Perversion



Terme ambiguë.



(A) Terme de Psychiatrie.



(a) La définition classique (quoique tardive) des diverses formes de perversions sexuelles, dont les listes furent élaborées par Richard von Krafft-Ebing, Henry Havelock Ellis, Félix Abraham et d'autres, est celle d'une déviation de l'instinct sexuel.


(b) Cette définition relève de la leçon de choses plus que de la théorie ou du modèle d'intelligibilité. En effet, définir le cannibale comme celui qui mange celle qu'il aime, le sadique comme celui qui lui fait mal au lieu de lui faire du bien, le fétichiste comme celui qui préfère sa chaussure à sa personne, le travesti comme celui qui enfile ses vêtements, l'exhibitionniste comme celui qui enlève les siens pour montrer son sexe au lieu de s'en servir, etc, c'est définir implicitement une cible de l'instinct sexuel.


(c) Mais définir explicitement cette cible est beaucoup plus difficile et même paradoxal. Tout d'abord parce que, dans ce contexte, où l'instinct est la réponse à tout, l'homme semblerait souffrir d'un défaut d'instinct.


(d) Plus grave, en définissant l'instinct sexuel comme la motion ("action de se mouvoir") vers la reproduction biologique, nos activités quotidiennes comme le travail pourraient être considérées comme des perversions sexuelles. Comment expliquer la division entre travail et non-travail ? Où se situe la limite interne entre production et reproduction ? Ne travaille-t-on pas, disons-nous, <pour gagner sa vie> ?


(e) Si la perversion est une pathologie, cela suppose que le pervers souffre (grec <pathos>, "maladie", "affection", "souffrance") de cette orientation. Or, une autre caractéristique de cette action est qu'elle soit mue par le plaisir ou pour le plaisir du pervers.


(f) A défaut d'une norme naturelle et devant la tautologie de toute norme culturelle à opposer au pervers, il nous reste le critère non-négligeable de la violence faite à une victime.


(g) Au niveau manifeste, la perversion sexuelle se déroule dans un rite privé, lors d'une relation sexuelle. Dans cette relation, la recherche d'une position (prééminente) semble imposer un sacrifice à l'un ou à l'autre des partenaires.


(h) Au niveau latent, sous la perversion manifeste, au sein de la réalité psychique, on trouve un clivage des représentations.


(i) Références bibliographiques :


- Richard von Krafft-Ebing (1840-1902) est l'auteur de "Psychopathia sexualis" (1886) ;


- Henry Havelock Ellis (1859-1939), fondateur de l'ethnologie sexuelle, est l'auteur de "Studies in the Psychology of Sex" dès 1898, "The Criminal" 1899, "A Study of British Genius" 1904, "Sex in Relation to Society" 1910, "The World of Dreams" 1911, "Man and Woman" 1926, "Marriage To-Day and To-Morrow" 1929.


- Le psychanalyste Félix Abraham est l'auteur de "Les Perversions sexuelles" (1931).


(j) Voir Sade.



(B) Terme de Psychanalyse.



(a) Sigmund Freud a pour ainsi dire inversé le problème de la déviation par rapport à un énigmatique instinct sexuel humain.


(b) Une de ses hypothèses génétiques (d'autres, plus formalisateurs, diraient postulats ou axiomes) conduit à considérer l'enfant comme un "pervers polymorphe". L'enfant (à l'âge de l'innocence) a toutes les perversions qui, du coup, changent de définition.


(c) Les stades pré-génitaux (stade oral, stade anal, stade phallique) contiendraient potentiellement toutes les perversions sous la forme de pulsions partielles.


(d) A l'inverse, le stade génital vrai (le coït hétérosexuel avec éjaculation pénienne et orgasme vaginal) est l'atteinte par un désir à tête chercheuse de la cible qui était cachée dans un chaos de pulsions.


(e) A l'opposé, provoquée par un refoulement rigide de toutes les pulsions, parce que partielles et imparfaites, la névrose est le <<négatif des perversions (Freud)>> et le manque du plaisir.


(f) Mélanie Klein a développé ce point de vue.


- <<Il y a quelques années, je suis parvenue à une conclusion analogue au sujet du criminel, et j'en ai parlé dans le rapport mentionné au début de mon article : j'y examinais l'analogie entre les actes des criminels et les fantasmes des enfants. Dans le cas étudié plus haut et dans d'autres cas moins nets mais cependant fort instructifs, j'ai constaté que la disposition criminelle n'était pas due à un surmoi moins rigoureux, mais à un surmoi opérant dans un sens différent. C'est justement l'angoisse et le sentiment de culpabilité qui poussent le criminel à commettre ses délits. Ceux-ci constituent en outre une tentative d'échapper à sa situation oedipienne. Dans le cas de mon jeune criminel, le fait de forcer les placards et de s'attaquer à de petites filles se substituait aux attaques contre sa mère. (Mélanie Klein, "Les tendances criminelles chez les enfants normaux", 1927, in Essais de psychanalyse, 1921-1945, page 226)>>.


(g) Jacques Lacan rattache la perversion du fils au phallus fantasmé de la mère.


- <<Tout le problème des perversions consiste à concevoir comment l'enfant, dans sa relation à la mère [...] s'identifie à l'objet imaginaire de ce désir en tant que la mère elle-même le symbolise dans le phallus. Le phallocentrisme produit par cette dialectique est tout ce que nous avons à retenir ici. (Lacan, "Écrits 1957-1958", pages 554-555)>>.


(h) Voir Aménagement pervers. Caractère pervers. Hospitalité sexuelle. Masturbation. Pédomane. Pédophilie. Pédophile. Perversion de caractère.



(C) Instances et institutions.



(a) Les deux discours précédents sur la variété des pratiques sexuelles partent :


(b) Du point de vue de l'institution. Principalement le médecin-légiste qui donne un diagnostic sur la responsabilité du coupable face à une victime dont il observe les blessures par examen clinique ou le cadavre par autopsie. Entre les déviations qui pervertissent l'ordre public et blessent les personnes privées, l'institution définit la ligne droite du tir tendu vers la cible statique. <<Le droit chemin, c'est là !>>.


(c) Du point de vue des instances du psychisme, la psychanalyse historique s'élabore pour déterminer comment les pulsions partielles peuvent s'étayer mutuellement et comment la libido peut se frayer un chemin vers la cible. Mais le missile à tête chercheuse qu'est le discours de la psychanalyse freudienne reste dépendant de la cible que visait le tir tendu précédent. Entre autres conséquences, la théorie est restée dans une misogynie chronique en faisant du phallus la norme et de la femme un enfant castré.


(d) Cercle vicieux de la normalité.


- La pensée du même domine la pensée de la diversité.


- Le pervers souffre d'une anormalité énigmatique dont il n'arrive pas à se sentir coupable.


- Et les victimes souffrent encore d'un sacrifice inexpliqué.


(e) La perversion marque un échec de l'intersémioticité chez les pervers comme dans les disciplines scientifiques qui le l'expliquent pas.


(f) Pour Jean Bergeret, la perversion de caractère, illustrée par le célèbre Iago de William Shakespeare (dans "Othello"), n'est pas une perversion, mais un aménagement (de type pervers) d'un état limite.


(g) La personnalité narcissique peut, elle aussi, être considérée comme un aménagement sur la lignée limite-dépressive.


(h) Voir Définition normalisatrice. Division politique du travail. Domination masculine. Le normal est normatif. Hétérosexualité normalisée. Hétérosexualité primaire. Hétérosexualité reproductive. Mal castrée. Modèle de la cible. Narcissisme primaire. Orgasme clitoridien. Reconnaissance monosémiotique. Séduction masculine. Souffrance. Tronc commun aménagé. Vide.


(i) Lire "Domination Masculine". "Harcèlement Moral". "Production Reproduction".



(D) Politique et morale.



(a) Des gouvernements politiques (nazisme) et des manières de poser les problèmes (un utilitarisme étroit) pervertissent durablement les hommes, les situations et les débats.


- <<L'officier nazi ordonne à Sophie de choisir lequel de ses deux enfants ira dans la chambre à gaz, l'autre étant épargné. Si elle refuse de choisir, les deux périront [...] L'éthique utilitariste voudrait que Sophie se soumette au marché imposé par l'officier nazi, et, donc, sacrifie l'un de ses enfants : du moins l'autre vivra. (Jean-Pierre Dupuy, "La théorie de la justice : une machine anti-sacrificielle", in Critique, 505-506, 1989)>>.


(b) Certains auteurs (John Rawls, Amartya Sen) dépensent alors beaucoup d'imagination pour retourner cette perversion.


(c) Voir Adam Smith. Bentham. John Stuart Mill. Le choix de Sophie. Main invisible. Providence. Sacrifice. Sacrificiel.







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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Mardi 24 Juin 2008



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