Génération de L'Astrée


(a) Toute une génération de nobles français voit le jour entre la première parution de "L'Astrée" (1607) et la mort du marquis de Valromey (1625). Ils sont souvent frondeurs, à l'imitation des Malcontents. Comme Honoré d'Urfé, nombre d'entre eux combine volontiers l'épée et la plume. A l'hôtel de Rambouillet ou ailleurs, cette génération correspond à la période du plus grand succès, littéraire et mondain, de "L'Astrée" :


- <<On peut partager en quatre périodes l'histoire de l'Astrée : admiration presque universelle, estime respectueuse, dédain, réhabilitation. Nous donnons 1660 pour limite à la première, 1735 à la seconde, à la troisième 1839, année où "Les d'Urfé" d'A. Bernard annoncent et préparent la prochaine réhabilitation de l'Astrée. La grande vogue du roman s'est soutenue environ trente ans. Etienne Pasquier, recevant d'Honoré d'Urfé, en 1607, le premier volume de son roman, lui avait prédit que toute la France serait amoureuse de lui. Urfé ne jouit pas cependant de toute sa gloire ; si le succès fut vif du premier coup, il ne devint triomphant qu'après l'achèvement de l'Astrée. Mais, depuis 1628 jusqu'en 1660, la fortune de ce livre est une des plus prodigieuses de l'histoire littéraire. Urfé est une idole sur laquelle il est sacrilège, ou peu s'en faut, de porter la main : une des grandes lumières du siècle, un des plus rares et merveilleux esprits que la France ait jamais portés. On dit couramment la merveilleuse, l'incomparable, la sublime, la divine Astrée, un opulent tissu de nobles histoires ; une des plus charmantes pièces que nous ayons en notre langue ; ce qu'il y a de plus délicieux au monde, les délices et la folie de la France ; un des plus savants et des plus ingénieux ouvrages qu'on ait jamais lus ; ce qu'on a vu de plus poli depuis la naissance des Muses françaises ; le livre enfin le meilleur qui ait paru en ce genre, et qui a effacé la gloire que la Grèce, l'Italie et l'Espagne s'étaient acquise dans le roman. (Chanoine Reure)>>.


(b) Gédéon Tallemant des Réaux (de 1619 à 1692) est un proche de Jean-François Paul de Gondi (1613-1679), cardinal de Retz, archevêque de Paris (1622-1654). Dans ses "Historiettes", Tallemant raconte que René de Vassé, seigneur d'Ecquevilly, venait lire l'Astrée sur les bords du Lignon, se faisant porter sur les lieux de chaque action. Le cardinal de Retz raconte que, dans leur famille, on rivalisait de questions-réponses sur l'Astrée, comme les tintinologues d'aujourd'hui sur les albums de Tintin.


(c) En visite au pays d'Astrée, l'abbé de Coulanges écrit à sa nièce Madame de Sévigné. En 1672, Antoinette du Ligier de la Garde, dame Deshoulières (1634 ?-1694) fait de même. Elle décrit son voyage à l'Oratorien Jules de Mascaron (1634-1703), alors prédicateur à Versailles. En 1681 est publié "Genséric", une tragédie historique de Madame Deshoulières, dont le thème est contenu dans L'Astrée.


(d) En 1614, commence la vie de Charles Marguetel de Saint-Denis, seigneur de Saint-Évremond. Il fréquente les ruelles de plusieurs Précieuses. Ancien amant de Ninon de Lenclos, il meurt en exil, en 1703. Dans un de ses "Opéras", il met en scène Mademoiselle Crisotine qui s'habille en bergère et se croit sur les bords du Lignon.


(e) Dans "Les Nouvelles françaises, ou les Divertissements de la Princesse Aurélie" (1657), Jean-Regnauld de Segrais (1624-1701) fait dire à son héroïne :


- <<Les beaux romans, quoi qu'on veuille en dire, ne sont pas sans instruction, principalement depuis qu'on y mêle l'histoire... Qu'y a-t-il de mieux fait, de plus touchant et de plus naturel que les belles imaginations de l'Astrée ? Où en peut-on voir de plus extraordinaires et de mieux écrites que dans le Polexandre ? Même le pont de la Bouteresse, pour être un peu plus éloigné, me semble être bien plus propre à produire des aventures que le pont de Saint-Cloud ou celui de Charenton. (Segrais)>>.


- Lucrèce et Orton utilisent les ruses d'Astrée et de Céladon. Orton <<mettait en pratique toutes celles qui se trouvent dans les romans, jusqu'au feutre radoubé de Céladon et jusqu'au saule creux, dont Astrée et lui avaient fait leur confident. Comme elle demeurait dans le faubourg Saint-Germain et qu'elle allait souvent se promener au Luxembourg, il y avait un ormeau creux que l'un et l'autre avaient remarqué, et qu'ils faisaient servir au même usage qu'Astrée et lui faisaient servir leur saule. (Segrais)>>.


(f) De 1616 à 1684, se déroule la vie d'Anne de Gonzague. La Palatine est une grande frondeuse. De même, arrivant chez Madame la duchesse de Longueville, soeur du Grand Condé et d'Armand de Bourbon, second prince de Conti, Monsieur de Noirmoutier évoque le siège de Marcilly, en voyant toutes ces dames au milieu de ces hommes en cuirasse.


(g) Anne-Marie Louise d'Orléans (1627-1693), duchesse de Montpensier, est la créatrice d'un salon littéraire fréquenté par le duc François VI de La Rochefoucauld (1613-1680). La naissance de la Grande Mademoiselle (1627) suit de peu la mort d'Honoré d'Urfé. Au château de Saint-Fargeau, dans la forêt de Livri, il n'est pas rare qu'un chasseur rencontre Céladon et le suive. La duchesse confie à Madame de Motteville :


- <<Je voudrais qu'on allât garder les troupeaux de moutons dans nos belles prairies, qu'on eût des houlettes et des capelines, qu'on dînât sur l'herbe verte de mets rustiques et convenables aux bergers, et qu'on imitât quelquefois ce qu'on a lu dans l'Astrée, sans toutefois faire l'amour ; car cela ne me plaît point, en quelque habit que ce soit. ("Mémoires" de la Grande Mademoiselle)>>.


(h) On sait le plaisir que Marie de Rabutin-Chantal (1626-1696), marquise de Sévigné, prend à faner dans les prés, malgré les hiérarchies des travaux agricoles. Chez ces nobles et ces guerriers, qui rêvent d'être bergers, le clivage des représentations ne cesse de progresser, jusqu'au basculement de la Révolution Française.


(i) Jean de la Fontaine (1621-1695) est un grand lecteur de L'Astrée. Le 27 avril 1641, il entre comme novice à l'Oratoire. Il en sort dix-huit mois plus tard, disant avoir passé son temps à lire l'Astrée. Jean de la Fontaine a composé l'Astrée opéra (1691), avec une musique de Pascal Colasse.


- <<Cloris eut tort de parler si crûment.

Non que Monsieur d'Urfé n'ait fait une oeuvre exquise ;

Etant petit garçon, je lisais son roman,

Et je le lis encore, ayant la barbe grise.

Aussi contre Alizon je faillis avoir prise,

Et soutins haut et clair qu'Urfé, par ci, par là,

De principes moraux nous instruit à sa guise.

(Jean de la Fontaine)>>.


(j) La langue de Pierre Corneille (1606-1684) est de celle qui fera oublier celle d'Honoré d'Urfé. Pourtant, il a placé une référence à "L'Astrée" dans "la suite du Menteur" (1644). Lise récite volontiers les dissertations de Silvandre. Elle assure être née dans le village d'Astrée. Le saule où Céladon <cachait ses lettres et sa flamme> est dans le pré de son grand-père. D'autant que les deux auteurs ont en commun d'avoir connu leur premier succès littéraire avec le récit de leur premier amour. Corneille écrit de "Mélite" :


- <<Le succès en fut surprenant ; il établit à Paris une nouvelle troupe de comédiens ... et me fit connaître à la Cour. (Pierre Corneille)>>.


(k) "Le Page disgracié" (1643) est un roman autobiographique de François dit Tristan l'Hermite (1601-1665). Pendant des heures, le héros raconte les aventures d'Astrée et de Céladon à sa douce, sans que jamais elle ne se lasse.


(l) Vers 1623, Jean Mairet (1604-1686), protégé du duc Henri de Montmorency grand amiral de France, publie une tragédie. Publiée en 1630, "Chryséide et Arimand" est directement inspirée de L'Astrée. En 1626, "La Sylvie", une pastorale pour le théâtre, reprend le nom d'une héroïne d'Honoré d'Urfé. En 1630, "La Silvanire ou la Morte vive" reprend le titre de celle d'Urfé.


(m) Cette génération a aussi été tentée par le burlesque italien, introduit en France par Paul Scarron (1610-1660) poussé par la maladie à rire et faire rire de lui-même.


- <<A cette dernière strophe, il n'y eut qu'un cri sur l'impertinence de Voiture.

- Mais, dit à demi-voix la jeune fille aux yeux veloutés, mais j'ai le malheur de les trouver charmants, moi, ces vers.

C'était aussi l'avis de Raoul, qui s'approcha de Scarron et lui dit en rougissant :

- Monsieur Scarron, faites-moi donc l'honneur, je vous prie, de me dire quelle est cette jeune dame qui est seule de son opinion contre toute cette illustre assemblée.

- Ah ! ah ! mon jeune vicomte, dit Scarron, je crois que vous avez envie de lui proposer une alliance offensive et défensive ?

Raoul rougit de nouveau.

- J'avoue, dit-il, que je trouve ces vers fort jolis.

- Et ils le sont en effet, dit Scarron ; mais chut, entre poètes, on ne dit pas de ces choses-là.

- Mais moi, dit Raoul, je n'ai pas l'honneur d'être poète, et je vous demandais...

- C'est vrai : quelle était cette jeune dame, n'est-ce pas ? C'est la belle Indienne.

- Veuillez m'excuser, monsieur, dit en rougissant Raoul, mais je n'en sais pas plus qu'auparavant. Hélas ! je suis provincial.

- Ce qui veut dire que vous ne connaissez pas grand'chose au phébus qui ruisselle ici de toutes les bouches. Tant mieux, jeune homme, tant mieux ! Ne cherchez pas à comprendre, vous y perdriez votre temps ; et quand vous le comprendrez, il faut espérer qu'on ne le parlera plus.

- Ainsi, vous me pardonnez, monsieur, dit Raoul, et vous daignerez me dire quelle est la personne que vous appelez la belle Indienne ?

- Oui, certes, c'est une des plus charmantes personnes qui existent, mademoiselle Françoise d'Aubigné.

- Est-elle de la famille du fameux Agrippa, l'ami du roi Henri IV ?

- C'est sa petite-fille. Elle arrive de la Martinique, voilà pourquoi je l'appelle la belle Indienne.

Raoul ouvrit des yeux excessifs ; et ses yeux rencontrèrent ceux de la jeune dame qui sourit. On continuait à parler de Voiture.

- Monsieur, dit mademoiselle d'Aubigné en s'adressant à son tour à Scarron comme pour entrer dans la conversation qu'il avait avec le jeune vicomte, n'admirez-vous pas les amis du pauvre Voiture ! Mais écoutez donc comme ils le plument tout en le louant ! L'un lui ôte le bon sens, l'autre la poésie, l'autre l'originalité, l'autre le comique, l'autre l'indépendance, l'autre... Eh mais, bon Dieu ! que vont-ils donc lui laisser, à cet illustre complet ? comme a dit mademoiselle de Scudéry.

Scarron se mit à rire et Raoul aussi. La belle Indienne, étonnée elle-même de l'effet qu'elle avait produit, baissa les yeux et reprit son air naïf.

- Voilà une spirituelle personne, dit Raoul.

Athos, toujours dans l'embrasure de la fenêtre planait sur toute cette scène, le sourire du dédain sur les lèvres.

(Alexandre Dumas, "Vingt ans après", 1845, Chapitre XXIII)>>.


(n) Scarron est suivi dans cette voie par Charles Coypeau d'Assoucy (1605-1677), Charles Sorel (?1602-1674) et Hector Savinien de Cyrano de Bergerac (1619-1655).


(o) En 1653, à Tournai, on découvre le tombeau de Childéric I er, mort en 481.


(p) Lors de son séjour en France (1640-1651), où il rencontre Descartes, Gassendi et probabement Hector Savinien de Cyrano de Bergerac, Thomas Hobbes trouve dans le spectacle social de la génération de L'Astrée, l'inspiration complémentaire du Leviathan (1651).


(q) Voir

Acte sexuel rabaissant.

Anne d'Urfé.

Annulation du mariage.

Auguste Bernard.

Célibat des prêtres.

Charles de Gonzague-Nevers.

Claude Malleville.

D'Artagnan.

Duchesse de Chevreuse.

Favoris.

Favorites.

Fontenelle.

Hymne de l'Honnête Amour.

Jean-Pierre Camus.

La Garde.

La guirlande de Julie.

Lettre à Etienne Pasquier.

L'homme est un loup pour l'homme.

Marie-Louise de Gonzague.

Olivier Patru.

Participation à l'ordre.

Pastoralisme forézien.

Portrait.

Vacher.




* * *


Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Lundi 14 Juillet 2008.



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