La complexité s'oppose à la fois à la complication et à la simplicité.
(a) Complication. La complexité est une situation dans laquelle de nombreux éléments interagissent entre eux. La complexité est non-modélisable par un système d'équations linéaires simultanées. La complexité est naturelle, inhérente aux situations. La complication provient de la tentative de résoudre les situations complexes par les méthodes centralisées et procédurières qui ne réussissent que dans les situations simples.
(b) Simplicité. La réalité est toujours plus complexe que nos représentations. D'abord parce que les capacités de nos cerveaux limitent la complexité de nos représentations mentales (connaissances). Mais aussi parce que les modèles scientifiques développés dans des livres ou dans des modèles mathématiques pouvant tourner sur de gros ordinateurs sont encore basés sur des principes d'abstraction et de réduction qui font que la carte reste plus maniable et simple que le territoire. D'où, ce que nous avons appelé la transcendance naturelle de la réalité.
(c) Une organisation ou une structure est complexe quand elle a cette propriété de complexité.
- <<Ce faisant, les organismes deviennent complexes : la complexité ne décrit-elle pas dans le langage de tous les jours le labyrinthe des connexions entre les composantes d'un organisme vivant ou d'une organisation ou d'un système ? L'objectif de cet aspect de la complexité est le maintien de la viabilité imposée par son environnement. La croissance de la complexité connexionniste est alors parallèle à celle de la densité de ce réseau de contraintes. Dans ce sens, la complexité a émergé dès l'apparition de la vie et semble nécessaire à la poursuite de son évolution à tous les niveaux de son organisation. L'histoire économique et sociale a montré par exemple une tendance permanente à l'accroissement de cette complexité connexionniste. Je considère donc ici le connexionnisme — un terme moins normatif et plus neutre que celui de coopération lorsque le système est de nature biologique ou économique — comme une réponse à l'adaptation à des contraintes de viabilité de plus en plus nombreuses, qui implique l'émergence de liens entre les composantes d'un système et leur évolution. Ces liens entre chaque variable du système et les autres variables forment ce que j'appelle une matrice de connexion. Cette matrice de connexion décrivant cet aspect de la complexité du système est elle-même appelée à évoluer. Un système est déconnecté (ou autonome, libre, décentralisé, etc.) si la “matrice de connexion” est la matrice identité dont tous les liens liant chaque variable aux variables distinctes sont nuls. La distance entre la matrice de connexion et la matrice identité peut traduire et mesurer le concept de d'indice de complexité (connexionniste). Plus grande est cette distance, plus grand est cet indice de complexité connexionniste, plus complexe est le système. (Jean-Pierre Aubin, "La mort du devin. L'émergence du démiurge. Essai sur la Contingence, la Viabilité et l'Inertie des systèmes", document du web, L'organisme et son environnement : Systèmes)>>.
(d) Evolution. Si Eros contribue à la complexité, c'est plus par les détours de production qui lui sont imposés de l'extérieur que par une tendance à la perfection.
- <<Mentionnons cependant, comme une simple possibilité, que les efforts d'Eros tendant à réunir les unités organiques, de façon à en former des ensembles de plus en plus vastes, peuvent être considérés comme compensant l'absence de la "tendance à la perfection ". S'ajoutant aux effets du refoulement, ces efforts seraient peut-être de nature à nous fournir une explication des phénomènes qu'on se plaît généralement à attribuer à la tendance en question. (Freud, "Au-delà du principe de plaisir")>>.
- <<Bien sûr, il faut s'entendre sur ce qu'on appelle complexe. Je proposerai une définition de l'aspect connexionniste de la complexité au premier chapitre. Mais on pourrait évacuer le problème en définissant de façon opérationnelle la physique comme le champ des connaissances susceptibles d'être expliquées par des métaphores mathématiques. Le but serait alors de faire rentrer la théorie des systèmes comme une nouvelle branche de la physique, cet arbre impérialiste de la connaissance. Il s'agirait d'ordonner un monde perçu comme chaotique à partir de préexistantes théories mathématiques, en lieu et place d'Idées platoniciennes à qui l'on cède le monopole de la métaphysique. En fait, en l'absence de définition rigoureuse et consensuelle de la complexité, on peut cependant s'accorder pour constater qu'elle est intimement liée à l'évolution et à l'adaptation. N'ayant nul besoin de s'adapter, les objets naturels inanimés ne sont pas complexes. La nécessité de s'adapter aux contraintes de viabilité est donc l'antidote du hasard qui frappe les macrosystèmes qui motivent cette étude, en structurant les macrosystèmes pour tenter de maintenir leurs régulons constants, et donc, aisément identifiables. Entre la simplicité du statique et l'extrême complexité du pur hasard d'une évolution totalement désordonnée, contraintes de viabilité, principe d'inertie et évolutions lourdes contribuent à ordonner leurs évolutions, à en réduire la complexité, à en permettre l'élucidation. (Jean-Pierre Aubin, "La mort du devin. L'émergence du démiurge. Essai sur la Contingence, la Viabilité et l'Inertie des systèmes", document du web, page XX)>>.
- <<Dans son livre "Les origines cosmiques de la vie", l'astronome américain, d'origine belge, Armand Delsemme explique très en détail les diverses tribulations de la matière à partir du Big Bang, et il montre que la vie est une quasi-obligation résultant d'une complexification de la matière et de l'interférence de détours plus ou moins aléatoires. (Michel-Alain Combes, Astronome, "La terre bombardée", 2006, document du web, Partie IV, Les Conséquences, Chapitre 14, L'origine cosmique de la vie)>>.
(e) La complexité est relative à l'outil avec lequel on observe un phénomène, en particulier le système de numération :
- <<Marcel Locquin : Le monde est aujourd'hui obnubilé par la "complexité". Cela devient pathologique. Les solutions simples semblent dévalorisantes. En mécanique quantique, ce mal atteint des niveaux himalayens. J'appelle ça de la quantophrénie ! En abordant la réalité par la face informationnelle - c'est-à-dire idéelle -, et non plus énergétique - c'est-à-dire matérielle -, toutes les dynamiques se simplifient pourtant de manière phénoménale. C'est d'ailleurs en simplifiant les mathématiques, en passant du très complexe système décimal au système binaire - beaucoup plus simple puisqu'il ne fonctionne qu'avec des 0 et des 1 -, qu'on a pu construire des ordinateurs formidablement puissants et performants. Le décimal, c'est intéressant, mais c'est aussi ultrabloquant. Cela introduit des pseudo-théories comme celles du chaos, qui n'a aucune signification réelle. (Nouvelles Clés, Entretien avec Marcel Locquin, propos recueillis par Patrice van Eersel et M-J Grojean, document du web)>>.
(f) La complexification d'Internet est à l'image des évolutions de la Biologie.
- <<Le développement d'Internet rappelle certains des principes fondamentaux mis en oeuvre par l'évolution biologique. La compréhension des phénomènes d'émergence est à rechercher du côté des processus de construction de systèmes complexes plutôt que dans l'analyse de leurs éléments constituants. La grande quête de la physique est la compréhension des propriétés de la matière par l'étude et l'analyse du rôle des particules élémentaires. Mais cette analyse intime, censée expliquer de manière causale l'évolution ultérieure de la matière vers des états de complexité croissante, ne rend pas le monde plus intelligible, ni d'ailleurs plus proche. L'explication signifiante s'éloigne avec l'analyse. La leçon que nous apporte la biologie est la suivante : la complexité émerge de la dynamique des interactions entre agents, qu'il s'agisse de molécules, de fourmis ou d'acheteurs dans un marché. Des propriétés nouvelles émergent de cette collectivité organisée. L'individu n'a pas de plan d'ensemble de la structure qu'il construit «de l'intérieur». Les propriétés de ces systèmes complexes ne sont en aucun cas programmées dans les éléments qui les constituent. La vie, la conscience réfléchie, l'économie, Internet, naissent de manière chaotique, de la dynamique des interactions. C'est pourquoi le phénomène Internet nous fait entrer dans un nouveau paradigme : il nous oblige à tenter de comprendre, par la synthèse plutôt que par l'analyse, comment les éléments se combinent dans des ensembles plus complexes. Cette démarche nous rapproche de la nature, de notre rôle au sein de l'écosystème informationnel Internet. Nous en sommes désormais une partie intégrante. Ce qui fonde et légitime toute action consciente au coeur de la dynamique du réseau. (Joël de Rosnay, "La révolte du pronétariat", Fayard, 2006, pages 209-210)>>.
(g) La complexité croissante du monde réclame, de notre part, plus de solidarité.
- <<Comme il a été vu précédemment, les développements contemporains des égocentrismes individuels et des relations d'intérêt/ profit ont désintégré bien des solidarités traditionnelles et posent de façon aiguë le problème de solidarité/responsabilité, c'est-àdire le problème éthique. Les communautés familiales se sont rétrécies (dépérissement de la grande famille) et ont été perturbées (séparations, divorces, incompréhensions entre générations). Les communautarismes actuels, au sein des grandes nations, s'emploient à sauvegarder des identités collectives mais ne ressuscitent pas l'emprise de la communauté sur l'individu. L'auto-éthique demeure nécessaire pour retrouver solidarité et responsabilité par la voie individuelle et consciente. Mais un grand problème contemporain tient justement dans le sous-développement de l'auto-éthique. Plus une société est complexe, moins sont rigides ou pesantes les contraintes qui pèsent sur les individus et les groupes, en sorte que l'ensemble social peut bénéficier des stratégies, initiatives, inventions ou créations individuelles. Mais l'excès de complexité détruit les contraintes, distend le lien social, et la complexité, à son extrême, se dissout dans le désordre. Dans ces conditions, la seule sauvegarde d'une très haute complexité se trouve dans la solidarité vécue, intériorisée en chacun des membres de la société. Une société de haute complexité devrait assurer sa cohésion non seulement par de «justes lois», mais aussi par responsabilité/solidarité, intelligence, initiative, conscience de ses citoyens. Plus la société se complexifiera, plus la nécessité de l'auto-éthique s'imposera. Il y a un lien solidarité-complexité-liberté. La pensée complexe éclaire les vertus de la solidarité. Comme l'éthique politique nous incite à oeuvrer pour une société de haute complexité, c'est-à-dire de solidarité et de liberté, elle nous incite à éveiller et générer l'auto-éthique, qui apparaît ici non seulement comme vertu individuelle, mais aussi comme vertu sociale. (Edgar Morin, "La Méthode", Livre VI, "Ethique", éditions du Seuil, Paris, novembre 2004, page 167)>>.
(h) Hominisation. Au fur et à mesure de l'évolution de l'informatique, de la puissance des ordinateurs, de la gestions des interruptions rendue nécessaire par l'interactivité (les clics sur la souris), chacun peut constater des pannes et des plantages qui ne se produisaient pas avant. Mutatis mutandis, il en est de même avec la complexité du cerveau de l'homme, quand se développe le cortex préfrontal dans une boîte crânienne élargie. Grâce à une mémoire accrue, Homo devient sapiens. Mais grâce aux possibilités de l'imagination, Homo devient demens. Homo sapiens demens est un produit de la complexité.
- <<Avec l'homme, ce n'est pas seulement la raison qui émerge, c'est aussi son double sombre : la déraison qui la suit comme son ombre. Chez l'homme sagesse et folie forment désormais un attelage inséparable. Or ceci n'est que le résultat de la complexité. (André Green, "La causalité psychique, entre nature et culture", Paris, Odile Jacob, 1995, pages 88-89)>>.
(i) Edgar Morin préfère le terme <hypercomplicité>.
- <<Le propre de l’hypercomplexité est précisément la diminution des contraintes dans un système qui se trouve en fait dans un certain état de désordre permanent. (Edgar Morin, "Le paradigme perdu : la nature humaine", Seuil, Paris, 1973, page 107)>>.
(j) Voir Bifurcation. Chaos. Effet papillon. Modèle de l'avalanche. Paysage montagneux. Table rase. Théorie quantique de l'information.
(k) Lire "Réalité Représentations".
* * *
Auteur.
Mis en ligne le Mercredi 18 Juin 2008
Explorer les sites.
Consulter les blogs.
Nota Bene.
Les mots en gras sont tous définis dans le cédérom encyclopédique.