(a) Brigitte Collonges, fille du baron de Collonges, est un personnage littéraire de "La Grande crevasse" (1948), second roman alpin ou chamoniard de Roger Frison-Roche. Collonges est un toponyme du Valais. En Haute-Savoie, il y a un Collonges-sous-Salève. On trouve aussi Collonges-lès-Premières en Côte-d'Or ou Collonges-la-Rouge dans l'ancien comté de Limoges. Mais Frison devait penser à Collonges au Mont d'Or (<Colonias> en 1004, <de Colungiis> en 1176, <de Colungias> en 1201, sous la dépendance des moines bénédictins de l'Ile Barbe), quand il fait du baron une connaissance d'un soyeux lyonnais. Arnoulf de Collonges est un chanoine-comte de Lyon.
(b) Tandis que l'entrée en scène de Zian Mappaz, au rocher des Gaillands, est héroïque, celle de Brigitte n'est pas à son avantage.
- <<Quelques badauds arrêtés au bord de la route nationale suivent avec intérêt ce qu'ils prennent pour une démonstration et qui, en réalité, est un sauvetage.
Arrivé en bas, il juge d'un coup d'oeil la situation. C'est bien ce qu'il pensait ! Kipp geint là-haut au bout de la corde. Il a pendulé de quelques mètres et ça lui a coupé le souffle. Laurent, le visage un peu crispé, n'a pas bougé d'un centimètre sur sa vire. Il voit venir Zian.
« Dépêche !... Je prends la crampe, dit-il simplement.
- Tiens bon... »
Pour gagner le pied du surplomb, Zian bouscule presque deux jeunes femmes, qui se prélassent à l'ombre et ne perdent rien du spectacle. L'une d'elles surtout semble s'amuser follement de la situation ; là-haut, le malheureux Kipp fait des contorsions grotesques pour se dégager, puis il y renonce... Zian, déjà, s'élève le long de la paroi ; il progresse lentement, avec une précision mathématique ; personne, le voyant évoluer de la sorte, ne soupçontierait la difficulté du passage ; il se coule sous le surplomb et arrive au niveau des pieds du grimpeur en difficulté ; alors il coince un genou dans une étroite fissure, et fait peser dessus tout le poids de son corps ; il sent la pierre s'incruster dans sa chair ; ainsi suspendu à trente mètres de hauteur, il prête ses épaules à Kipp, lui tient fermement les chevilles.
C'est lourd, cent kilos à supporter, sur une seule cuisse coincée dans une faille ; il sent ses muscles se gonfler à craquer, cependant que cette masse de chair flageole, cherche à s'élever, reprend appui sur les solides épaules... Elles sont solides comme un pilier de granit, les épaules de Zian ! Kipp reprend son souffle ; son coeur bat à coups violents tandis que d'un effort surhumain il cherche à progresser ; il piétine sans ménagement la tête du guide, ses épaules, de nouveau sa tête, sans pouvoir gagner un centimètre.
C'est alors que d'en bas un éclat de rire parvient jusqu'aux deux hommes.
Zian a peine à le croire... Sacrebleu ! On ose se moquer... et pendant qu'on se moque, la fatigue l'envahit, il sent les muscles de sa cuisse se durcir exagérément - c'est toujours ainsi avant la crampe. Et ce rire qui continue... Elle ne voit donc pas que je peux me casser la figure, celle-là ! Alors sa rage explose, il hurle :
« Vous allez vous taire là-dessous ! »
Kipp lui dira plus tard qu'il a juré grossièrement, mais il affirmera le contraire.
A cet éclat de colère, le rire s'est arrêté.
Dans le silence qui suit, ils voient plus clair.
Kipp peut enfin saisir à deux mains un solide rebord. Et puis, de sentir Zian sous lui, qui le soutient de sa large nuque, de ses fermes épaules, il n'a plus peur tout à coup ! Le miracle s'accomplit. Zian parle, et Kipp obéit :
« A droite pour le pied... là... ça va... Maintenant l'autre jambe... un peu plus haut... Bien... Laurent ! Tire la corde ! »
Comme tout est plus simple quand Zian est là !
Et Laurent sent venir la corde : un mètre, deux mètres...
Il peut changer de position, gagner une plate-forme, reposer son bras crispé où les veines saillent comme un noeud de serpents... Ça y est ! Voici Kipp qui tourne l'arête : il aperçoit d'abord son visage ruisselant de sueur, écarlate, mais déjà rasséréné, puis le corps surgit à son tour...
« Ben, mon petit, fait Kipp, tu me la copieras ! »
Derrière vient Zian, décordé, veillant pas à pas sur le gros Kipp, car il sait qu'une défaillance est toujours possible..
Ils gagnent ainsi la voie normale et atteignent le bas de l'escalade.
« Pour aujourd'hui, c'est terminé », déclare Zian.
Tous les élèves l'entourent, le questionnent, taquinent la victime qui est la première à rire de son aventure.
« Cent kilos ! Je voudrais bien vous y voir ! Demandez plutôt à Zian ou à Laurent ! A propos, merci quand même, vous deux ! »
Ils se groupent autour des sacs, enlèvent leurs espadrilles, plient les cordes. Ils ne font même pas attention aux deux jeunes femmes de tout à l'heure qui n'ont pas quitté leur place sur 1a rive herbeuse, et qui se taisent, un peu mortifiées d'avoir été rabrouées.
Mais Zian feint de ne pas les voir ; il sent encore trop de colère amassée en lui, il serait capable de s'emporter ; mieux vaut les ignorer.
Et ça se serait sans doute passé comme ça, et il ne les aurait plus jamais revues, si Kipp n'avait reconnu Micheline Faret.
« Tiens, tiens ! fait-il, jovial, c'est donc vous, madame, qui vous moquiez si gentiment... Vous, ou votre amie ? » La jeune femme se lève un peu confuse, fait un signe.
« Brigitte ! » dit-elle.
Mais sa compagne semble bouder. « Brigitte ! répète-t-elle. M. Sylvain Kipp est un excellent ami de mon mari ; quant à Mlle Collonges, ajoute-t-elle en se tournant vers lui, vous la connaissez sans doute ?
- Le baron Collonges ! Bien entendu... Mes respects, mademoiselle. » Il voudrait présenter Zian. Trop tard ! Celui-ci, ayant ramassé ses cordes, file déjà à grands pas sur le chemin des Pècles.
« Déjà parti ! Dommage, j'aurais bien voulu que vous le connaissiez; un charmant garçon, un peu sauvage...
- Je crains que nous ne l'ayons froissé, dit encore la jeune femme. Il faudra nous pardonner, nous n'avions pas compris que vous étiez en mauvaise posture, et puis...» Micheline Faret s'arrêta avec un sourire malicieux.
« Allez, allez ! Dites la vérité, répond-il. Un gros homme comme moi au bout d'une corde, c'est forcément drôle ! Ça ne fait rien, qu'attendez-vous pour en faire autant Y.,. Hein ! Si on vous mettait au pied du mur ? » Et il rit aux éclats. « C'est ça, j'en parlerai à Zian, et pas plus tard qu'aujourd'hui au bal des Guides ! »
La fête des Guides avait lieu ce même soir du 14 août 1932, au Casino.
(Roger Frison-Roche, 1948, "La Grande crevasse", édition Arthaud, 1968, pages 14-17)>>.
(c) Mais elle saura faire pardonner cette maladresse.
- <<En passant, il avait pris Nanette Guichardaz, et tous deux avaient rejoint, chez Breton, Laurent, Boule, et les autres guides. Ils étaient arrivés en avance au Casino. Le vieux Kléber, chargé de la réception, les avait dirigés vers la table réservée aux guides, un peu à l'écart, dans le fond de la salle ; on leur avait servi du crépy pétillant et, de là, ils avaient vu arriver tout le monde.
Il y avait foule. Au centre se trouvait la table d'honneur avec les officiels : le maire, le président du Syndicat, etc.; puis autour de la piste de danse en verre dépoli éclairé par en dessous étaient dispersées les tables destinées aux invités. Zian reconnaissait la plupart des « clients » habituels des guides, - ceux que l'on croise sur les glaciers, ou qu'on rencontre dans les cabanes, - mêlés à une multitude de touristes quelconques, de ceux qui ne quittent jamais la station.
Nanette aurait bien voulu danser.
« Pas encore, avait dit Zian. On va pas ouvrir le bal, nous autres ! »
Mais quand les touristes avaient envahi la piste, eux, du coup, n'avaient plus osé.
« On est plus à l'aise dans le rocher ! » soupira Paul Mouny.
De la sorte, le temps avait passé, et ils commençaient à s'ennuyer.
C'est alors que le chef d'orchestre, un boute-en-train qui aimait bien les guides, s'aperçut de la situation. Il ordonna un roulement de tambour, et dans le silencee
qui suivit, il annonça :
« Mesdames, Mesdemoiselles, une « série bleue », pour faire danser les guides ! »
Ça devait changer toute la vie de Zian, cette danse !
Elle était venue droit vers lui à travers la salle, et alors il eût voulu être à cent pieds sous terre. Si encore elle avait fait le grand tour, si elle s'était faufilée discrètement au milieu des tables ! Mais non, elle s'était levée la première, et toute la salle l'avait remarquée ; puis, coupant au plus court vers la table des guides, elle avait franchi la piste de danse déserte qui l'isolait de la lumière, tandis que tous la suivaient du regard, et l'admiraient, car elle était très belle.
Zian l'avait vue venir, lui aussi, et tous ses camarades; elle semblait presque trop belle, comme ces vedettes qu'on voit sur l'écran; dans la réalité, les femmes ne sont jamais aussi parfaites.
Nanette elle-même paraissait en convenir.
« Elle est rudement bien ! » fit-elle naïvement.
Et malgré lui, Zian avait fait la comparaison avec Nanette. Puis il avait détourné son regard, gêné.
Mais il n'avait pas eu le temps de penser plus avant : elle s'était trouvée tout à coup devant lui, souriant d'un air malicieux, ébauchant une sorte de révérence :
« Puisqu'il est permis de choisir son cavalier, voulez-vous valser avec moi, monsieur Zian ? »
Alors seulement il reconnut la jeune fille à sa voix. Mais ne comprenant pas pourquoi elle était venue à lui, il restait là, tout interdit, les bras ballants... Boule fut obligé de le pousser du coude.
« Fais pas attendre ! »
Zian se leva. (Roger Frison-Roche, 1948, "La Grande crevasse", édition Arthaud, 1968, pages 18-19)>>.
(d) Puis, sportive depuis l'enfance, Mademoiselle Collonges faire preuve de fortes dispositions pour l'alpinisme, par un apprentissage excessivement rapide. Sa première course rocheuse, en pleine montagne, est la traversée Ravanel-Mummery, au-dessus du glacier de Talèfre et du glacier d'Argentière. Sa première course glaciaire est le Mont Blanc, depuis le col de Miage (cabane Durier), par la traversée des arêtes de Bionnassay.
(e) Après la mort de Zian, son mari, au fond de la grande crevasse éponyme, on retrouve Brigitte Mappaz comme gardienne de refuge, dans "Retour à la montagne" (1957, Arthaud, Grenoble).
(f) Voir Montagne à vaches. Refuge de l'Aigle.
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Mis en ligne le Lundi 11 Août 2008.
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