(A) Généralités.
(a) Définition. La haine, terme de 1155 sous la forme <haïne>, est une "violente répulsion", une "hostilité", une "aversion".
(b) Etymologie. Le nom féminin <haine> est un déverbal du verbe <haïr>, terme de 1080 dans "La Chanson de Roland". Le francique <hatjan> a aussi donné l'anglais <to hate> et l'allemand <hassen>.
(c) Pour la logique et pour les oppositions paradigmatiques de la sémantique, l'amour et la haine sont différents dans leurs qualités, opposés dans leurs buts et contradictoires dans leurs effets.
(d) Pour Spinoza, l'un peut se renverser dans l'autre.
(e) Pour Eugen Bleuler (1857-1939), psychiatre suisse, amour et haine coexistent dans l'ambivalence.
(f) Libido sciendi. Chez Léonard de Vinci, amour et haine sont dépassés ou sublimés par une soif de savoir.
(g) La haine est un puissant moteur de la destruction et, partant, du mouvement historique. Elle a la même source affective que l'amour, mais elle utilise cette énergie psychique autrement.
(h) Delenda est Carthago ! Velleius Paterculus note la persistance de la haine de Rome (née de la jalousie) contre Carthage.
- <<XII. - Par la suite, l'Achaïe tout entière s'enflamma pour la guerre, bien qu'une grande partie du pays eût été abattue, comme nous l'avons dit, par le courage et les armes de ce même Métellus Macédonicus. Les Corinthiens surtout poussaient à prendre les armes et osaient outrager gravement les Romains. On désigna pour faire cette guerre le consul Mummius. A la même époque, la bonne volonté que les Romains mettaient à croire tout ce qu'on leur disait des Carthaginois, plutôt que la vraisemblance de ce qu'on leur rapportait, fit que le Sénat décida d'anéantir Carthage. C'est ainsi qu'à cette date, Publius Scipion Emilien, parfaite image des vertus de son aïeul Publius Scipion l'Africain et de son père Lucius Paulus, l'homme le plus remarquable de son siècle par ses nombreux talents civils et militaires, par son intelligence et ses connaissances, lui qui, dans sa vie, ne fit ou ne dit et ne pensa rien qui ne fût digne d'éloges et qui était, comme nous l'avons rapporté, fils de Paul Emile, puis avait été adopté par Scipion, fils de l'Africain, fut nommé consul alors qu'il briguait seulement l'édilité. Déjà, depuis deux ans, les consuls précédents avaient commencé la guerre contre Carthage. Il la mena avec une plus grande vigueur. Auparavant, il avait été honoré en Espagne d'une couronne murale, en Afrique d'une couronne obsidionale. Plus encore, en Espagne, à la suite d'une provocation, il avait tué, lui qui était d'une force très ordinaire, un ennemi d'une taille gigantesque. Il détruisit Carthage de fond en comble : cette ville était odieuse aux Romains non qu'elle eut causé à cette époque aucun dommage, mais parce qu'ils jalousaient sa puissance. Elle devint le témoignage de son courage comme elle l'avait été de la clémence de son aïeul. Elle fut détruite, six cent soixante-six ans après sa fondation, sous le consulat de Cneius Cornélius Lentulus et de Lucius Mummius, il y a de cela cent soixante-dix-sept ans. Telle fut la fin de Carthage, rivale de l'empire romain, que nos ancêtres commencèrent à combattre sous les consuls Claudius et Eulvius, deux cent quatre-vingt-seize ans avant ton consulat, Marcus Vinicius. Ainsi pendant cent quinze ans ce fut entre les deux peuples ou la guerre ou la préparation de la guerre, ou une paix peu loyale. Rome déjà victorieuse du monde, pensa qu'elle n'aurait pas de sécurité, s'il restait quelque part un témoignage de l'existence de Carthage. Tant il est vrai que la haine née des combats est plus durable que la crainte, qu'elle subsiste même dans la victoire, et que ce qui a été une fois haï ne cesse pas de l'être avant d'avoir cessé d'exister. (Velleius Paterculus, "Histoire romaine", Livre I)>>.
(i) Certains personnages littéraires sont une personnification littéraire, théâtrale puis musicale de la haine et de la haine de l'amour. C'est le cas d'Arcabonne qui veille jalousement sur le tombeau et les mânes de son frère défunt, Ardan Canile.
- <<ARCABONNE, seule
Amour, que veux-tu de moi ?
Mon coeur n'est pas fait pour toi.
Non, ne t'oppose point au penchant qui m'entraîne,
Je suis accoutumée à ressentir la haine,
Je ne veux inspirer que l'horreur et l'effroi.
Amour que veux-tu de moi ?
Mon coeur aurait trop de peine
À suivre une douce loi,
C'est mon sort d'être inhumaine.
Amour, que veux-tu de moi ?
Mon coeur n'est pas fait pour toi.
(Jean-Baptiste Lully, "Amadis", tragédie lyrique, Acte II, air d'Arcabonne, in Coffret musical, "200 ans de musique à Versailles", Les 20 ans du Centre de Musique Baroque de Versailles, cd 3, "Lully, créateur de l'opéra français", Livret)>>.
(j) Voir Coexistence des contraires.
(B) Terme de Psychanalyse.
(a) Dans la prime enfance, dans l'état d'adualisme initial et de dépendance absolue du nourrisson à l'égard de la mère, amour et haine ne peuvent se distinguer, pas plus que la bouche et le sein dans la "conscience" du nouveau-né. Freud compare l'amour et la haine à <la polarité de l'attraction et de la répulsion> que l'on trouve en Physique. Si bien que l'un n'irait pas sans l'autre, comme le recto et le verso de toute surface. L'inhibition est un conflit de l'amour et de la haine dans lequel aucun acteur ne sait surpasser l'autre. Nous restons largement inconscients de la multitude de nos sentiments.
- <<On se voit ainsi contraint de donner raison aux poètes qui nous peignent avec prédilection des personnes qui aiment sans le savoir, ou qui ne savent pas si elles aiment, ou qui croient haïr alors qu'elles aiment. Il semble bien que les informations que notre conscience obtient sur notre vie amoureuse puissent être le plus facilement du monde incomplètes, lacunaires ou faussées. (Sigmund Freud, "Psychogenèse d'un cas d'homosexualité féminine", in Névrose, psychose et perversion, page 265)>>.
(b) Définition.
- Haine : <<terme utilisé en psychanalyse dans les conditions suivantes :
(1) pour désigner, par rapport à l'amour, <une force de destruction, de désintégration, qui va dans le sens de la privation et de la mort> (Joan Rivière) ;
(2) pour connoter dans l'amour le sens des forces d'agression ;
(3) pour souligner l'action du sur-moi en relation avec le sentiment de culpabilité.
(Pierre Fédida, "Dictionnaire de la Psychanalyse", page 143)>>.
(c) Freud est amené à supposer un développement de la libido d'objet (stades oral, anal, phallique et génital) et un développement parallèle, mais possiblement déphasé, de la libido du moi. Du déphasage peut naître telle ou telle névrose. Freud emprunte alors à Sandor Ferenczi ("Stades du développement du sens de la réalité") et à Wilhelm Stekel ("La langue du rêve", 1911 ; "L'amour incestueux de Baudelaire" ; "Poésie et névrose, matériaux pour une psychologie de l'artiste et de l'œuvre d'art").
- <<Or, notre thèse ne se rapporte qu'à la phase du développement libidinal, et ne contient donc pas toute la connaissance que nous avons besoin de faire progresser. Les stades de développement des pulsions du moi sont jusqu'à maintenant très peu connus. Je ne connais qu'une tentative pour aborder cette question, celle, prometteuse, de Ferenczi. Je ne sais s'il est trop audacieux d'émettre l'hypothèse, conforme aux voies de recherche actuelles, que, dans la disposition à la névrose obsessionnelle, il y a lieu d'enregistrer le fait que le développement du moi devance dans le temps celui de la libido. Les pulsions du moi, du fait de cette anticipation, seraient contraintes au choix d'objet avant que la fonction sexuelle n'eût atteint sa configuration définitive ; une fixation en résulterait au stade prégénital de l'ordre sexuel. Si on considère que les névrosés obsessionnels doivent faire preuve d'une hypermoralité pour défendre leur amour envers l'objet contre l'hostilité qui perce derrière lui, on inclinera à présenter comme typique de la nature humaine un certain degré de devancement de développement du moi et à penser que la précursion de l'amour par la haine, du point de vue du développement, fonde la capacité de faire naître la morale. C'est peut-être ce que signifie une phrase de W. Stekel, qui me semblait naguère incompréhensible, savoir que c'est la haine et non l'amour qui est la relation sentimentale primaire entre êtres humains. (Sigmund Freud, "La disposition à la névrose obsessionnelle", in Névrose, psychose et perversion, page 197)>>.
(d) Freud arrive à cette formulation : <<L'objet coïncide avec l'étranger, le haï ; la haine, en tant que relation à l'objet, est plus ancienne que l'amour>>. Il retrouve alors l'idée, déjà ancienne, du philosophe grec d'Empédocle.
(e) Mélanie Klein poursuivra dans ce sens, avec le bon objet et le mauvais objet. Pour elle, dès la naissance, la haine représente l'instinct de mort. Pour Wilfred R. Bion, son disciple, la haine intervient dans la personnalité psychotique de chacun d'entre-nous. Là encore, la recherche de la connaissance permet d'aller au-delà. Puis Donald Winnicott, dès 1947, reconnaîtra la présence de "La haine dans le contre-transfert".
(f) Voir Clivage des représentations. Délire. Énergie affective. Jalousie. Mémoire énergétique et signifiante. Mémoire corporelle. Moi-peau. Objet libidinal. Projection. Pulsion de vie. Pulsion de mort. Schreber. Surface d'inscription.
(C) Mythologie grecque.
(a) La haine serait aussi ancienne que le monde. Ouranos est plein de haine pour ses enfants. Il les rejette dans le ventre de la Terre.
(b) Avec son fils, Kronos ou Cronos, nait la vengeance.
(c) Déesse de l'amour, Vénus serait la fille de cette vengeance. C'est aussi le point de vue de Winnicott.
(d) Voir Faucille d'or. Gaïa.
(D) Histoire.
(a) La haine entre Rome et Constantinople, principalement pour des questions de dogme, est à la base de la chute de Constantinople puis de l'échec politique de la Chrétienté.
(b) Voir Byzance. Croisade. Empire de Nicée. Filioque. Iconoclasme. Monophysisme.
(E) Références littéraires.
(a) Proximité de la haine et de l'amour.
- <<Ellénore suivit de près cette lettre ; elle m'informa de son arrivée. Je me rendis chez elle avec la ferme résolution de lui témoigner beaucoup de joie ; j'étais impatient de rassurer son coeur et de lui procurer, momentanément au moins, du bonheur et du calme. Mais elle avait été blessée ; elle m'examinait avec défiance : elle démêla bientôt mes efforts ; elle irrita ma fierté par ses reproches ; elle outragea mon caractère. Elle me peignit si misérable dans ma faiblesse qu'elle me révolta contre elle encore plus que contre moi. Une fureur insensée s'empara de nous : tout ménagement fut abjuré, toute délicatesse oubliée. On eût dit que nous étions poussés l'un contre l'autre par des furies. Tout ce que la haine la plus implacable avait inventé contre nous, nous nous l'appliquions mutuellement, et ces deux êtres malheureux qui seuls se connaissaient sur la terre, qui seuls pouvaient se rendre justice, se comprendre et se consoler, semblaient deux ennemis irréconciliables, acharnés à se déchirer. (Benjamin Constant, "Adolphe", chapitre V)>>.
(b) Pour Dostoïevski, amour et haine sont interchangeables.
- <<Lipoutine s'accrocha à moi.
– AlexisAlexis Nilitch le relèvera. Savez-vous ce que le capitaineAlexis Nilitch le relèvera. Savez-vous ce que le capitaine Lébiadkine vient de m'apprendre ? me dit-il précipitamment, – vous avez entendu ses vers ? Eh bien, cette même poésie dédiée à une «étoile-amazone
– Je parierais qu'il a fait cela à votre instigation.
– Vous perdriez ! répondit en riant Lipoutine, – il est amoureux comme un matou. Et figurez-vous que cette passion a commencé par la haine. D'abord il détestait Élisabeth Nikolaïevna parce qu'elle s'adonne à l'équitation ; il la haïssait au point de l'invectiver à haute voix dans la rue ; avant-hier encore, au moment où elle passait à cheval, il lui a lancé une bordée d'injures ; – par bonheur, elle ne les a pas entendues, et tout à coup aujourd'hui des vers ! Savez-vous qu'il veut risquer une demande en mariage ? Sérieusement, sérieusement !
– Je vous admire, Lipoutine : partout où se manigance quelque vilenie de ce genre, on est sûr de retrouver votre main ! dis-je avec colère.
(Fiodor Dostoïevski, "Les Possédés", traduit du russe par Victor Derély, Librairie Plon, Paris, 1886, Partie I, Chapitre III, Les péchés d'autrui)>>.
(c) Théorie mimétique de la haine, de l'amour et du désir :
- << Nous sommes d'autant plus voués à porter à notre prochain une adoration qui se transforme en haine que nous cherchons plus désespérément à nous adorer nous-mêmes, que nous nous croyons plus «individualistes». C'est pour couper court à tout cela que le Lévitique contient le commandement fameux : «Tu aimeras ton prochain comme toi-même», c'est-à-dire tu ne l'aimeras ni plus ni moins que toi-même. (René Girard, Éditions Grasset & Fasquelle, 1999, "Je vois Satan tomber comme l'éclair", page 29)>>.
- <<– Ne vous trompez-vous pas ?
– Non. Sous la haine incessante, sincère et profonde qu'elle vous témoigne, perce à chaque instant un amour insensé, l'amour le plus sincère, le plus excessif et... le plus fou ! Par contre, sous l'amour non moins sincère qu'elle ressent pour moi perce à chaque instant la haine la plus violente ! Je n'aurais jamais pu imaginer auparavant toutes ces... métamorphoses.
– Mais je m'étonne pourtant que vous veniez m'offrir la main d'Élisabeth Nikolaïevna !
(Fiodor Dostoïevski, "Les Possédés", traduction Victor Derély, Plon, Paris, 1886, Partie II, Chapitre VI, Pierre Stépanovitch se remue)>>.
(d) Haine de soi.
- <<Craignons celui qui se hait lui-même, car nous serons les victimes de sa vengeance (Nietzsche)>>.
Auteur. Hubert Houdoy le mercredi 21 Mai 2008
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