Main invisible



(A) Terme d'Economie Politique.



(a) L'affirmation de l'existence d'une main invisible guidant les actions individuelles sur le marché est la croyance en l'harmonisation automatique des intérêts. La formule est due à Adam Smith.


- <<A la vérité, son intention en général n'est pas en cela de servir l'intérêt public, et il ne sait même pas jusqu'à quel point il peut être utile à la société. En préférant le succès de l'industrie nationale à celui de l'industrie étrangère, il ne pense qu'à se donner personnellement une plus grande sûreté ; et en dirigeant cette industrie de manière que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu'à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d'autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n'entre nullement dans ses intentions ; et ce n'est pas toujours ce qu'il y a de plus mal pour la société, que cette fin n'entre pour rien dans ses intentions. (Adam Smith, "Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations", 1776, Livre IV, "Des systèmes d'économie politique", Chapitre 2, "Des entraves à l'importation seulement des marchandises étrangères qui sont de nature à être produites par l'industrie")>>.


- <<on ne redoutait jamais que la main invisible de Jupiter fût employée dans ces matières. (Adam Smith, "Histoire de l'astronomie", avant 1759, publication posthume)>>.


- <<Ils sont conduits par une main invisible à accomplir presque la même distribution des nécessités de la vie que celle qui aurait lieu si la terre avait été divisée en portions égales entre tous ses habitants. (Adam Smith, "Théorie des Sentiments Moraux", 1759)>>.


- <<Dans presque toutes les espèces d'animaux, chaque individu parvenu à sa pleine croissance, est tout à fait indépendant et, tant qu'il reste dans son état naturel, il peut se passer de l'aide de tout autre créature vivante. Mais l'homme a presque continuellement besoin de ses semblables, et c'est en vain qu'il l'attendrait de leur seule bienveillance. Il sera bien plus sûr de réussir, s'il s'adresse à leur intérêt personnel et s'il les persuade que leur propre avantage leur commande de faire ce qu'il souhaite d'eux. C'est ce que fait celui qui propose à un autre un marché quelconque ; le sens de sa proposition est ceci :" Donnez-moi ce dont j'ai besoin, et vous aurez de moi ce dont vous avez besoin vous-même" ; et la plus grande partie de ces bons offices qui nous sont nécessaires s'obtiennent de cette façon. Ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu'ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n'est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c'est toujours de leur avantage. (Adam Smith, "Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations")>>.


- <<Comme c'est ainsi par traité, par troc et par achat que nous obtenons des autres la plupart des bons offices qui nous sont mutuellement nécessaires, c'est cette même disposition à trafiquer qui aura dans l'origine donné lieu à la division du travail. Par exemple, dans une tribu de chasseurs ou de bergers, un individu fait des arcs et des flèches avec plus de célérité et d'adresse qu'un autre. Il troquera fréquemment ces objets avec ses compagnons contre du bétail ou du gibier, et il ne tarde pas à s'apercevoir que, par ce moyen, il pourra se procurer plus de bétail et de gibier que s'il allait lui-même à la chasse. Par calcul d'intérêt donc, il fait sa principale occupation des arcs et des flèches, et le voilà devenu une espèce d'armurier. Un autre excelle à bâtir et à couvrir les petites huttes ou cabanes mobiles ; ses voisins prennent l'habitude de l'employer à cette besogne, et de lui donner en récompense du bétail ou du gibier, de sorte qu'à la fin, il trouve qu'il est de son intérêt de s'adonner exclusivement à cette besogne et de se faire en quelque sorte charpentier et constructeur. Un troisième devient de la même manière forgeron ou chaudronnier, un quatrième est le tanneur ou le corroyeur des peaux et des cuirs qui forment le principal revêtement des sauvages. (Adam Smith, "Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations")>>.


- <<Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, l'homme travaille souvent d'une manière bien plus efficace pour l'intérêt de la société que s'il avait réellement pour but d'y travailler. (Adam Smith, "Recherches sur la nature et les causes de la Richesse des Nations", 1776)>>.


- A contrario. <<Je n'ai jamais vu que ceux qui aspiraient, dans leurs entreprises de commerce, à travailler pour le bien général, aient fait beaucoup de bonnes choses. Il est vrai que cette belle passion n'est pas très commune parmi les marchands et qu'il ne faudrait pas de longs discours pour les en guérir. (Adam Smith, "Recherches sur la nature et les causes de la Richesse des Nations", 1776)>>.


(b) La main invisible est un postulat commun de l'école classique anglaise et des écoles ultra-libérales. Ces écoles voient dans la concurrence et la recherche du profit maximum le meilleur moyen de produire la plus grande richesse pour le plus grand nombre. En recherchant son intérêt, le voleur ou l'assassin crée le besoin de policiers, qui exige le renforcement de l'Etat et l'augmentation des impôts, ce qui multiplie le nombre des fonctionnaires. Une telle société est infiniment plus riche que celle qui n'aurait pas toutes ces satisfactions !


(c) Le marquis de Sade saura utiliser, pour sa propre justification, le raisonnement de Smith.


(d) John Stuart Mill illustre bien cet espoir que fait naître un monde de concurrence, après l'abolition d'un monde de positions et de privilèges.


- <<Nous pouvons être tranquilles sur un point. Ce qui répugne aux femmes, on ne le leur fera pas faire en leur donnant pleine liberté. L'humanité n'a que faire de se substituer à la nature de peur qu'elle ne réussisse pas à atteindre son but. Il est tout à fait superflu d'interdire aux femmes ce que leur constitution ne leur permit pas. La concurrence suffit pour leur défendre tout ce qu'elles ne peuvent faire aussi bien que les hommes, leurs compétiteurs naturels, puisqu'on ne demande en leur faveur ni primes ni droits protecteurs ; tout ce qu'on demande, c'est l'abolition des primes et des droits protecteurs dont jouissent les hommes. Si les femmes ont une inclination naturelle plus forte pour une certaine chose que pour une autre, il n'est pas besoin de lois ni de pression sociale pour forcer la majorité des femmes à faire la première plutôt que la seconde. Le service des femmes le plus demandé sera, quel qu'il soit, celui-là même que la liberté de la concurrence les excitera le plus vivement à entreprendre ; et, ainsi que le sens des mots l'indique, elles seront le plus demandées pour ce qu'elles sont le plus propres à faire, de sorte que ce qu'on aura fait en leur faveur assurera aux facultés collectives des deux sexes l'emploi le plus avantageux. (John Stuart Mill, "De l'assujettissement des femmes", chapitre I, traduction Émile Cazelles, 1831-1907)>>.


(e) Pour Wilfredo Pareto, ce maximum économique est simultanément un optimum social.


(f) Inquisition. A une époque où il était très dangereux d'aller contre les dogmes de la Religion, la théorie de la Main Invisible est une forme de laïcisation de la Providence Divine.


- <<1. Toute âme est en partie en possession de certain droit privé, et en partie contenue et gouvernée par les lois universelles. Donc comme toute chose visible en ce monde est sous la garde de quelque puissance angélique, ainsi que l'Ecriture sainte l'atteste en plusieurs endroits, cette puissance traite différemment l'objet qui lui est subordonné, selon qu'elle agit en vertu de son droit privé, ou en conformité aux lois générales. Car le tout l'emporte sur la partie ; et l'exercice du droit privé n'est possible qu'autant que la loi générale le permet. Mais une âme est d'autant plus pieuse et plus pure, qu'elle se complaît moins dans ses intérêts personnels, pour s'attacher à la loi générale, et s'y dévouer avec empressement et bonne volonté. Or la loi de l'univers, c'est la divine sagesse. Donc plus l'âme recherche son bien propre, en laissant de côté les intérêts de Dieu, dont le gouvernement est si utile, si salutaire à toutes les âmes ; plus elle désire s'appartenir à elle-même ou à qui il lui plaît, plutôt qu'à Dieu, préférant le pouvoir qu'elle exerce sur elle ou sur d'autres à celui de Dieu sur toutes les créatures ; plus aussi elle devient difforme et se trouve astreinte, par punition, aux lois divines, comme régulatrice de l'univers. Donc aussi, plus une âme humaine, abandonnant Dieu, se complaira dans des honneurs propres ou dans sa puissance, plus elle est soumise aux puissances qui jouissent aussi de leur droit personnel, et désirent être honorés comme dieux par les hommes. (Saint Augustin, "Quatre-vint-trois questions", LXXIX. — Pourquoi les magiciens de Pharaon ont-ils fait certains miracles comme Moïse, le serviteur de Dieu ?)>>.


(g) C'est dans ce contexte que l'idéologie de la main invisible apparaît comme un programme de réforme sociale et politique. Ce programme est réussi.


- <<J'ai suggéré que le principe d'ordre spontané est "scientifique" au sens qu'il comprend une argumentation logiquement cohérente. Mais l'économiste qui considère que son principal rôle est celui d'enseigner ce principe aux étudiants doit-il plaider coupable quand on l'accuse d'imposer une idéologie ? La réponse est oui, dans un certain sens. Adam Smith offrait une vision alternative de la façon dont pouvait fonctionner une économie. Il était nécessaire de fournir cette vision avant de pouvoir supprimer les oeillères mercantilistes. L'effort de Smith était subversif, dans un sens assez littéral, mené contre l'ordre existant et l'ensemble des attitudes qui soutenaient cet ordre. Je ne vois aucune raison pour laquelle notre tâche en 1976 serait en quoi que ce soit différente de celle de 1776. Nous devons offrir une vision du processus économique qui n'est pas naturelle pour la façon de pensée de l'homme ordinaire. Et la foi dans l'efficacité du processus de coordination spontanée provient d'une compréhension profonde. Seuls les économistes sont équipés pour la transmettre. (James M. Buchanan, "Les implications générales du subjectivisme en économie", in "What Should Economics Do ?", 1979, Liberty Press, Indianapolis, chapitre 4, traduit par Hervé de Quengo, document du web)>>.


(h) Contexte de la citation d'Adam Smith :


- <<Le produit de l'industrie est ce qu'elle ajoute au sujet ou à la matière à laquelle elle s'applique. Suivant que la valeur de ce produit sera plus grande ou plus petite, les profits de celui qui met l'industrie en oeuvre seront aussi plus grands ou plus petits. Or, ce n'est que dans la vue du profit qu'un homme emploie son capital à faire valoir l'industrie, et par conséquent il tâchera toujours d'employer son capital à faire valoir le genre d'industrie dont le produit promettra la plus grande valeur, ou dont on pourra espérer le plus d'argent ou d'autres marchandises en échange.

Mais le revenu annuel de toute société est toujours précisément égal à la valeur échangeable de tout le produit annuel de son industrie, ou plutôt c'est précisément la même chose que cette valeur échangeable. Par conséquent, puisque chaque individu tâche, le plus qu'il peut, lº d'employer son capital à faire valoir l'industrie nationale, et - 2º de diriger cette industrie de manière à lui faire produire la plus grande valeur possible, chaque individu travaille nécessairement à rendre aussi grand que possible le revenu annuel de la société. A la vérité, son intention en général n'est pas en cela de servir l'intérêt public, et il ne sait même pas jusqu'à quel point il peut être utile à la société. En préférant le succès de l'industrie nationale à celui de l'industrie étrangère, il ne pense qu'à se donner personnellement une plus grande sûreté ; et en dirigeant cette industrie de manière que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu'à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d'autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n'entre nullement dans ses intentions ; et ce n'est pas toujours ce qu'il y a de plus mal pour la société, que cette fin n'entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d'une manière bien plus efficace pour l'intérêt de la société, que s'il avait réellement pour but d'y travailler. Je n'ai jamais vu que ceux qui aspiraient, dans leurs entreprises de commerce, à travailler pour le bien général, aient fait beaucoup de bonnes choses. Il est vrai que cette belle passion n'est pas très-commune parmi les marchands, et qu'il ne faudrait pas de longs discours pour les en guérir.

Quant à la question de savoir quelle est l'espèce d'industrie nationale que son capital peut mettre en oeuvre, et de laquelle le produit promet de valoir davantage, il est évident que chaque individu, dans sa position particulière, est beaucoup mieux à même d'en juger qu'aucun homme d'État ou législateur ne pourra le faire pour lui. L'homme d'État qui chercherait à diriger les particuliers dans la route qu'ils ont à tenir pour l'emploi de leurs capitaux, non-seulement s'embarrasserait du soin le plus inutile, mais encore il s'arrogerait une autorité qu'il ne serait pas sage de confier, je ne dis pas à un individu, mais à un conseil ou à un sénat, quel qu'il pût être ; autorité qui ne pourrait jamais être plus dangereusement placée que dans les mains de l'homme assez insensé et assez présomptueux pour se croire capable de l'exercer.

Accorder aux produits de l'industrie nationale, dans un art ou genre de manufacture particulier, le monopole du marché intérieur, c'est en quelque sorte diriger les particuliers dans la route qu'ils ont à tenir pour l'emploi de leurs capitaux, et, en pareil cas, prescrire une règle de conduite est presque toujours inutile ou nuisible. Si le produit de l'industrie nationale peut être mis au marché à aussi bon compte que celui de l'industrie étrangère, le précepte est inutile ; s'il ne peut pas y être mis à aussi bon compte, le précepte sera en général nuisible. La maxime de tout chef de famille prudent est de ne jamais essayer de faire chez soi la chose qui lui coûtera moins à acheter qu'à faire. Le tailleur ne cherche pas à faire ses souliers, mais il les achète du cordonnier ; le cordonnier ne tâche pas de faire ses habits, mais il a recours au tailleur ; le fermier ne s'essaye point à faire les uns ni les autres, mais il s'adresse à ces deux artisans et les fait travailler. Il n'y en a pas un d'eux tous qui ne voie qu'il y va de son intérêt d'employer son industrie tout entière dans le genre de travail dans lequel il a quelque avantage sur ses voisins, et d'acheter toutes les autres choses dont il peut avoir besoin, avec une partie du produit de cette industrie, ou, ce qui est la même chose, avec le prix d'une partie de ce produit.

Ce qui est prudence dans la conduite de chaque famille en particulier, ne peut guère être folie dans celle d'un grand empire. Si un pays étranger peut nous fournir une marchandise à meilleur marché que nous ne sommes en état de l'établir nous-mêmes, il vaut bien mieux que nous la lui achetions avec quelque partie du produit de notre propre industrie, employée dans le genre dans lequel nous avons quelque avantage. L'industrie générale du pays étant toujours en proportion du capital qui la met en oeuvre, elle ne sera pas diminuée pour cela, pas plus que ne l'est celle des artisans dont nous venons de parler ; seulement ce sera à elle à chercher la manière dont elle peut être employée à son plus grand avantage. Certainement elle n'est pas employée à son plus grand avantage quand elle est dirigée ainsi vers un objet qu'elle pourrait acheter à meilleur compte qu'elle ne pourra le fabriquer. Certainement la valeur de son produit annuel est plus ou moins diminuée quand on la détourne de produire des marchandises qui auraient plus de valeur que celle qu'on lui prescrit de produire. D'après la supposition qu'on vient de faire, cette marchandise pourrait s'acheter de l'étranger à meilleur marché qu'on ne pourrait la fabriquer dans le pays, par conséquent, on aurait pu l'acheter avec une partie seulement des marchandises, ou ce qui revient au même, avec une partie seulement du prix des marchandises qu'aurait produites l'industrie nationale, à l'aide du même capital, si on l'eût laissée suivre sa pente naturelle. Par conséquent, l'industrie nationale est détournée d'un emploi plus avantageux, pour en suivre un qui l'est moins, et la valeur échangeable de son produit annuel, au lieu d'être augmentée, suivant l'intention du législateur, doit nécessairement souffrir quelque diminution à chaque règlement de cette espèce.

A la vérité, il peut se faire qu'à l'aide de ces sortes de règlements, un pays acquière un genre particulier de manufacture plutôt qu'il ne l'aurait acquis sans cela, et qu'au bout d'un certain temps ce genre de manufacture se fasse dans le pays à aussi bon marché ou à meilleur marché que chez l'étranger. Mais quoiqu'il puisse ainsi arriver que l'on porte avec succès l'industrie nationale dans un canal particulier, plutôt qu'elle ne s'y serait portée d'elle-même, il ne s'ensuit nullement que la somme totale de l'industrie ou des revenus de la société puisse jamais recevoir aucune augmentation de ces sortes de règlements. L'industrie de la société ne peut augmenter qu'autant que son capital augmente, et ce capital ne peut augmenter qu'à proportion de ce qui peut être épargné peu à peu sur les revenus de la société. Or, l'effet qu'opèrent immédiatement les règlements de cette espèce, c'est de diminuer le revenu de la société, et, à coup sûr, ce qui diminue son revenu, n'augmentera pas son capital plus vite qu'il ne se serait augmenté de lui-même, si on eût laissé le capital de l'industrie chercher l'un et l'autre leurs emplois naturels.

Encore que la société ne pût, faute de quelque règlement de cette espèce, acquérir jamais le genre de manufacture en question, il ne s'ensuivrait pas pour cela qu'elle en dût être un seul moment plus pauvre, dans tout le cours de sa carrière : il pourrait toujours se faire que, dans tous les instants de sa durée, la totalité de son capital et de son industrie eût été employée (quoique à d'autres objets) de la manière qui était, pour le moment, la plus avantageuse. Ses revenus, dans tous ces instants, pourraient avoir été les plus grands que son capital eût été en état de rapporter, et il se pourrait faire que son capital et son revenu eussent toujours été l'un et l'autre en augmentant avec la plus grande rapidité possible.

Les avantages naturels qu'un pays a sur un autre pour la production de certaines marchandises sont quelquefois si grands, qu'au sentiment unanime de tout le monde, il y aurait de la folie à vouloir lutter contre eux. Au moyen de serres chaudes, de couches, de châssis de verre, on peut faire croître en Écosse de fort bons raisins, dont on peut faire aussi de fort bon vin avec trente fois peut-être autant de dépense qu'il en coûterait pour s'en procurer de tout aussi bon de l'étranger. Or, trouverait-on bien raisonnable un règlement qui prohiberait l'importation de tous les vins étrangers, uniquement pour encourager à faire du vin de Bordeaux et du vin de Bourgogne en Écosse ? Mais s'il y a absurdité évidente à vouloir tourner vers un emploi trente fois plus du capital et de l'industrie du pays, qu'il ne faudrait en mettre pour acheter à l'étranger la même quantité de la marchandise qu'on veut avoir, nécessairement la même absurdité existe (et quoique pas tout à fait aussi choquante, néanmoins exactement la même) à vouloir tourner vers un emploi de la même sorte un trentième, ou, si l'on veut, un trois-centième de l'un et de l'autre, de plus qu'il n'en faut. Il n'importe nullement, à cet égard, que les avantages qu'un pays a sur l'autre soient naturels ou acquis. Tant que l'un des pays aura ces avantages et qu'ils manqueront à l'autre, il sera toujours plus avantageux pour celui-ci d'acheter du premier, que de fabriquer lui-même. L'avantage qu'a un artisan sur son voisin qui exerce un autre métier, n'est qu'un avantage acquis, et cependant tous les deux trouvent plus de bénéfice à acheter l'un de l'autre, que de faire eux-mêmes ce qui ne concerne pas leur aptitude particulière.

Les gens qui tirent le plus grand avantage de ce monopole du marché intérieur, ce sont les marchands et les manufacturiers. La prohibition d'importer du bétail étranger ou des viandes salées, ainsi que les gros droits mis sur le blé étranger, lesquels, dans les temps d'abondance moyenne, équivalant à une prohibition, ne sont pas à beaucoup près aussi avantageux aux nourrisseurs de bestiaux et aux fermiers de la Grande-Bretagne, que le sont les autres règlements de la même sorte aux marchands et aux manufacturiers. Les ouvrages de manufactures, et principalement ceux du genre le plus fini, se transportent bien plus aisément d'un pays à un autre que le bétail ou le blé. Aussi c'est à porter et à rapporter des articles de manufactures que le commerce étranger s'emploie principalement. En fait de manufactures, il ne faut qu'un très-petit bénéfice pour mettre les étrangers à même de vendre au-dessous de nos propres ouvriers, même chez nous. - Il en faudrait un très-considérable pour les mettre dans le cas d'en faire autant à l'égard du produit brut du sol. Si on venait à permettre la libre importation des ouvrages des fabriques étrangères, plusieurs des manufactures de l'intérieur en souffriraient vraisemblablement ; peut-être quelques-unes d'elles en seraient totalement ruinées, et une partie considérable des capitaux et de l'industrie employés aujourd'hui dans nos fabriques serait forcée de chercher un autre emploi. - Mais on permettrait la plus libre importation du produit brut du soi, que l'agriculture du pays ne ressentirait aucun effet semblable. (Adam Smith, "Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations", 1776)>>.


(i) Une critique de Karl Marx.


- <<Le communisme n'est empiriquement possible que comme l'acte «soudain» et simultané des peuples dominants, ce qui suppose à son tour le développement universel de la force productive et les échanges mondiaux étroitement liés au communisme. Autrement, comment la propriété, par exemple, aurait-elle pu somme toute avoir une histoire, prendre différentes formes ? Comment, disons, la propriétéé foncière aurait-elle pu, selon les conditions diverses qui se présentaient, passer en France, du morcellement à la centralisation dans les mains de quelques-uns, et en Angleterre de la centralisation entre les mains de quelques-uns au morcellement, comme c'est effectivement le cas aujourd'hui ? Ou bien comment se fait-il encore que le commerce, qui pourtant représente l'échange des produits d'individus et de nations différentes et rien d'autre, domine le monde entier par le rapport de l'offre et de la demande, - rapport qui, selon un économiste anglais, plane au-dessus de la terre comme la fatalité antique et distribue, d'une main invisible, le bonheur et le malheur parmi les hommes, fonde des empires, anéantit des empires, fait naître et disparaître des peuples, - tandis qu'une fois abolie la base, la propriété privée, et instaurée la réglementation communiste de la production, qui abolit chez l'homme le sentiment d'être devant son propre produit comme devant une chose étrangère, la puissance du rapport de l'offre et de la demande est réduite à néant, et les hommes reprennent en leur pouvoir l'échange, la production, leur mode de comportement réciproque. (Karl Marx et Friedrich Engels, "L’idéologie allemande", 1848)>>.


(j) Autre référence :


- <<Une des tâches que s'assignent les physiciens depuis Parménide est la recherche de lois de conservation, comme la conservation d'énergie, par exemple. C'est ainsi que depuis Archimède au moins le concept d'équilibre, c'est-à-dire d'un état qui reste constant, est devenu un concept fondamental de la mécanique, lequel a diffusé en quelque sorte dans d'autres domaines de la connaissance. Dans l'étude des systèmes où l'évolution est tellement manifeste, il est cependant illusoire de vouloir se cantonner à l'examen de leurs équilibres, c'est-à-dire d'états stationnaires, qui n'évoluent pas, qui restent constants. Ceci peut même être dangereux lorsque, dans des systèmes économiques ou sociaux, et maintenant, écologiques, par exemple, on tente (souvent en vain) de contraindre ces systèmes à demeurer à l'équilibre en s'emparant avec orgueil des commandes des régulons que sont les prix sur lesquels agissent d'ordinaire le "Marché" ou la "main invisible d'Adam Smith". Il a fallu attendre soixante-dix ans d'économie soviétique - et au prix de tant de souffrances - pour vérifier expérimentalement qu'on ne pouvait remplacer les mécanismes mystérieux de régulation économique hérités d'une évolution plusieurs fois millénaire par des méthodes de planification centralisées conçus par des cerveaux humains. Je souhaiterais insister pour rappeler que ce concept d'équilibre est ici défini exclusivement comme état stationnaire d'un processus évolutif sous-jacent. Mais dans le langage des sciences humaines, il est souvent rapproché ou confondu avec celui de stabilité, comme on l'a vu, ou encore s'est enrichi de nouveaux sens, comme celui qui est sous-entendu lorsque l'on parle des "grands équilibres" qu'il faut respecter à tout prix. Comme ce sont deux entités différentes, on évitera de regrettables confusions en réservant le nom "équilibre" aux états stationnaires et en parlant de "contraintes de viabilité" pour prendre en compte cette autre acception du concept. De façon rigoureuse, on dit qu'un équilibre est stable si quelque soit un voisinage arbitrairement fixé autour de cet équilibre, toute évolution commençant en un point suffisamment voisin de l'équilibre demeure dans ce voisinage. (Jean-Pierre Aubin, "La mort du devin. L'émergence du démiurge. Essai sur la Contingence, la Viabilité et l'Inertie des systèmes", document du web, 3.1, Equilibres et attracteurs)>>.


(k) La croyance en la Main invisible conduit les économistes néoclassiques à présenter la recherche du rendement maximum des actions et des plus-values boursières à une production collective d'information sur l'état du monde. C'est à se demander pourquoi il existe encore une recherche fondamentale. A moins qu'ils n'y croient pas autant qu'ils l'affirment.


- <<S'il n'est pas d'activités économiques qui ne soient concernées, à un degré ou à un autre, par les questions touchant à la production et à la transmission de l'information, l'économie financière se distingue cependant des autres secteurs par la place centrale qu'elles y occupent : on peut dire que l'information y est tout à la fois la matière première et l'output final. Cela tient au fait que les marchés financiers sont des marchés d'anticipations. On y évalue des perspectives de profit. Il est significatif à cet égard que ce soit dans le chapitre de la Théorie Générale consacré à <L'état de la prévision à long terme> que Keynes aborde l'examen des marchés financiers : il leur assigne pour finalité de <triompher des forces secrètes du temps et de l'ignorance de l'avenir ("Théorie Générale", p.169)>. En l'absence de bureau de planification, c'est à ces marchés qu'incombe le rôle de fournir au reste de l'économie les signaux permettant au capital de s'investir efficacement. Pour cette raison, ils constituent un rouage essentiel dans l'auto-régulation des économies capitalistes développées. Ce rôle central joué par l'information apparaît sans ambiguité dans la définition de l'efficience proposée par E. Fama et acceptée par tous les économistes : un marché financier est efficient si les cours qui s'y forment intègrent toute l'information disponible. Autrement dit ce sont les performances informationnelles de ces marchés qui sont prises en considération lorsqu'il s'agit d'en mesurer l'efficacité. C'est l'objet du présent article que de proposer une réflexion sur cette notion d'efficience informationnelle. (André Orléan et Yamina Tadjeddine, "Réflexions sur l'efficacité informationnelle et ses paradoxes", 29 janvier

1997)>>.


(l) Une croyance peut fournir un cadre de pensée pour d'autres croyances. La croyance en la Main Invisible est une justification pour des activités spéculatives et facilite l'émergence de croyances sociales dans le milieu des cambistes ou des opérateurs de la Bourse ou des marchés financiers.


(m) Voir Autolimitation gouvernementale. Egoïsme. Equilibre des Economistes. Equilibre économique. Fonction d'utilité. Idéologie durable. Idéologie tripartite. Loi de reproduction automatique de la société. Loi des débouchés. Loi de Walras. Lois. Modèle de l'équilibre. Modèle de l'artefact. Optimum de Pareto. Prisonnier informé de la caverne. Rawls. Sen.


(n) Lire "Causes Chômage". "Chômage Classique". "Chômage Keynes". "Critiques à Keynes". "Inclusion Exclusion". "Equilibre Classique".



(B) Mythologie Grecque.



(a) Némésis est une émotion personnifiées qui est présente auprès de Zeus, sur l'Olympe. Némésis personnifie la Juste Colère. Elle est en compagnie de Thémis (Justice divine), de Diké (Justice humaine) et de Aïdos (respect religieux et honte de faire le mal).


(b) Citations :


- <<Mais la cruelle Némésis, déesse impitoyable, qui veille pour punir les hommes, et surtout les rois orgueilleux, poussait d'une main fatale et invisible Idoménée. Il arrive ; à peine ose-t-il lever les yeux : il voit son fils : il recule, saisi d'horreur. Ses yeux cherchent, mais en vain, quelque autre tête moins chère qui puisse lui servir de victime. (Fénelon, "Télémaque", Livre V)>>.


- <<Minerve avait mis dans ses yeux un feu divin, et sur son visage une majesté fière qui promettait déjà la victoire. Il marchait ; et tous les rois, oubliant leur âge et leur dignité, se sentaient entraînés par une force supérieure qui leur faisait suivre ses pas. La faible jalousie ne peut plus entrer dans les coeurs ; tout cède à celui que Minerve conduit invisiblement par la main. (Fénelon, "Télémaque", Livre XV)>>.


(c) C'est Némésis qui réalisa le voeu émis par une jeune fille, victime du dédain de Narcisse : "Que celui-là qui n'aime aucun autre s'éprenne de lui-même !"



(C) Références littéraires.



(a) Herman Melville.


- <<- Un bel endroit, s'écria Flask ; laissez-moi une fois la piquer là !

- Ça va, répliqua Starbuck ; ce n'est pas utile.

Mais l'humain Starbuck avait parlé trop tard. Le fer était déjà lancé et au même instant un jet ulcéreux jaillit de cette blessure cruelle. La baleine, aiguillonnée par une souffrance intolérable, envoya alors des jets de sang épais et, avec une furie subite, se jeta sur les embarcations, éclaboussant les équipages triomphants d'une pluie de sang et chavirant le canot de Flask en lui abîmant ses avants. C'était le coup mortel ; elle était maintenant si épuisée par la perte de sang, qu'elle s'éloignait désespérément, en roulant, du canot qu'elle venait de retourner ; puis elle resta haletante sur le flanc, donnant de faibles coups avec sa nageoire écourtée ; enfin elle se tourna et se retourna lentement sur elle-même, comme un monde sur son déclin, montrant à l'air les blancs secrets de son ventre ; elle s'allongea comme une bûche et mourut. Son dernier jet fut tout à fait comme lorsqu'une main invisible arrête l'eau de quelque puissante fontaine et qu'avec un bruit étoufiéé et mélancolique ses derniers flots touchent terre. Bientôt, tandis que les équipages attendaient l'arrivée du vaisseau, la carcasse sembla vouloir couler avec tous ses trésors intacts. Immédiatement, sur l'ordre de Starbuck, des filins y furent fixés à différents endroits, de telle sorte que chaque canot devint bientôt une bouée, la baleine engloutie se trouvant suspendue à quelques pouces en dessous d'eux. (Herman Melville, "Moby Dick", 1851, traduction de Jean Giono, Gallimard, 1941, page 381)>>.


(b) Jules Verne.


- <<Dès 1816, une expédition s'organise à Londres, à laquelle prend part le major Gray ; elle arrive au Sénégal,pénètre dans le Fouta-Djallon, visite les populations foullahs et mandingues, et revient en Angleterre sans autre résultat. En 1822, le major Laing explore toute la partie de l'Afrique occidentale voisine des possessions anglaises, et ce fut lui qui arriva le premier aux sources du Niger ; d'après ses documents, la source de ce fleuve immense n'aurait pas deux pieds de largeur. - Facile à sauter, dit Joe. - Eh ! eh ! facile ! répliqua le docteur. Si l'on s'en rapporte àla tradition, quiconque essaye de franchir cette source en la sautant est immédiatement englouti ; qui veut y puiser de l'eau se sent repoussé par une main invisible. - Et il est permis de ne pas en croire un mot ? demanda Joe.- Cela est permis. Cinq ans plus tard, le major Laing devait s'élancer au travers du Sahara, pénétrer jusqu'à Tembouctou, et mourir étranglé à quelques milles au-dessus par les Oulad-Shiman, qui voulaient l'obliger à se faire musulman. - Encore une victime ! dit le chasseur. (Jules Verne, "Cinq semaines en ballon")>>.


(c) Eugène Sue.


- <<Car cette femme qui comme moi erre d'un bout du monde à l'autre, après avoir une fois brisé les trames de leurs ennemis... cette femme a poursuivi sa marche éternelle... En vain elle a préssenti que de grands malheurs menaçaient de nouveau ceux-là qui me tiennent par le sang de ma soeur... La main invisible qui m'amène ... chasse devant moi la femme errante... Comme toujours emportée par l'irrésistible tourbillon, en vain elle s'est écriée, suppliante, au moment d'abandonner les miens :

- Qu'au moins Seigneur... je finisse ma tâche !

- Marche !!!

- Quelques jours, par pitié ! rien que quelques jours !

- Marche !!!

(Eugène Sue, "Le Juif errant")>>.


(d) Théophile Gautier.


- <<Il se trouvait ingrat envers ce pauvre vieux castel démantelé qui pourtant l'avait abrité de son mieux et s'était, malgré sa caducité, obstiné à rester debout pour ne pas l'écraser de sa chute, comme un serviteur octogénaire qui se tient sur ses jambes tremblantes tant que le maître est là ; mille amères douceurs, mille tristes plaisirs, mille joyeuses mélancolies lui revenaient en mémoire ; l'habitude, cette lente et pâle compagne de la vie, assise sur le seuil accoutumé, tournait vers lui ses yeux noyés d'une tendresse morne en murmurant d'une voix irrésistiblement faible un refrain d'enfance, un refrain de nourrice, et il lui sembla, en franchissant le porche, qu'une main invisible le tirait par son manteau pour le faire retourner en arrière. Quand il déboucha de la porte, précédant le chariot, une bouffée de vent lui apporta une fraîche odeur de bruyères lavées par la pluie, doux et pénétrant arôme de la terre natale ; une cloche lointaine tintait, et les vibrations argentines arrivaient sur les ailes de la même brise avec le parfum

des landes. (Théophile Gautier, "Le Capitaine Fracasse")>>.


(e) Jean-Jacques Rousseau.


- <<Les relations des voyageurs sont pleines d'exemples de la force et de la vigueur des hommes chez les nations barbares et sauvages ; elles ne vantent guère moins leur adresse et leur légèreté ; et comme il ne faut que des yeux pour observer ces choses, rien n'empêche qu'on n'ajoute foi à ce que certifient là-dessus des témoins oculaires, j'en tire au hasard quelques exemples des premiers livres qui me tombent sous la main.

"Les Hottentots, dit Kolben, entendent mieux la pêche que les Européens du Cap. Leur habileté est égale au filet, à l'hameçon et au dard, dans les anses comme dans les rivières. Ils ne prennent pas moins habilement le poisson avec la main. Ils sont d'une adresse incomparable à la nage. Leur manière de nager a quelque chose de surprenant et qui leur est tout à fait propre. Ils nagent le corps droit et les mains étendues hors de l'eau, de sorte qu'ils paraissent marcher sur la terre. Dans la plus grande agitation de la mer et lorsque les flots forment autant de montagnes, ils dansent en quelque sorte sur le dos des vagues, montant et descendant comme un morceau de liège."

"Les Hottentots, dit encore le même auteur, sont d'une adresse surprenante à la chasse, et la légèreté de leur course passe l'imagination." Il s'étonne qu'ils ne fassent pas plus souvent un mauvais usage de leur agilité, ce qui leur arrive pourtant quelquefois, comme on peut juger par l'exemple qu'il en donne : "Un matelot hollandais en débarquant au Cap chargea, dit-il, un Hottentot de le suivre à la ville avec un rouleau de tabac d'environ vingt livres. Lorsqu'ils furent tous deux à quelque distance de la troupe, le Hottentot demanda au matelot s'il savait courir. Courir ! répond le Hollandais, oui, fort bien. Voyons, reprit l'Africain, et fuyant avec le tabac il disparut presque aussitôt. Le matelot confondu de cette merveilleuse vitesse ne pensa point à le poursuivre et ne revit jamais ni son tabac ni son porteur. Ils ont la vue si prompte et la main si certaine que les Européens n'en approchent point. A cent pas, ils toucheront d'un coup de pierre une marque de la grandeur d'un demi-sol et ce qu'il y a de plus étonnant, c'est qu'au lieu de fixer comme nous les yeux sur le but, ils font des mouvements et des contorsions continuelles. Il semble que leur pierre soit portée par une main invisible."

Le P. du Tertre dit à peu près sur les sauvages des Antilles les mêmes choses qu'on vient de lire sur les Hottentots du cap de Bonne-Espérance. (Jean-Jacques Rousseau, "Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes")>>.


(f) Alexandre Dumas.


- <<Donne-moi donc un étendard, et que, pour la troisième fois, l'épreuve se renouvelle !

- Soit ! dit Pilate. – Soldat, donne ton enseigne à cet homme.

Le soldat obéit, et, pour que le Christ ne descendit pas une seconde fois, ce fut le Juif qui, prenant l'étendard des mains du porte-enseigne, franchit les dix premières marches de l'escalier, au bas duquel Jésus s'était arrêté : et, se plaçant au milieu du palier, il attendit qu'en continuant de monter, Jésus vînt à lui. Jésus avait déjà un pied sur la première marche lorsque s'était élevé le débat ; il avait attendu, humble, résigné, presque passif, que la question fût vidée. Alors seulement, il leva les yeux vers l'ancien légionnaire.

- Viens, magicien, lui dit celui-ci, je t'attends !...

Jésus mit le pied sur la seconde marche, puis sur la troisième, puis sur la quatrième, et, à mesure qu'il montait un degré, on voyait le vétéran de Varus serrer contre sa poitrine, de toute la vigueur de ses bras nerveux, le bâton de l'étendard ; – mais, quels que fussent ses efforts, courbée sous la pression d'une main invisible et puissante, l'aigle s'inclinait par un mouvement contraire à celui de Jésus, s'abaissant à mesure que Jésus montait ; de sorte que, lorsque le Christ eut atteint la dixième marche, l'aigle était à ses pieds, et le légionnaire, le front touchant presque à la dalle, semblait l'adorer à genoux...

Un instant, au milieu du plus profond silence, le Christ demeura debout, dominant de toute la hauteur de sa taille ce superbe que la main du Seigneur venait de plier comme un roseau. Mais, tout à coup, celui-ci se releva plein de haine et de menace.

- Oh ! magicien ! faux prophète ! blasphémateur ! maudit ! s'écria-t-il.

(Alexandre Dumas, "Isaac Laquedem", Chapitre XXIII, Le porte-enseigne)>>.






* * *


Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Jeudi 12 Juin 2008



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