Delenda est Carthago


(a) Aux temps des Guerres puniques, à Rome, <Delenda est Carthago> est le mot d'ordre par lequel Caton l'Ancien terminait chacun de ses discours, au Sénat. Comme tous les mots historiques, ce "il faut détruire Carthage" est sujet à caution. Mais la formule est devenue le symbole d'une idée fixe ou une figure de la haine.


(b) D'un point de vue grammatical, <Delendus, a, um> est un adjectif verbal du verbe latin classique, du deuxième groupe, <deleo, es, evi, etum, delere> signifiant "effacer", "raturer", "détruire", "anéantir", qui a donné les adjectif et nom français <délébile> (1823) <délétion> (XX ème siècle, d'après l'anglais) et le verbe anglais <to delete>.


(c) D'un point de vue politique et culturel, le Delenda est Carthago préfigure le "manque de nuance" (cette figure de rhétorique peut être dénommée <litote>) de George W. Bush déclarant la guerre au terrorisme, voire une Croisade. Le registre auquel il se réfère est celui du choc des civilisations.


- <<Les guerres mondiales avaient marqué une étape dans la montée aux extrêmes. Le 11 septembre 2001 a été le début d'une nouvelle phase. Le terrorisme actuel reste à penser. On ne comprend toujours pas ce qu'est un terroriste prêt à mourir pour tuer des Américains, des Israéliens ou des Irakiens. La nouveauté par rapport à l'héroïsme occidental est qu'il s'agit d'imposer la souffrance et la mort, au besoin en les subissant soi-même. Les Américains ont commis l'erreur de «déclarer la guerre» à Al-Qaeda alors qu'on ne sait même pas si Al-Qaeda existe. L'ère des guerres est finie : désormais, la guerre est partout. Nous sommes entrés dans l'ère du passage à l'acte universel. Il n'y a plus de politique intelligente. Nous sommes près de la fin. (René Girard, avec Élisabeth Lévy, in Le Point, 18 octobre 2007)>>.


- <<Bush est, de ce point de vue, la caricature même de ce qui manque à l'homme politique, incapable de penser de façon apocalyptique. Il n'a réussi qu'une chose : rompre une coexistence maintenue tant bien que mal entre ces frères ennemis de toujours [sunnites et chiites]. (René Girard, "Achever Clausewitz")>>.


- <<Deux croisades, deux formes de fondamentalismes, la guerre juste de George Bush a réactivé celle de Mahomet (René Girard, "Achever Clausewitz", page 355)>>.


(d) Références littéraires :


- <<On le peut, l'auteur de "Salammbô" le prouve, mais ce n'est pas aisé. À la longue, le delenda Carthago du vieux Caton s'est accompli littéralement. Après bien des renaissances et des rechutes, Carthage a disparu, ne laissant pour ruines visibles que quelques arches d'aqueduc. Sa langue s'est perdue : il n'en reste qu'un monologue et quelques mots dans le "Poenulus" de Plaute, parodies sans doute comme ces jargons hybrides par lesquels on imite dérisoirement au théâtre les idiomes étrangers. Les légendes des rares médailles puniques sont indéchiffrables ou d'une interprétation arbitraire. À défaut de monuments, M. Gustave Flaubert, avec une patience de bénédictin, a dépouillé toute l'histoire antique. Chaque passage se rapportant, de près ou de loin, à son sujet, a été relevé ; pour un détail, il a lu de gros volumes qui ne contenaient que ce détail. Non content de cela, il a fait une excursion investigatrice aux rives où fut Carthage, adaptant la science acquise à la configuration des lieux, interrogeant les flots limpides qui cachent tant de secrets, frappant le sable du talon pour en faire sortir une réponse à un doute, s'imprégnant de la couleur du ciel et des eaux, se logeant dans la tête la forme des promontoires, des collines, des terrains, de façon à bien planter le décor de son drame et de sa restauration, car "Salammbô" est à la fois l'un et l'autre. (Théophile Gautier, "Salammbô par Gustave Flaubert", in Moniteur officiel, 22 décembre 1862)>>.


- <<On a p'tête pas encore la liberté, mais il y a une justice. Comme devoir supplémentaire, le surgé m'a donné un exercice de latin au choix. J'ai ouvert mon "Cayrou" au hasard et j'ai traduit le premier thème qui m'est tombé sous la plume et, divin hasard, c'est çui-là qu'on a eu en composition le vendredi matin. J'ai été premier, ce qui m'était encore jamais arrivé, et Schmoll qu'avait pas été collé et qu'avait pas eu de devoir supplémentaire a pas été "culal" mais presque. Delendus est Schmollus ! Adjectif verbal : il faut démolir Schmoll. Carthage, c'est un peu dépassé. (Jacques Delatour, "Carnets d'un écolier de Franche-Comté, 1939-1944", éditions Cabédita, 2001, Collection Archives vivantes, page 151, "Billes et biscuits")>>.


(e) Références historiques et critiques :


- <<Cato inexpiabili odio delendam esse Carthaginem, et cum de alio consuleretur, pronuntiabat. "Caton, poussé par une haine inexpiable, proclamait que Carthage devait être détruite, même lorsque la délibération portait sur un autre point". (Florus, "Abrégé de l'Histoire romaine", I, XXXI, 4-5)>>.


- <<Je me reproche d'avoir demandé, comme bien d'autres, la suppression des parlements en 90. Lorsque je disais d'eux delenda est Carthago, c'était une erreur et une injustice où il entrait même de l'animosité personnelle, car j'avais à me plaindre d'eux. (Jean-François de La Harpe, Paris, 20 novembre 1739, 11 février 1803, traducteur du "Philoctète" de Sophocle)>>.


- <<Caton ne répétait pas plus souvent dans le sénat romain delenda est Carthago, que Siéyès dans son salon : Il faut briser la constitution de l'an III. (Benjamin Constant)>>.


- <<Ceterum censeo Carthaginem esse delendam. "D'ailleurs, je suis d'avis que Carthage doit être détruite". (Nietzsche, "Considérations sur l'Histoire", à propos de Caton)>>.


- <<«Delenda Carthago est» est une célèbre locution latine dont l'authenticité syntaxique est incertaine. Elle signifie : «Carthage devant être détruite !» (littéralement : «Carthage est à détruire !»). Selon la tradition, Caton l'Ancien, prononçait cette formule à chaque fois qu'il commençait ou terminait un discours devant le Sénat à Rome, et quel qu'en soit le sujet. La version complète serait «Ceterum censeo Carthaginem delendam esse», «En outre, je pense que Carthage est à détruire», «Delenda Carthago est» en étant une simplification grammaticale. La formule de Caton n'est jamais rapportée au discours direct par les sources qui mentionnent cet épisode (Cicéron, Pline l'Ancien, Plutarque). Il est ainsi probable que la locution restée dans les mémoires soit en réalité une simplification séduisante de la conclusion systématique des discours de Caton en 150 avant JC. L'expression s'emploie aujourd'hui pour parler d'une idée fixe, que l'on poursuit avec acharnement jusqu'à sa réalisation. Il aurait adopté ce leitmotiv en raison des craintes que lui inspirait le redressement économique de Carthage qu'il avait pu constater lors de son voyage en -153 dans cette ville, pour une mission d'arbitrage entre les Carthaginois et les Numides. De retour de voyage, il alla à la chambre du sénat et montra une figue aux autres sénateurs. Il leur demanda ce qu'ils pensaient de son état et les sénateurs déclarèrent qu'elle était fraîche. Caton leur déclara alors qu'elle provenait de Carthage, située à moins de 3 jours de navigation. La menace représentée par cette proximité apparut alors clairement aux yeux des sénateurs. Carthage a été détruite après un siège qui s'est étendu de -149 à -146, à l'issue de la 3e guerre punique. Cette phrase fut par la suite adaptée à diverses occasions, notamment lorsque Cotton Mather l'employa contre le gouverneur Frontenac pour envahir le Canada en 1690. Le gouverneur William Shirley aimait dire Delenda Canada est après avoir réussi à obtenir l'expulsion des Acadiens. (Wikipédia)>>.


(f) Voir Clivage des représentations. Continence de Scipion. Haine. Massinissa. Saint Augustin.


Auteur. Hubert Houdoy le mercredi 21 Mai 2008



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