qu'on ne pouvait les traverser en une seule journée et qu'on avait l'impression, lorsque les tiges ondulaient au vent, de se trouver en pleine mer, environné d'une houle qui courait vers le bout de l'horizon. (Jacques Poulin, "Les Yeux bleus de Mistassini", Actes Sud, 2002, page 38)>>.


(g) Autre référence littéraire :


- <<Malgré lui, l'horreur sacrée des bois l'envahissait et les grands arbres noirs inquiétaient son imagination. Il n'avait pas peur précisément, mais ses idées prenaient une pente assez lugubre. La marquise tardait un peu, et Diane laissait trop longtemps Endymion les pieds dans la rosée. A un certain instant il lui sembla entendre craquer une branche morte sous un pas assez lourd. Ce ne pouvait être celui de sa déesse. Les déesses glissent sur un rayon et elles touchent terre sans faire ployer la pointe d'une herbe. «Si la marquise ne se hâte pas de venir, au lieu d'un galant plein d'ardeur, elle ne trouvera plus qu'un amoureux transi, pensait Léandre ; ces attentes où l'on se morfond ne valent rien aux prouesses de Cythère.» Il en était là de ses réflexions, lorsque quatre ombres massives se dégageant d'entre les arbres et de derrière le piédestal de la statue, vinrent à lui d'un mouvement concerté. Deux de ces ombres qui étaient les corps de grands marauds, laquais au service du marquis de Bruyères, saisirent les bras du comédien, les lui maintinrent comme ceux des captifs qu'on veut lier, et les deux autres se mirent à le bâtonner en cadence. Les coups résonnaient sur son dos comme les marteaux sur l'enclume. Ne voulant point par ses cris attirer du monde et faire connaître sa mésaventure, le pauvre fustigé supporta héroïquement sa douleur. Mucius Scévola ne fit pas meilleure contenance le poing dans le brasier que Léandre sous le bâton. La correction finie, les quatre bourreaux lâchèrent leur victime, lui firent une profonde salutation et se retirèrent sans avoir sonné mot. (Théophile Gautier, "Le Capitaine Fracasse")>>.


(h) Où vont-ils imaginer tou ça ?


- <<C'était à qui renchérirait sur les données exactes du calcul, en les aggravant de dissertations plus ou moins fantaisistes. Mais, depuis longtemps, tous les journaux du monde, sans exception, étaient devenus de simples opérations mercantiles. La presse, qui avait rendu autrefois tant de services à l'affranchissement de la pensée humaine, à la liberté et au progrès, était à la solde des gouvernants et des gros capitalistes, avilie par des compromissions financières de tout genre. Tout journal était un mode de commerce. La seule question pour chacun d'eux se résumait à vendre chaque jour le plus grand nombre de feuilles possible et à faire payer leurs lignes par des annonces plus ou moins déguisées : «Faire des affaires», tout était là. Ils inventaient de fausses nouvelles qu'ils démentaient tranquillement le lendemain, minaient à chaque alerte la stabilité de l'État ; travestissaient la vérité, mettaient dans la bouche des savants des propos qu'ils n'avaient jamais tenus, calomniaient effrontément, déshonoraient les hommes et les femmes, semaient des scandales, mentaient avec impudeur, expliquaient les trucs des voleurs et des assassins et multipliaient les crimes sans paraître s'en douter, donnaient la formule des agents explosifs récemment imaginés, mettaient en péril leurs propres lecteurs et trahissaient à la fois toutes les classes sociales, dans le seul but de surexciter jusqu'au paroxysme la curiosité générale et de «vendre des numéros». (Camille Flammarion, "La Fin du monde", Ernest Flammarion, Paris, 1894, Partie I, Au vingt-cinquième siècle, Les Théories, Chapitre I, La menace céleste)>>.


(i) Voir Amour aveugle. Extériorité de la réalité. Etre amoureux. Intériorité de l'imaginaire. Refus de voir. Refus du réel.


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Auteur. Hubert Houdoy Mis en ligne le Samedi 24 Mai 2008



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