Contexte



(A) Généralités.



(a) Le nom masculin <contexte> est un terme de 1539. Au fur et à mesure de son emploi, au cours du temps, sa signification et son usage se sont élargis. Actuellement, le mot signifie :


- "Ensemble d'un texte qui entoure un élément de la langue et qui détermine son sens, sa valeur" ; ainsi la phrase est-elle le contexte immédiat d'un mot ; le paragraphe est le contexte d'une phrase ; on pourrait parler de contexte interne à un texte ;


- "Les circonstances qui entourent une parole ou la rédaction d'un texte" ; on pourrait parler de contexte externe à un texte ou à une parole ; il n'est pas indifférent que "Le Silence de la mer" ait été écrit par un résistant pendant l'Occupation nazie et non pas vingt ou trente ans plus tard ; idem pour la prière des parachutistes ; le sens des mots <saboteur> et <terroriste> (en fonction des locuteurs) et l'appréciation des actes qu'ils impliquent (encore faut-il savoir quels ils sont) peuvent en être radicalement changés ;


- "Les circonstances qui entourent un fait". Dans certaines circonstances, un tribunal considérera que l'acte est déterminé par le contexte et accordera le bénéfice des <circonstances atténuantes> . On pourrait parler de contexte externe à une action.


(b) Etymologie. Le nom latin masculin <contextus, us> signifie "action de tisser", "tissage", "action d'assembler", "fabrication", "arrangement", "contexture", "ensemble", "enchaînement".


- <Contextus> se rattache au verbe <contexo, is, texui, textum, contexere> signifiant "entrelacer", "tresser", "tisser", "tisser ensemble", "ourdir", "fabriquer", "relier", "unir", "rattacher", "continuer sans s'interrompre", "imaginer", "tramer".


- Le mot a suivi l'évolution sémantique de <textus> qui est passé de la signification "tissu" à celle de "texte". Le contexte est ce qui donne au texte sa cohérence d'ensemble, en lui-même et par rapport aux circonstances.


- L'adjectif <contexus, a, um> signifie "continu", "serré", "compact".


(c) Références littéraires ? <Contexte> n'est pas un terme de la littérature classique. Mais le mot <intertextualité> peut apparaître dans un roman contemporain.


(d) Linguistique. La pragmatique attache une grande importance au contexte d'un échange de paroles.


(e) Economie Politique. Avec la Théorie des Jeux, l'Economie reconnaît une importance croissance au contexte. Les marchés n'ont pas tous les mêmes propriétés immuables. En particulier, les marchés financiers ont des caractéristiques propres, dont témoignent le gonflement puis l'éclatement des bulles financières.


(f) Voir A partir d'un mot.




(B) Terme de Linguistique.



(a) Dans un texte, un mot ou une phrase ne prend son sens précis qu'en fonction de l'ensemble du texte et de l'argumentation, logique ou rhétorique, au sein de laquelle il est employé. Il est important de savoir dans quelle figure de rhétorique est employé tel ou tel mot.


(b) En sortant une citation de son contexte, surtout s'il s'agissait d'ironie, il est parfois possible de lui faire dire le contraire de son sens initial.


(c) Dans une conversation, le contexte est l'ensemble de la situation (cadre, interlocuteurs, gestes, actions, paysage visible, sentiments, émotions, livres dont on parle ou que les interlocuteurs sont supposés connaître) dans laquelle se déroule l'échange de paroles. Dans la transcription des échanges verbaux d'un colloque ou d'un séminaire, des mots comme <ici> ou <là> n'ont plus de sens, sans la référence au geste du doigt qui montrait, sur le papier, un élément dans un schéma ou dans un tableau de chiffres.


(d) Un texte a lui aussi un contexte. C'est la situation historique, l'enjeu politique ou religieux de la démonstration, les usages linguistiques de l'époque. Certains mots (<énervé>) ont fini par prendre le sens contraire de celui de leur émergence. Un texte répond toujours à, ou utilise implicitement, d'autres textes. Il existe donc une intertextualité. "Il n'y a pas de hors texte", dit Jacques Derrida, tout en reconnaissant que la formulation <il n'y a pas de contexte> aurait eu le même sens. Si le texte n'a pas de hors-texte, c'est bien parce que tout comportement peut être considéré comme une forme de texte, prenant sens par un jeu de différences. Ce que veut dire Derrida, c'est que tout ce qui est hors-texte, stricto sensu, ne compte que pour l'interprétation que nous en avons et donc pour le "texte", largo sensu, que cela forme dans notre esprit. Pour Derrida, le contexte est dans le texte voire dans chaque signe du texte.


- <<La polémique avec Searle fournit un autre exemple de cet amalgame texte-contexte : "Que la portée du contexte ne puisse jamais être dissociée de l'analyse d'un texte et que, en dépit ou plutôt à cause de cela, un contexte soit toujours transformateur-transformable, exportateur-exportable […] ("Limited Inc.", page 149)". Cette réification du contexte est autorisée par une mise entre parenthèses des opérations cognitives du sujet. S'il m'est permis de me citer, je donnerai ma définition du contexte comme "une réalité mentale déterminée par l'activité pensante d'un sujet en situation de production ou de réception d'un message […] au moyen de laquelle [un] énoncé prend son sens ou devient réinterprétable ("Contexte, compréhension et littérarité", RSSI, Recherches sémiotiques/ Semiotic Inquiry, vol. 11, no 1, 1991, p. 10-11)". Selon cette conception, le signe ne constitue que la face objective de ce qui est nécessaire pour produire chez un sujet un événement de sens : l'autre face, la face cachée, est fournie par l'instanciation, chez le lecteur-auditeur-récepteur, d'un contexte mental susceptible de fusionner avec le signe. Ainsi, un mot ou une phrase n'acquièrent-ils du sens que si un lecteur parvient à les situer à l'intérieur d'un réseau de connaissances et d'expériences adéquat. Sur un plan imagé, on pourrait comparer le signe à une clé, tandis que le contexte mental constituerait la serrure correspondante : la signification éclate en compréhension lorsque un signe réussit à fusionner avec un contexte, déclenchant ainsi un événement cognitif perceptible par le sujet et physiquement observable sur la carte des activités neuronales examinées par résonance magnétique. Le contexte mental a reçu des noms divers et des formalisations différentes chez les psychologues et les linguistes qui s'y sont intéressés : schèmes chez Piaget, experiential gestalt chez Lakoff et Johnson, espaces mentaux chez Fauconnier, agencies chez Minsky… Pour ma part, j'ai retenu le nom de filtre pour désigner des contextes mentaux spécialisés. (C. Vandendorpe, "Effets de filtre en lecture littéraire", Tangence, no 36 (1992), p. 19-33.) Il est remarquable qu'une telle instance n'existe pas chez Derrida. Cela ne veut pas dire que, dans la pratique, les données contextuelles soient ignorées, car Derrida est un formidable lecteur. Mais ces données sont reportées, d'une façon mystérieuse, sur le signe, comme si celui-ci avait une vie propre, indépendante de l'esprit qui l'interprète et le comprend. Le logos de Derrida peut donc bien être cette divinité redoutable qui a mystifié notre civilisation durant des millénaires, car il contient tout à la fois le signe et son contexte, dans un amalgame instable et explosif : le même, en somme, que le Verbum de l'évangile de Jean, mais dépouillé de son signifié ultime, qui est ici remplacé par son exact opposé. En introduisant au coeur même du signe la notion saussurienne de différence - qui était d'abord une opération mentale - Derrida réussit ainsi à transformer un symbole de permanence et d'objectivité en celui d'une mouvance absolue et inéluctable : "Au commencement était la différance…" (C. Vandendorpe, "Rhétorique de Derrida", document du web)>>.


(e) Quand un texte fondateur fait émerger un nouveau concept, ce dernier est encore très attaché au contexte des théories précédentes. D'autres se chargeront de donner une nouvelle formulation des idées, insistant sur la nouvelle cohérence interne. Le concept de chaleur émerge peu à peu du contexte alchimique du phlogistique. La différentielle de Leibniz a provoqué une transformation radicale des mathématiques et la disparition de la composante ontologique des nombres. Le découvreur n'est jamais dans le même contexte que celui dans lequel il met ses disciples et les épigones. Il est difficile de revenir en arrière et de se mettre dans le contexte du premier homme qui envisagea de monter au Mont Blanc, sans craindre les esprits malins dont ses contemporains pensaient qu'ils hantaient les lieux élevés. Une bonne pédagogie d'un domaine scientifique devrait retracer la succession des contextes dans lesquels ont pris naissance les concepts. Il serait utile de comprendre comment Adam Smith a été conduit à développer l'argument politique de la Main invisible, plutôt que de la présenter comme un dogme providentiel.


(f) Discipline linguistique. La pragmatique est l'étude de l'usage du langage. Elle traite de l'adaptation des expressions symboliques à leurs contextes : référentiel, situationnel, actionnel et interpersonnel. Peirce fait une distinction entre une expression considérée comme un type et toute occurrence de cette même expression. Searle (1969) considère les actes de langage, et non plus les phrases, comme les unités de base de l'analyse linguistique. Le contexte sort du texte, même en linguistique. A partir de Tarski, la construction des métalangages s'intéresse à la syntaxe, à la sémantique puis à la pragmatique.


- <<Au lieu de voir entre les mots et le monde une relation qui existe in vacuo, on s'aperçoit qu'elle enveloppe des actions visant un but et accomplies par des locuteurs employant des outils conventionnels (mots, phrases), en accord avec des jeux très abstraits de règles. (Searle)>>.


(g) Voir Calcul infinitésimal. Calcul des fluxions. Notion de limite. Dérivée. Calorique.


(h) Lire "Souris Hommes".



(B) Psychothérapie.



(a) La psychanalyse se définit par son indifférence au contexte. Depuis Freud, l'analyste ne s'intéresse qu'à la réalité psychique (fantasme, projection, transfert, contre-transfert, résistance) et non pas à la réalité sociale de son vécu. Il importe donc de faire une critique sociologique de la psychanalyse.


(b) Ce point de vue méthodologie rend la cure psychanalytique standard totalement inadaptée, voire dangereuse, en cas de traumatisme par attentat, par accident, suite à un harcèlement sexuel, à un viol, à un harcèlement moral, à une tentative de meurtre, etc.


(c) Tout différent est le point de vue de la récente victimologie :


- <<Il est impossible de traiter la victime d'un pervers (qu'il soit moral ou sexuel) sans tenir compte du contexte. Le psychothérapeute doit, dans un premier temps, aider son patient à mettre au jour les stratégies perverses, en évitant de leur donner un sens névrotique, les nommer, et lui permettre de repérer ce qui vient de lui et de sa vulnérabilité, et ce qui est le fait de l'agression extérieure. A la prise de conscience de la perversité de la relation doit s'ajouter la prise de conscience du mode de mise en place de l'emprise. En lui donnant les moyens de repérer les stratégies perverses, on permet à la victime de ne plus se laisser séduire ni apitoyer par son agresseur. Il faut aussi demander au patient de dire la colère qu'il n'a pas pu éprouver du fait de l'emprise, lui permettre de dire et d'éprouver des émotions jusqu'alors censurées ; si le patient n'a pas de mots, il faut l'aider à verbaliser. Lorsqu'on commence une psychothérapie dans un contexte de harcèlement, il ne faut pas chercher d'abord à savoir pourquoi on s'est mis dans cette situation, mais comment en sortir immédiatement. (Marie-France Hirigoyen, "Le Harcèlement Moral. La violence perverse au quotidien", Syros, Paris, 1998, page 194)>>.



(C) Anthropologie méthodologique.



(a) Etant données ces acceptions plus ou moins larges du terme, ce que nous nommons <contexte> n'est pas indépendant de nos représentations et de nos actions.


- <<... il existe une tendance à oublier que l'ensemble de la science est lié à la culture humaine en général, et que les découvertes scientifiques, même celles qui à un moment donné apparaissent les plus avancées, ésotériques et difficiles à comprendre, sont dénuées de signification en dehors de leur contexte culturel. Une science théorique qui ne serait pas consciente de ce que les concepts qu'elle tient pour pertinents et importants sont destinés à terme à être exprimés en concepts et en mots qui ont un sens pour la communauté instruite, et à s'inscrire dans une image générale du monde, une science théorique, dis-je, où cela serait oublié et où les initiés continueraient à marmonner en des termes compris au mieux par un petit groupe de partenaires, sera par nécessité coupée du reste de l'humanité culturelle... elle est vouée à l'atrophie et à l'ossification. (Erwin Schrödinger, 1952, in The British Journal for the Philosophy of Science)>>.


(b) Nous avons trop tendance à percevoir comme une fatalité externe le résultat aveugle de nos micro-décisions, c'est-à-dire du consensus, resté inconscient, de nos organisations potentielles.


- <<C'est la nature des choses ! C'est le système ! C'est le marché ! C'est la conjoncture ! C'est comme ça ! Sommes-nous condamnés à régler des problèmes ou à exploiter des ressources dans un contexte qui ne nous appartient pas. L'appropriation des ressources ou la compétence à régler les problèmes efficacement ne changent rien au fait que nous croyons souvent intervenir dans le contexte de réalités et de situations qui nous seraient étrangement étrangères. Or, toutes les affaires humaines, tous les phénomènes, toutes les préoccupations, toutes les conditions et les situations n'existent que dans l'expérience humaine des Instances en consensus. Ce sont toujours les manifestations de leur investissement. Derrière toutes les situations, tous les problèmes, c'est l'humanité de l'homme qui se réalise et se révèle. Il n'y a pas de problème qui ne soit humain dans ses fondements et dans la recherche de solution qu'il appelle. S'il est toujours pertinent d'analyser les situations et les problèmes de la vie individuelle et collective de façon descriptive ou même interprétative, il faut aussi les considérer dans leur source explicative : la problématique humaine sous-jacente. C'est une sorte de révolution que de chercher la source des problèmes (et des solutions) en l'homme et de considérer que le lieu de toute action y réside. L'homme n'est ni spectateur, ni simple acteur des réalités existentielles, il en est (co-)auteur (et non le créateur). Il est vrai que la façon (le Sens) de considérer un problème entraîne implicitement une théorie du phénomène et une stratégie des voies et moyens d'y intervenir. Or chaque problématique humaine appelle à une résolution dans le meilleur Sens. Cela veut dire qu'il y a toujours à chercher le meilleur "angle de vue" (meilleur Sens) pour comprendre les situations et pouvoir engager un cheminement bénéfique. On peut dire alors qu'il y a une façon saine de prendre et de traiter les problèmes dans l'existence, y compris au niveau des grands problèmes de société, ceux dont les experts se préoccupent. C'est toujours dans la perspective du meilleur Sens humain, du concours à l'accomplissement de l'homme, seul service qui vaille. (Roger Nifle, www.coherences.com, Théorie de la Cohérence, "Thèses")>>.


(c) Dans les prétendues sciences sociales parcellaires, chaque discipline (Economie, Sociologie, Psychologie) se donne un déterminisme propre, pour prétendre faire des prédictions scientifiques dans son domaine.


(d) Voir Théorie des cohérences humaines.


Nota Bene. Les mots en gras sont tous définis sur le cédérom encyclopédique.