Mise en valeur mutuelle


(a) Le principe de base de l'organisation Crusoé est la mise en valeur réciproque ou mutuelle entre l'individu Robinson et l'île du Désespoir qui devient ainsi, l'île de Robinson.


(b) Cette médiation entre l'individu et l'Univers n'a pas du tout le même but que l'ethnie, la nation, l'entreprise ou l'État qui furent les formes les plus courantes des organisations réelles.


(c) Les buts les plus courants des organisations réelles sont : la durée, la recherche de l'éternité par la filiation, la recherche de la sécurité par l'alliance, la recherche du pouvoir par la domination ou la recherche de l'influence et de la puissance par la séduction.


(d) Au cœur de la notion de souveraineté, que fait naître le contrat social, Jean-Jacques Rousseau place la notion de mutualité. Il ne peut s'agir d'un principe mathématique permettant la somme ou la soustraction. Il s'agit de l'enrichissement à partir des différences qualitatives. Cette mutualité est généralement ce qui est abandonné pour permettre la domination des uns sur les autres. Ainsi, au nom de la somme des utilités du plus grand nombre, un certain utilitarisme peut-il justifier de faire le sacrifice de quelques victimes. Dans cette perversion, le contrat social lui-même, tout en étant invoqué, est alors nié. A l'inverse, Robinson Crusoé montre à l'évidence que, dans sa solitude, il a vécu selon le principe de la mutualité. Dès qu'il n'est plus seul sur l'île, il la met à la disposition des autres. Mais il combat, par les armes, les pirates et les cannibales qui recherchent l'appropriation des choses ou des individus.


- <<On doit concevoir par là que ce qui généralise la volonté est moins le nombre des voix que l'intérêt commun qui les unit : car dans cette institution chacun se soumet nécessairement aux conditions qu'il impose aux autres ; accord admirable de l'intérêt et de la justice qui donne aux délibérations communes un caractère d'équité qu'on voit évanouir dans la discussion de toute affaire particulière, faute d'un intérêt commun qui unisse et identifie la règle du juge avec celle de la partie. (Jean-Jacques Rousseau, "Du Contrat Social ou Principes du droit politique", Livre II, Chapitre IV, Des bornes du pouvoir souverain)>>.


(e) La mise en valeur mutuelle est bien différente de la domination du verbe sur la chair. Car la mise en valeur mutuelle, entre un sujet conscient (l'individu Robinson) et une multitude de sujets inconscients (les machines désirantes de l'île de Robinson), reconnaît déjà une réciprocité de sujets. Cette réciprocité n'est pas une dualité, comme pourrait l'être une domination dialectique de type sujet/objet.


(f) Reconnaître un sujet dans un ensemble de machines désirantes est déjà un acte d'amour. Car seul l'amour est producteur de sujets, tandis que le travail tend à produire des objets. Mais la séparation radicale entre monde du travail et monde de l'amour n'a rien de nécessaire ou d'inéluctable. Sans la division politique du travail ni la guerre des sexes, les deux mondes peuvent coopérer par la percolation des émotions et la concertation des activités. D'où le travail amoureux de Robinson.


(g) La mise en valeur mutuelle est le développement de ce que Michel Serres nomme une domestication réciproque dans laquelle il voit la source de la conscience de soi.


- <<Le besoin de reconnaissance nous noie, corps et biens, dans le lac aux espèces ; pour émerger, au contraire, la conscience de soi prend un autre chemin, plus caché, qui suppose qu'on oublie prestige et hiérarchie. Le face-à-gueule avec le couguar nous réduisit l'un et l'autre à la reproduction de parades apprises, nous nous quittâmes donc vaniteux Gros-Jean comme devant, alors que le corps-à-corps avec la lionne nous fit inventer mille gestes nouveaux dans le cube liquide à trois dimensions ; elle m'enseigna ce que j'ignorais, peut-être apprit-elle, en effet, des gestes inconnus de son espèce marine. Cela suppose charme et enchantement, donc renoncement au site de maîtrise, ou, chose plus difficile encore, certain partage de cette place, à temps successivement cédés. La conscience de soi naît de cette nouvelle domestication réciproque. Car la conscience, dans le sens strict « science de l'avec », se modifie dès lors. Mesurant l'expertise d'autrui à la modestie de sa propre insuffisance, elle y remédie en méditant sur un nouveau mode, qui induit cette conscience de soi temporaire et contemporaine de la conscience double de l'autre et des choses dominées par lui. Non point lancé dessus, en quête de dominance, mais, au contraire, jeté dessous, apparaît alors le vrai sujet, dont la respiration se libère de voir l'autre accepter, à temps partagé, de se jeter dessous à son tour. Avant de le prendre, une danse cède le pas. Clignotant avec et selon le clignotement de l'autre, le sujet naît de l'autre et l'autre naît par lui, puis survivent tous les deux, nourris de cette vibration d'éclats et d'occultations. Le sujet se connaît dès qu'il reconnaît sa sujétion pendant que l'autre admet aussi son propre assujetissement. Lourd et noir, le maître vint, tout justement, ce matin-là, interrompre cette genèse par modèles, modale et commode, ce processus lent d'acquisition, en quomodo - comment faites-vous ? - dont le progrès meurt dès lors qu'apparaît la recherche de maîtrise. Nous n'apprenons jamais, que dis-je, nous ne disons jamais un mot de philosophie, sans poser constamment la question : Comment ?, l'unique question de la modalité. Car il n'existe, de fait, que des modalités de conscience, à moduler temps par temps. Et, quand le prestige arrive, il arrive en même temps que la bêtise, terme donc mille fois justifié. Dans les mythes et les Fables, la lutte pour le prestige oppose des humains qui se métamorphosent en bêtes par perte de la conscience de soi. Combien faut-il d'aveuglement pour ne pas voir cette évidence que la lutte pour la reconnaissance, que nul ne peut donner puisque chacun la désire pour lui-même, aboutit fatalement à la perte de toute conscience et à l'extase d'une drogue ? Cette transformation en brute clôt à jamais, quoique répétitivement, la genèse de la conscience de soi, ce que je voulais démontrer. "Psyché", au contraire, la crée, dont le titre pourrait se traduire "Genèse de l'âme aimée par l'Amour". Quelle relation connue, en effet, les termes précédents, tout en scintillements, décrivent-ils, sinon la liaison amoureuse et ses tribulations, douleur, absence et voyages ? Voici la dialectique, à peine connue quoique puissamment efficace, de Cupidon et de Psyché, où nul sujet n'apparaît, en effet, avant qu'un autre lui ait dit, dans la nuit, sans qu'il le voie ni le comprenne, qu'il l'aime. L'enfant naît comme corps objet du ventre d'une femme, puis, une deuxième fois, comme sujet virtuel, par les mots et les gestes de tendresse de sa mère, et devenu adulte, une troisième fois, comme sujet actuel, sous la condition des mots d'amour de sa maîtresse - titre donc mille fois justifié - autrefois lionne, couguar et taureau, maîtresse qu'il ramène lui-même, de ces formes faunesques en sujet actuel par de réciproques mots d'amour, Bête redevenue Belle. Nul n'en tire de prestige, le collectif l'ignorera et s'en moque, mais chacun crée alors son existence propre, sa culture incomparable et sa singulière connaissance. Amour-récréation-recréation. Selon les moments du clignotement partagé, la maison commune de Cupidon et de Psyché se construira sur les hauteurs, immense et regorgeant de richesses et d'oeuvres d'art, ou comme une cabane misérable en montagne, dans l'errante solitude. La conscience de soi et de l'autre reste une conscience malheureuse : y a-t-il de grandes amours couronnées ? Luttant pour la reconnaissance, les soeurs de Psyché meurent en chutant de se lancer vers ces hauteurs. (Michel Serres, "Hominescence", Le Pommier, 2001, pages 127-128)>>.


(h) Référence littéraire :


- <<Par moments ils s'arrêtaient comme si des lueurs passaient.

Cimourdain reprit :

- Précise, je t'en défie.

- Soit. Vous voulez le service militaire obligatoire. Contre qui ? contre d'autres hommes. Moi, je ne veux pas de service militaire. Je veux la paix. Vous voulez les misérables secourus, moi je veux la misère supprimée. Vous voulez l'impôt proportionnel. Je ne veux point d'impôt du tout. Je veux la dépense commune réduite à sa plus simple expression et payée par la plus-value sociale.

- Qu'entends-tu par là ?

- Ceci : d'abord supprimez les parasitismes ; le parasitisme du prêtre, le parasitisme du juge, le parasitisme du soldat. Ensuite, tirez parti de vos richesses ; vous jetez l'engrais à l'égout, jetez-le au sillon. Les trois quarts du sol sont en friche, défrichez la France, supprimez les vaines pâtures ; partagez les terres communales. Que tout homme ait une terre, et que toute terre ait un homme. Vous centuplerez le produit social. La France, à cette heure, ne donne à ses paysans que quatre jours de viande par an ; bien cultivée, elle nourrirait trois cent millions d'hommes, toute l'Europe. Utilisez la nature, cette immense auxiliaire dédaignée. Faites travailler pour vous tous les souffles de vent, toutes les chutes d'eau, tous les effluves magnétiques. Le globe a un réseau veineux souterrain ; il y a dans ce réseau une circulation prodigieuse d'eau, d'huile, de feu ; piquez la veine du globe, et faites jaillir cette eau pour vos fontaines, cette huile pour vos lampes, ce feu pour vos foyers. Réfléchissez au mouvement des vagues, au flux et reflux, au va-et-vient des marées. Qu'est-ce que l'océan ? une énorme force perdue. Comme la terre est bête ! ne pas employer l'océan !

- Te voilà en plein songe.

- C'est-à-dire en pleine réalité. Gauvain reprit :

- Et la femme ? qu'en faites-vous ?

Cimourdain répondit :

- Ce qu'elle est. La servante de l'homme.

- Oui. A une condition.

- Laquelle ?

- C'est que l'homme sera le serviteur de la femme ;

- Y penses-tu ? s'écria Cimourdain, l'homme serviteur ! jamais. L'homme est maître. Je n'admets qu'une royauté, celle du foyer. L'homme chez lui est roi.

- Oui. A une condition.

- Laquelle ?

- C'est que la femme y sera reine.

- C'est-à-dire que tu veux pour l'homme et pour la femme...

- L'égalité.

- L'égalité ! y songes-tu ? les deux êtres sont divers.

- J'ai dit l'égalité. Je n'ai pas dit l'identité.

Il y eut encore une pause, comme une sorte de trêve entre ces deux esprits échangeant des éclairs. Cimourdain la rompit.

- Et l'enfant ! à qui le donnes-tu ?

- D'abord au père qui l'engendre, puis à la mère qui l'enfante, puis au maître qui l'élève, puis à la cité qui le virilise, puis à la patrie qui est la mère suprême, puis à l'humanité qui est la grande aïeule.

(Victor Hugo, "Quatre-vingt-treize", 1874, Partie III, Livre VII, Chapitre V, Le Cachot)>>.


(i) Voir Activités en réseau et à distance. Percolation des revenus. Procès de mise en valeur.


(j) Lire "Economie Temps". "Ile Robinson". "Mise Mutuelle". "Propriété Possession". "Production Appropriation". "Robinson Crusoé".






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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Mercredi 25 Juin 2008



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