(a) Le mot <certitude> a donné son contraire, le mot <incertitude>.
- <<La foi du savant ne ressemble pas à celle que les orthodoxes puisent dans le besoin de certitude. Il ne faut pas croire que l'amour de la vérité se confonde avec celui de la certitude... Non, la foi du savant ressemblerait plutôt à la foi inquiète de l'hérétique, à celle qui cherche toujours et n'est jamais satisfaite. (Henri Poincaré)>>.
(b) La réalité psychique de l'incertitude du lendemain, de l'absence de futur objectif ou de l'ignorance des causes, a provoqué une telle angoisse dans l'esprit de l'homme que le monde du verbe s'est constitué par l'affirmation d'une certitude. Nous ignorons sa date de naissance, mais il nous a été transmis par Euclide et la Philosophie du siècle de Périclès.
(c) En effet, la seule certitude est celle de la déduction logique à partir de prémisses. Elle est basée sur le respect d'une règle de cohérence formelle. D'où le terme de logique formelle. Les années et les nombres étant des conventions, certains raisonnements mathématiques aboutissent à des certitudes incontestables. Hélas, ce sont des certitudes dont on aimerait se passer :
- <<- Oui, dit Aramis, c'est vrai, je me soigne beaucoup. Savez-vous, mon cher, que je me fais vieux : je vais avoir trente-sept ans.
- Ecoutez, mon cher, dit d'Artagnan avec un sourire, puisque nous nous retrouvons, convenons d'une chose : c'est de l'âge que nous aurons à l'avenir.
- Comment cela ? dit Aramis.
- Oui, reprit d'Artagnan ; autrefois c'était moi qui étais votre cadet de deux ou trois ans, et, si je ne fais pas d'erreur, j'ai quarante ans bien sonnés.
- Vraiment ! dit Aramis. Alors c'est moi qui me trompe, car vous avez toujours été, mon cher, un admirable mathématicien. J'aurais donc quarante-trois ans, à votre compte ! Diable, diable, mon cher ! n'allez pas le dire à l'hôtel de Rambouillet, cela me ferait tort. (Alexandre Dumas)>>.
(d) Nous ne pouvons inférer qu'à l'intérieur du corpus des propositions abstraites correctement construites. En outre, le théorème de Gödel (le premier théorème d'incomplétude de Gödel date de 1931) nous montre que des propositions "vraies" ne sont pas rigoureusement "démontrables".
(e) Nous ne pouvons pas induire (induction) des propositions logiques vers les réalités matérielles. Le verbe rigoureux (tendu) n'a pas la propriété de se faire chair ni matière première. La seule certitude est celle du dogme. Elle consiste à se rassurer dans le phénomène grégaire que l'on nomme contagion. Elle implique l'exclusion systématique de tous ceux qui émettent des doutes ou des certitudes inverses. On les nomme généralement hérétiques.
(f) Le projet de la science est un pari ou un projet d'intelligibilité. Tout comme celui de la foi en Dieu, il ne peut prétendre détenir une certitude à propos de ses théories et encore moins tenir un discours de vérité.
- <<Je peux vivre avec le doute, l'incertitude, sans savoir. Je crois que c'est beaucoup plus intéressant de vivre sans savoir que d'avoir des réponses qui pourraient se réveler fausses. J'ai des réponses approximatives, des croyances possibles, et différents degrés de certitude à propos de différentes choses, mais je ne suis pas absolument sûr de quoi que ce soit, et il y a beaucoup de choses auxquelles je ne connais rien, comme de savoir si cela a un sens de demander pourquoi nous sommes là. (Richard Feynman)>>.
(g) "A tort et à raison" (Henri Atlan). Aucun des deux prétendants historiques à la certitude ne peut se fonder lui-même. Mais le projet d'intelligibilité peut trouver à s'intégrer dans un projet de développement durable de l'humanité. Dans ce contexte, les priorités théoriques et pratiques seront négociées selon les contraintes que mettent en évidence, à titre d'exemple, la résolution mathématique et la résolution psychologique en météorologie.
(h) Par la bouche d'Hécate, William Shakespeare nous rappelle que la recherche de la certitude et de la sécurité est l'ennemie des humains, en particulier de l'usurpateur Macbeth.
- <<HECATE. - [...] Moi, je vais dans l'air ; j'emploierai cette nuit à une oeuvre terrible et fatale. Une grande affaire doit être achevée avant midi. A la pointe de la lune pend une goutte de vapeur profonde, je l'attraperai avant qu'elle tombe à terre. Cette goutte, distillée par des procédés magiques, fera surgir des apparitions fantastiques qui, par la force de leurs illusions, l'entraîneront à sa ruine. Il insultera le destin, narguera la mort, et mettra ses espérances au-dessus de la sagesse, de la religion et de la crainte. Et, vous le savez toutes, la sécurité est la plus grande ennemie des mortels. ("Macbeth", Acte III, Scène V)>>.
- <<Comment peut-on être sceptique par système et de bonne foi ? je ne saurais le comprendre. Ces philosophes, ou n'existent pas, ou sont les plus malheureux des hommes. Le doute sur les choses qu'il nous importe de connaître est un état trop violent pour l'esprit humain : il n'y résiste pas longtemps ; il se décide malgré lui de manière ou d'autre, et il aime mieux se tromper que ne rien croire. (Jean-Jacques Rousseau, "La profession de foi du vicaire savoyard" in "Emile ou De l'éducation")>>.
(i) Débat en phénoménologie. La recherche de la certitude est à la base de la construction de systèmes philosophiques comme idéal de totalité. Ce point de vue, largement attribué à Hegel, est aussi reproché par Emmanuel Levinas à Husserl et Heidegger.
- <<Si Husserl pose dans sa philosophie une certaine forme d'inadéquation et que Levinas n'a pas manqué de souligner (pour aller vite on peut dire que l'ego husserlien est intentionnel, immanent et non-spatial, et les choses naturelles sont non-intentionnelles, transcendantes et spatiales), du point de vue de Levinas le « principe des principes » conduit à une adéquation (assimilation) au donné qui « s'offre originairement à nous dans l'intuition ». Cette adéquation est celle classique du sujet et de l'objet : l'objet se donne intuitivement en comblant « la mesure de la visée, l'intentionnalité vide la remplissant ». Cette adéquation témoigne pour Levinas du caractère de l'immanence (le Même) : « La transcendance de l'objet, en tant qu'elle est mesure de l'immanence du vécu (intuitif), revient pour ainsi dire à celle-ci. Cette façon, pour le réel, de se tenir dans une transcendance intentionnelle « à l'échelle » du vécu, et pour la pensée, de penser à sa mesure et ainsi de jouir, signifie immanence ». En ce sens, la transcendance de la chose relève du Même. Le Même désigne le Moi en tant qu'il s'approprie ou saisit ; un terme relève du Même, il revient au Même, s'il peut être saisit par le Moi. Pour Levinas cette saisie peut être théorique : la pensée pense à sa mesure, le savoir sait les choses qui, en tant que sues, perdent leur altérité et reviennent à l'immanence et au Même. D'où ces mots de Levinas : « L'autre se fait le propre du moi dans le savoir assurant la merveille de l'immanence », « réduire une réalité à son contenu de pensée c'est la réduire au Même ». S'expliquent dès lors les analyses de Levinas concernant l'intentionnalité ou la présence « en chair et en os » (la présence corporelle) exigée par le principe des principes husserliens : l'être est en donation et la donation est à entendre, nous dit Levinas, dans l'acception littérale de ce mot. Elle s'achève dans la main qui prend. C'est dans la prise en main que la chose elle-même s'égale à ce que l'intuition de la pensée voulait et visait. Pour Levinas, c'est de l'exclusivité de l'intentionnalité que découle le manquement par Husserl de la véritable transcendance, c'est-à-dire de l'inadéquation par excellence. En somme, pour résumer son idée, avec Husserl la transcendance reçoit la signification de l'immanence. Cette adéquation, cette prise, signifie que le sujet peut s'approprier le monde, théoriquement et pratiquement et que ce dernier en conséquence relève de l'immanence et du Même. « L'immanence, c'est le monde, notre monde, le monde qui nous est donné et où l'autre n'est plus que le Même ». Levinas reconnaît à la phénoménologie husserlienne la profondeur de son analyse de la subjectivité, il en souligne l'originalité. Dans la mesure où elle dévoile, par-delà le sujet naturel, toujours adéquat à l'objet, un sujet inadéquat ou débordé, la réduction phénoménologique de Husserl tend pour lui, à des-absorber pour ainsi dire le sujet de l'être, à instaurer un sujet dépourvu de mondanité (l'ego transcendantal). Mais, très rapidement, il souligne que le primat de l'adéquation est maintenu dans cette sphère subjective transcendantale dévoilée par Husserl (au terme de la réduction). Ainsi, la plupart des analyses levinassiennes de la phénoménologie husserlienne déploient un même mouvement consistant, dans un premier temps, à reconnaître l'originalité de la pensée de Husserl de la subjectivité et dans un second temps à regretter qu'elle maintienne dans la sphère de la subjectivité transcendantale ce que la réduction semblait d'abord remettre en cause : le primat du savoir ou de l'adéquation, c'est-à-dire l'absorption dans le Même. Ce primat correspond, selon Levinas, à l'esprit de la phénoménologie husserlienne qui est essentiellement animé par des préoccupations gnoséologiques. La réduction phénoménologique n'est-elle pas subordonnée comme l'écrit Levinas à « la recherche de la certitude ou de l'évidence adéquate ». (Nicolas Antenat, «Respect et vulnérabilité chez Levinas», Le Portique, Le Respect, document du web, mis en ligne le 15 décembre 2005)>>.
(j) Le chaos affectif et mental s'oppose aux belles certitudes, artificiellement construites par la "raison pure".
- <<Il sortit et s'en alla vers la boutique de Hydleman, et tout en marchant il s'émerveillait grandement de se sentir si troublé, de percevoir en lui le jeu confus de forces ignorées. Elles s'enchevêtraient, se combinaient une seconde pour former quelque chose qui semblait une idée, ou un grand désir qui brûlait, ou un accès de sourde colère, et l'instant d'après il ne comprenait plus rien sinon qu'il était comme un homme qui, les yeux bandés, bafoué et poussé par derrière, trébuche sur des obstacles qu'il ne peut voir. C'était nouveau, cela, et quand il se fut rendu compte que ce n'étaient pas les symptômes d'un mal corporel, il se prit à songer à lui-même avec un respect étonné. Il avait pour le moment perdu sa belle assurance d'autrefois et la paix de son coeur, mais quelque chose d'autre s'éveillait en lui, qu'il n'avait jamais soupçonné. (Louis Hémon, "Colin-Maillard", pages 96-97)>>.
(k) Voir Besoin de certitude. Bifurcation. Bûchers du Libre Esprit. Chaos. Complétude. Conjecture. Effet papillon. Fractalité. Giordano Bruno. Hume. Inquisition. Karl Popper. L'âge du capitaine. Prévision. Processus fractal du futur. Réfutation. Refus de voir. Refus du réel. Réfutabilité. Vérité.
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Auteur. Hubert Houdoy Mis en ligne le Samedi 24 Mai 2008
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