Un dictionnaire sans citations est un squelette
(a) <Un dictionnaire sans citations est un squelette> est un écrit de François Marie Arouet le Jeune, dit Voltaire.
(b) Contexte. A propos du projet de dictionnaire de l'Académie française, Voltaire écrit à l'historien Charles Pinot Duclos : <Il me semble aussi qu'on s'était fait une loi de ne point citer ; mais un dictionnaire sans citation est un squelette. (Voltaire, Lettre LXII à Duclos, 11 août 1760)>>.
(c) Charles Pinot Duclos (Dinan, 12 février 1704 ; Paris, 26 mars 1772) est reçu à l'Académie française le 26 janvier 1747. Il participe activement à l'élaboration du dictionnaire de la langue française, qui doit lister et définir les notions de la nation. En 1762, Duclos rédige la préface de l'édition du dictionnaire.
(d) Voltaire répond à un courrier de l'historien qui caresse l'espoir de faire entrer le sulfureux Denis Diderot à l'Académie. Voltaire lui conseille de convaincre Madame de Pompadour pour gagner la décision du roi Louis XV.
- <<A M. DUCLOS.
11 août.
Je sais depuis longtemps, monsieur, que vous avez autant de noblesse dans le cœur que de justesse dans l'esprit ; vous m'en donnez aujourd'hui de nouvelles preuves. Je ne doute pas que vous ne veniez à bout d'introduire M. Diderot dans l'académie française, si vous entreprenez cette affaire délicate ; je vois que vous la croyez nécessaire aux lettres et à la philosophie dans les circonstances présentes. Pour peu que M. Diderot vous seconde par quelques démarches sages et mesurées auprès de ceux qui pourraient lui nuire, vous réussirez auprès des personnes qui peuvent le servir. Vous êtes à portée, je crois, d'en parler à madame de Pompadour ; et, quand une fois elle aura fait agréer au roi l'admission de M. Diderot, j'ose croire que personne ne sera assez hardi pour s'y opposer. Nous ne sommes plus au temps des théatins évêques de Mirepoix ; il vous sera d'ailleurs aisé de voir sur combien de voix vous pouvez compter à l'académie. Vous aurez l'honneur d'avoir fait cesser la persécution, d'avoir vengé la littérature, et d'avoir assuré le repos d'un des plus estimables hommes du monde, qui sans doute est votre ami. M. Dalembert me paraît disposé à faire tout ce que vous jugerez à propos pour le succès de cette entreprise. Je prends la liberté de vous exhorter tous deux à vous aimer de tout votre cœur ; le temps est venu où tous les philosophes doivent être freres, sans quoi les fanatiques et les fripons les mangeront tous les uns après les autres. Je suis entièrement à vos ordres pour le Dictionnaire de l'académie ; je vous remercie de l'honneur que vous voulez bien me faire, j'en serai peut-être bien indigne, car je suis un pauvre grammairien ; mais je ferai de mon mieux pour mettre quelques pierres à l'édifice. Votre plan me paraît aussi bon que je trouve l'ancien plan sur lequel on a travaillé mauvais. On réduisait le dictionnaire aux termes de la conversation, et la plupart des arts étaient négligés. Il me semble aussi qu'on s'était fait une loi de ne point citer ; mais un dictionnaire sans citations est un squelette. Je suis un peu surpris de vous voir dans le secret de notre petite province de Gex, dont j'ai fait ma patrie ; mais je ne le suis pas du service que vous voulez bien me rendre ; j'en suis pénétré. Je crains fort de ne pouvoir obtenir de messieurs du domaine ce que j'aurais pu avoir aisément d'un prince du sang, comme engagiste ; mais j'ai toujours pensé qu'il faut tenter toute affaire dont le succès peut faire beaucoup de plaisir, et dont le refus vous laisse dans l'état où vous êtes. J'aurai l'honneur de vous rendre compte de l'état des choses, dès que M. le comte de La Marche aura conclu avec sa majesté ; et je vous avoue que j'aimerais mieux vous avoir l'obligation du succès qu'à tout autre. Cependant l'affaire de Diderot me tient encore plus à cœur que le pays de Gex. J'aime fort ce petit coin du monde ; c'est, comme le paradis terrestre, un jardin entouré de montagnes ; mais j'aime encore mieux l'honneur de la littérature. Je vous demande pardon de ne pas vous écrire de ma main ; je suis un peu malingre. Encore un mot, je vous prie, malgré mon peu de forces. Il me vient dans la tête que le travail de votre dictionnaire devient la raison la plus plausible et la plus forte pour recevoir M. Diderot. Ne pourriez-vous pas représenter ou faire représenter combien un tel homme vous devient nécessaire pour la perfection d'un ouvrage nécessaire ? Ne pourriez-vous pas, après avoir établi sourdement cette batterie, vous assembler sept ou huit élus, et faire une députation au roi pour lui demander M. Diderot comme le plus capable de concourir à votre entreprise ? M. le duc de Nivernais ne vous seconderait-il pas dans ce projet ? ne pourrait-il pas même se charger de porter avec vous la parole ? Les dévots diront que Diderot a fait un ouvrage de métaphysique qu'ils n'entendent point ; il n'a qu'à répondre qu'il ne l'a pas fait, et qu'il est bon catholique. Il est si aisé d'être catholique ! Adieu, monsieur ; comptez sur ma reconnaissance et mon attachement inviolable. Vous prendrez peut-être mes idées pour des rêves de malade ; rectifiez-les, vous qui vous portez bien. (Voltaire, Correspondance, In "Oeuvres de Voltaire", édition 1836, pages 542-544)>>.
(e) Fortune de la formule. En 1856, Pierre Larousse place en exergue du "Nouveau dictionnaire de la langue française" : <Un dictionnaire sans exemples est un squelette>. Elle devient aussi célèbre que les graines du pissenlit : <Je sème à tous vents>.
(g) Références :
- <<Dans les ouvrages de critique, d'histoire et d'érudition, l'exactitude des citations est indispensable. «Un dictionnaire sans citations est un squelette», a dit Voltaire. Personne n'a poussé l'observation de ce précepte plus loin que Bayle. Si cette méthode répand un peu de sécheresse dans les livres, on en est bien dédommagé par l'assurance de n'être pas trompé et de n'avoir pas besoin d'aller consulter avec beaucoup de peine et souvent sans aucun fruit les originaux. Ce mérite d'exactitude dans les citations se trouve encore dans les écrits de Tillemont, de Fleury, de Rollin, de Bouhier, de De Brosses, de dom Calmet, de Montesquieu ; nous voudrions pouvoir en dire autant de Voltaire. (Collectif, sous la direction de W. Duckett, "Dictionnaire de la conversation et de la lecture", 1853)>>.
- <<Une dernière remarque sur la première édition (1694) du Dictionnaire de l'Académie : elle n'est pas alphabétique. Les mots sont regroupés par familles de mots. Par exemple, au mot devoir, on trouve dû, duëment, indü, induëment, debet, dette, endetter, endetté, rendetter, redevoir, redevance. Un système de renvois permet de trouver où chercher le mot dont on a besoin. Les lecteurs ne sont pas convaincus : dès la deuxième édition (1718), ce type de classement est abandonné : la préface fait son mea culpa : «La première Edition avoit esté disposée par Racines [...]. Il est aisé de se représenter l'impatience d'un Lecteur, qui après avoir cherché un mot dont il a besoin, Absoudre par exemple, au commencement du premier Volume [...] y trouve pour toute instruction qu'il faut aller à la fin du second Volume chercher le mot Soudre, dont il n'a pas besoin». Une autre originalité du Dictionnaire de l'Académie (qui, elle, perdure encore aujourd'hui) est l'absence de citations d'auteurs : chaque mot est mis en situation dans un exemple «banal, neutre, dénué de pittoresque, proche du cliché, du lieu commun, de l'expression toute faite», afin de mieux «[répondre] aux intentions du dictionnaire, qui [sont] de circonscrire l'usage.» (Parti pris de neutralité qui choquait Voltaire, lequel affirmait : «un dictionnaire sans citations est un squelette». ("Dictionnaire : définitions subjectives", document du web)>>.
- <<Quant à l'ontogenèse, du grec ontos : /être/ et genesis, elle signifie le développement d'une filière descriptive à l'intérieur d'une même tradition dictionnairique d'un dictionnaire source vers un ou des dictionnaires cibles. Les maisons Robert et Larousse nous fournissent à eux seuls des exemples convaincants. Ainsi les exemples non référencés dans le Micro Robert procèdent d'exemples référencés du PR (cf. Rey 1995b : 105). Aussi, fait remarquer A. Rey, de Pierre Larousse à Claude Augé (Nouveau Larousse illustré, 1897), puis à Paul Augé (Larousse du XXe siècle, 1933), «le rôle de la citation littéraire s'amenuise, au profit de l'exemple anonyme, qu'il soit fonctionnel ou encyclopédique. De Paul Augé à Claude Dubois (Grand dictionnaire encyclopédique Larousse [1982-1985]) c'est la citation littéraire, pas seulement la citation, qui disparaît.» (Rey, 1995a : 21) L'adage du Larousse puisé dans la correspondance de Voltaire (Lettre à Charles Pinot Duclos, secrétaire perpétuel de l'Académie française, 11/08/1760) «Un dictionnaire sans exemples est un squelette» perdant en partie son sens même si les illustrations peuvent remplir la fonction d'exemple. Pourtant le GR qui cite Voltaire en a retenu à l'entrée squelette et citation : Un dictionnaire sans citation est un squelette d'où cette possible confusion sur le fait qu'il n'y aurait ni exemples ni citations dans le PL. (Jean-Nicolas Desurmont, "Du contexte à la citation : les récents développements de la dictionnairique", document du web)>>.
(h) Voir Références d'usage du terme. Références littéraires.
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Mis en ligne le Vendredi 20 Juin 2008
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Les mots en gras sont tous définis dans le cédérom encyclopédique.