Paradoxe de la productivité



(A) Citation commentée :


- <<La croissance de la productivité au niveau agrégé a été, dans les pays de l'OCDE, plus faible au cours des deux dernières décennies que durant les années 60 et le début des années 70. (Philippe Séguin, "En attendant l'emploi")>>.



(B) Nos commentaires :



(a) Les années 60. Les années 60 marquent la fin de la décolonisation et l'abandon d'un mode de développement extensif. Le pays se concentre sur la métropole et se lance dans une croissance intensive. Les gains de productivité se concentrent dans la production industrielle. On passe d'un accroissement de la production pour satisfaire des besoins évidents à un accroissement de la production pour réduire les coûts et couler le concurrent. La mécanisation puis l'automatisation de la transformation matérielle provoquent une baisse des coûts et permettent de maîtriser la production de masse. Tandis que celui de la domination politique se maintient dans l'Orient soviétique, le discours de la séduction marchande se renforce en Occident. La grande entreprise adopte une organisation caractérisée par la filière inversée. Le consommateur achète toute produit contenant une innovation conçue par la technostructure. Le contact avec le consommateur et ses besoins concrets est perdu. Dès la fin des années 60, le secteur tertiaire relationnel, dont l'enseignement, semble laissé sur place par la marche forcée du monde industriel. Les événements de Mai 68 manifestent bruyamment le constat de ce décalage.



(b) Les années 70.


Les années 70 sont marquées par les chocs pétroliers de 1973 et de 1979. L'augmentation de la facture pétrolière provoque, en Europe et au Japon, une chasse au gaspillage énergétique. Le système productif connaît une nouvelle vague de mécanisation et d'automatisation pour réduire la consommation de matière première et d'énergie. Pendant ce temps, les pétrodollars et l'abandon de la convertibilité du dollar en or (Nixon 1971) provoquent le développement des capitaux flottants, sans contrepartie matérielle. Un écart se creuse entre le monde des techniciens et celui des financiers de l'entreprise. Les premiers raisonnent en terme de productivité des équipements, les seconds en termes de rentabilité des capitaux investis, aussi bien à la Bourse que dans les usines. On ne sait plus très bien où se mesure ni ce que mesure la productivité.



(c) Les années 80.


Pendant les années 80, la redistribution de la rente pétrolière connait de nombreux avatars. L'indiscipline de l'OPEP se retourne contre elle. L'autonomie des capitaux tend à dissocier la rentabilité financière sur les marchés de l'efficacité matérielle dans les usines. La manipulation des taux d'intérêts remplace les fondamentaux de l'économie (termes de l'échange, balance des paiements, équilibres budgétaires, niveaux des prix). Faute de guide objectif, les capitaux s'investissent en fonction des opinions. Elles se créent dans le microcosme boursier, fertile en rumeurs mimétiques. Les chocs boursiers n'ont plus de cause matérielle évidente. La productivité devient un fait d'opinion, une représentation sociale. Elle est toujours invoquée, de moins en moins définie, très rarement mesurée. Le développement de la bureautique, par multiplication des micro-ordinateurs, est assimilé à une hausse de productivité. Cette hausse est pourtant démentie par toutes les mesures périodiques. Il peut y avoir un long processus de modernisation sans hausse de la productivité. De nouvelles possibilités existent, principalement pour la conception et la simulation. Elles se payent d'un coût en matériel (stations de travail), en logiciel (CAO, IAO), en formation (stages), en changement de représentations (du dessin 2D au modèle 3D) et en durée d'assimilation (reproduction de conceptions anciennes, pour entraînement). La productivité n'est pas aussi forte qu'on le suppose en lui attribuant la cause du chômage. Mais le mot est devenu un fétiche incontournable.



(d) Les années 90.


Pendant les années 90, le divorce entre la production matérielle et le mouvement autonome des capitaux se développe. Les bulles financières se gonflent avant d'exploser (crise asiatique en 1998). La chute de l'emploi est saluée par la Bourse. La technostructure voit disparaître les conditions de sa floraison. La direction des entreprises se fait plus difficile. Prise sous les fourches caudines d'actionnaires aussi exigeants que les capitaux sont flottants, la direction tente de reprendre en main le pouvoir confisqué par la technostructure. Les niveaux hiérarchiques successifs, politique, stratégique et tactique, ne vivent plus dans le même monde. Ils ne parlent plus le même langage. Les projets techniquement les plus solides sont remis en cause par des facteurs purement financiers. Les techniciens et les ingénieurs connaissent le trouble des enseignants d'hier. Mais la liberté de parole n'est plus ce qu'elle était dans les années 60.



(e) Illusion ou fantasme ?


Il est bon que l'OCDE réfute la croyance erronée en une hausse de la productivité. On avait tendance à mesurer la productivité par l'augmentation du chômage. Par définition, une hausse globale de la productivité déplacerait les emplois sans produire de chômage durable. En fait, le chômage résulte d'une trop faible productivité globale. Mais aucune mesure n'est possible de ce phénomène complexe. Le secteur tertiaire, dont le tertiaire relationnel, n'a pas une productivité suffisante pour abaisser le coût de notre mode de vie. Poussés par le mouvement des capitaux, les emplois se déplacent vers les pays à faibles salaires. Les marchandises reviennent vers les pays à fort niveau de vie. Ce mouvement met en évidence une productivité des pays riches inférieure à celle qu'ils s'attribuaient volontiers hier. Le prix Nobel d'Economie, Wassily Leontief, attribuait au travailleur américain une productivité très supérieure à celle de tous les autres, pour nier les phénomènes liés à l'usage du dollar comme monnaie internationale. S'il avait eu raison et s'il avait encore raison, les délocalisations dans les pays à bas salaires seraient totalement inexplicables.



(f) Comment définir la productivité ? Il faut donc admettre que le taux de notre productivité n'est pas celui que nous postulions dans nos modèles collectifs. En contrepartie, nous y gagnions une intelligibilité de la situation. Nous pouvons en dégager une ligne de comportement. Un chômage bien compris est un chômage à moitié résolu. Plus fondamentalement :


1. Il est fort probable que la productivité ne soit pas ce que nous pensons. Elle ne peut s'identifier à n'importe quel gain de temps, sous prétexte que "le temps c'est de l'argent".


2. Ce mot passe-partout pourrait bien n'être qu'un très vieux fantasme.


3. La productivité (lisez : rentabilité) d'un projet est fonction des rejets qui le délimitent. C'est donc une question de délimitation des organisations réelles dans une organisation potentielle englobante. Il faut toujours situer le marché dans la société.


4. Nous avons déjà vu que le multiplicateur d'investissement ne pouvait fonctionner sans un mécanisme, plus profond, de percolation. Car le profit ne peut être à la fois le revenu de l'entreprise et l'indice de la productivité collective. Nos enveloppes sociales ne sont pas aussi emboîtées que nous le pensons.


5. La reproduction du système économique suppose une percolation des revenus. Tel est le problème du bouclage du système des prix.


6. La production de la société implique une percolation des émotions. Ce qui est très différent. D'autant que, malgré le postulat du holisme, il n'existe pas de loi de reproduction automatique de la société.



(g) Et maintenant ? Il n'est pas possible de construire des raisonnements économiques et des choix politiques sur une notion (productivité) aussi insaisissable. Produire plus en moins de temps. Cela semble simple. Mais comment additionner les productions ? Et comment ajouter du temps au temps ?

Le cycle consacré au personnage de Robinson Crusoé recherche ce qui se cache sous ce terme trompeur de productivité.



(C) Voir Crise de la totalité. Illusion de la productivité. Lieux d'insertion. Nouveaux modes de vie. Paradoxe de la productivité. Productivité et informatique. Productivité naturelle relative. Productivité masculine absolue. Travail immobile.




(D) Sur le site web du Réseau d'Activités à Distance :



(a) Productivité à l'adresse http://rad2000.free.fr/producti.htm


(E) Lire "AEH Valeur". "Crise Salariat". "Economie Temps". "Externalisation". "Fin Travail". "Inclusion Exclusion". "Mode de Vie Chômage". "Naissance Organisations"."Organisations Virtuelles". "Production Appropriation". "Rente Profit". "Robinson Crusoé".




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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Lundi 23 Juin 2008



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