Voie romaine


(a) La caractéristique d'une voie romaine impériale n'est pas de créer un chemin entre deux lieux. Nos ancêtres, les Celtes que l'on dit Gaulois, ne les ont pas attendu pour se rendre visite entre eux, faire du commerce, se faire la guerre, se voler ou s'échanger des femmes, des récoltes ou du bétail.


(b) La caractéristique d'une voie romaine n'est pas de mener à Rome. Tous les chemins ne mènent pas à Rome. Mais tous conduisent à d'autres humains, amis ou ennemis. Par ailleurs, l'Empire, ou Rome, n'est pas le seul créateur de voies "romaines".


(c) La caractéristique d'une voie romaine impériale (quand l'Empire n'avait qu'un chef, "maître de lui comme de l'univers", ce qui n'était pas courant) est plutôt dans son tracé. L'itinéraire est établi accessoirement pour un commerce de longue distance, mais surtout pour relier des villes de garnison et des capitales de peuples inclus dans l'Empire. Comme les autoroutes d'aujourd'hui, les voies romaines impériales peuvent éviter les bourgs et avoir des bretelles qui y mènent.


(d) Les voies doivent donc prévoir le ravitaillement de ceux qui les empruntent. D'où le relais nommé "La Poste", près de Noirétable.


(e) Les voies romaines ont aussi un revêtement conçu pour faciliter le roulage. Il s'agit :


- soit de chars rapides. Ils sont tirés par des chevaux et transportent une personne importante (persona grata en latin, VIP en anglais), comme celui de Ben-Hur. Cet homme n'arrête son char que pour changer de chevaux. C'est pour eux et pour les fantassins que la voie est conçue.


- soit de chars lents. Ils sont tirés par des bœuf sous le joug et transportent une charge importante (impedimenta), comme celui de Charles. Parce que Charles attend, au relais, que ses bœufs aient fini de se restaurer. Ce n'est pas vraiment pour eux que la voie a été construite. Ils ne peuvent emprunter que les tracés de plaine.


(f) Le revêtement d'une voie romaine, comme la Bolène, anticipe sur l'invention du macadam par Mac Adam.


- La voie est bordée par deux fossés qui la mettent hors d'eau. En outre, son tracé évite les zones de marécages et les sources non canalisées. Ainsi font les Romains. Parce qu'un font sans fontaine est source de fondrières.


- Le statumen (fondation en pierres) est installé, si possible, sur la roche mère et solide. Les deux fossés sont donc les restes non comblés d'une grande excavation qui contient tout l'appareillage de la voie.


- Le ruderatio est un pavage (fait de pavés) ou un blocage (constitué de blocs de pierres) qui met la chaussée au-dessus des fossés.


- Le nucleus est constitué par de la terre tassée (retirée pendant l'excavation et la mise à nu de la roche).


- De part et d'autre du nucleus, le crepido est un mur vertical fait de gros blocs. Il maintient en place la terre tassée, évitant qu'elle ne comble les fossés.


- Le stratum est un pavage en pierres, recouvrant le nucleus (amortisseur). Il constitue la surface de roulement qui faisait la rapidité voire l'alacrité des messagers ou des légats en mission dans l'Empire Romain. C'est comme ailleurs, mais en mieux.


(g) D'où la formule de Jules César dans le "De Bello Gallico" : <Misit legatos alacrem> ou <Caesarem legatos alacrem eorum> dont des générations de potaches ont fait : "César aime les gâteaux à la crème et au rhum". Pour cela, les écoliers modifient légèrement les formules. Mais, quand l'armée de secours de Vercingétorix se rassemble chez les Eduens, avant de partir pour Alésia, tous sont pleins de confiance et d'enthousiasme : <Omnes alacres et fiduciae pleni ad Alesiam proficiscuntur>.


- <<Huius opera Commi, ut antea demonstravimus, fideli atque utili superioribus annis erat usus in Britannia Caesar ; quibus ille pro meritis civitatem eius immunem esse iusserat, iura legesque reddiderat atque ipsi Morinos attribuerat. Tamen tanta universae Galliae consensio fuit libertatis vindicandae et pristinae belli laudis recuperandae, ut neque beneficiis neque amicitiae memoria moverentur, omnesque et animo et opibus in id bellum incumberent. Coactis equitum VIII milibus et peditum circiter CCL haec in Aeduorum finibus recensebantur, numerusque inibatur, praefecti constituebantur. Commio Atrebati, Viridomaro et Eporedorigi Aeduis, Vercassivellauno Arverno, consobrino Vercingetorigis, summa imperi traditur. His delecti ex civitatibus attribuuntur, quorum consilio bellum administraretur. Omnes alacres et fiduciae pleni ad Alesiam proficiscuntur, neque erat omnium quisquam qui aspectum modo tantae multitudinis sustineri posse arbitraretur, praesertim ancipiti proelio, cum ex oppido eruptione pugnaretur, foris tantae copiae equitatus peditatusque cernerentur. (César, "La Guerre des Gaules", Livre VII, Chapitre 76)>>.


(h) En somme, au cours de vos promenades dans les forêts des monts du Forez, de Gaule, de France ou de Navarre, pour reconnaître une voie romaine d'un simple chemin pavé ou empierré, à défaut d'anciennes pièces de monnaie, de bornes milliaires et d'inscription lapidaire, c'est la grande "ligne droite" et la sensation d'un "travail de Romain" qui vous guideront.


(i) Monts du Forez. Dans la forêt de sapins entre Verrières-en-Forez et le col de la Croix-de-l'Homme-Mort (1163 m), c'est l'importance du revêtement de basalte qui est impressionnante. Si les carrières basaltiques de Verrières qui ont fourni ces pavés et ces blocs restent une interrogation, il est certain que, par la suite, la voie romaine a été, pour des générations, La carrière basaltique de Verrières.


(j) Hauts des monts du Forez. La voie romaine des crêtes, qui relie le Pas du Bon-Dieu (col entre Marols et Montarcher) au col de la Croix-de-l'homme-mort, évite les nombreuses sources de la Mare et celles de l'Andrable. Mais l'altitude de cette route stratégique permet de surveiller les Arvernes et les Ségusiaves. Plus tard, la commanderie des Templiers, à la Sauvetat, s'installe sur cette voie, à proximité du col. Le prieuré de La Chaulme génère une dérivation, par des points de plus basse altitude. D'où une nouvelle route vers Saint-Bonnet-le-Château. Entre La Chaulme (Muziaux) et Le Poyet (au-dessus de La Garde-Paradis), le chemin forestier est rejoint par de nombreux chemins moyen-âgeux, montant de Hauteville et La Folléas.


(k) Toutes les voies romaines ne sont pas des voies impériales. Certaines, tout en datant de l'empire, relèvent d'initiatives provinciales, régionales ou locales. Entre 52 et 56, Lucius Duvius Avitus, gouverneur d'Aquitaine, et Tiberius Tetricus, sénateur gallo-romain, représentant de Burdigala à Rome, décident la construction (ou le pavage) de voies autour de Bordeaux, pour faciliter la circulation des marchandises (du marbre des Pyrénées, des voiles maritimes tissées au pays des Carduques, la célèbre céramique de la Graufesenque, l'huile d'olive de la Narbonnaise, l'étain des Cassitérides). En tous lieux, nombreux sont ceux qui créent une bretelle de raccordement vers une voie impériale.


(l) Les voies romanes ne rendront plus le même service, dès la disparition de l'empire romain. Et, localement, il s'éclipsa souvent avant de sombrer. Le Moyen âge les abandonnera bien souvent, leur préférant, même pour le commerce de longue distance, une succession de chemins vicinaux.


- <<Voilà longtemps que le réseau routier des Romains a cessé de servir. Des tronçons, certes, en subsistent, que l'on reconnaît à leur infrastructure fortement maçonnée. Mais l'essentiel a disparu sous la boue et les ronces. Il faut dire que la route romaine ne s'est pas seulement dégradée : on l'a délibérément abandonnée. Route rapide entre les villes de garnison, en ligne droite qui reste caractéristique de ce réseau et qui permet encore aujourd'hui d'en repérer les vestiges sur la carte ou la photo aérienne. Par là même, la voie romaine méprisait un relief que ne peuvent malheureusement ignorer les marchands avec leurs lourds chariots, et elle était absolument indifférente à la desserte des localités secondaires dont ceux qui font métier d'acheter et de vendre ne peuvent pourtant écarter la clientèle. Le marchand n'est pas homme à se presser pour arriver plus vite au bout de la route. De ville en ville et de bourgade en bourgade, de simples chemins - nés de l'usage local, des relations sociales et des pratiques agraires - font mieux son affaire que des voies impériales inadaptées à ses besoins. A ce rythme, mieux vaut contourner un relief que chercher à la vaincre : on trouve, ce faisant, plus d'opportunités marchandes qu'au pas forcé à travers monts et forêts. (Jean Favier, "De l'or et des épices", Fayard, Paris, 1987, pages 20-21)>>.


(m) Références littéraires :


- <<Le surlendemain, de bonne heure, Fabrice dirigeait les travaux de la fouille de Sanguigna, vis-à-vis Colorno (c'est le Versailles des princes de Parme) ; ces fouilles s'étendaient dans la plaine tout près de la grande route qui conduit de Parme au pont de Casal-Maggiore, première ville de l'Autriche. Les ouvriers coupaient la plaine par une longue tranchée profonde de huit pieds et aussi étroite que possible ; on était occupé à rechercher, le long de l'ancienne voie romaine, les ruines d'un second temple qui, disait-on dans le pays, existait encore au Moyen Age. Malgré les ordres du prince, plusieurs paysans ne voyaient pas sans jalousie ces longs fossés traversant leurs propriétés. Quoi qu'on pût leur dire, ils s'imaginaient qu'on était à la recherche d'un trésor, et la présence de Fabrice était surtout convenable pour empêcher quelque petite émeute. Il ne s'ennuyait point, il suivait ces travaux avec passion ; de temps à autre on trouvait quelque médaille, et il ne voulait pas laisser le temps aux ouvriers de s'accorder entre eux pour l'escamoter. (Stendhal, "La Chartreuse de Parme", 1839, Livre 1, Chapitre 11)>>.


- <<J'employai plusieurs mois à visiter les Gaules avant de me rendre à ma province. Jamais

pays n'offrira un pareil mélange de moeurs, de religions, de civilisation, de barbarie. Partagé entre les grecs, les romains et les gaulois, entre les chrétiens et les adorateurs de Jupiter et de Teutatès, il présente tous les contrastes. De longues voies romaines se déroulent à travers les forêts des druides. Dans les colonies des vainqueurs, au milieu des bois sauvages, vous apercevez les plus beaux monuments de l'architecture grecque et romaine : des aquéducs à trois galeries suspendus sur des torrents, des amphithéâtres, des capitoles, des temples d'une élégance parfaite ; et non loin de ces colonies, vous trouvez les huttes arrondies des gaulois, leurs forteresses de solives et de pierres, à la porte desquelles sont cloués des pieds de louves, des carcasses de hiboux, des os de morts. (François-René Chateaubriand, "Les Martyrs", Livre VIII)>>.


(n) Référence théorique :


- <<Tous les grands progrès économiques et les monuments importants de la culture, tels que les grands travaux d'irrigation de l'Orient, les pyramides d'Égypte, les voies militaires romaines, les arts et les sciences de la Grèce, le développement de l'artisanat et des villes au Moyen Age, auraient été impossibles sans reproduction élargie, car seule une extension progressive de la production au-delà des besoins immédiats et l'accroissement constant de la population ainsi que de ses besoins constituent à la fois la base économique et la force motrice sociale permettant des progrès culturels décisifs. (Rosa Luxemburg, "L'Accumulation du Capital", Partie I, Chapitre I)>>.


(o) Voir La Garde. Pont. Toponyme de voie romaine.




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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Mercredi 9 Juillet 2008



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