Georges à la Clarisse


(a) Georges à la Clarisse est un personnage littéraire créé par Roger Frison-Roche dans son premier roman alpin "Premier de cordée" (1941). Georges est orphelin de père. <Clarisse> est le prénom de sa mère. Elle habite dans la vallée de l'Arve, en amont de Chamonix, au village des Bois, sous la moraine frontale de la Mer de Glace.


- <<Ça s'est passé avant-hier dans l'orage... Le porteur, le gamin à la Clarisse des Bois, a sauvé le client : ils ont bivouaqué au gîte à Straton, et hier matin, de bonne heure, ils étaient au Montenvers. (Roger Frison-Roche, 1941, "Premier de Cordée", Arthaud, 1971, Illustrations de Marc Berthier, Gallimard 1973, page 32)>>.


- <<Lorsqu'il partit pour les Drus ce matin-là, Servettaz, le père, eut le pressentiment de ce qui allait arriver ; comme il sortait de la cabane de la Charpoua à trois heures du matin, il aperçut de lourds éclairs de chaleur qui zébraient la nuit vers l'horizon de l'ouest, silhouettant par intermittence la dentelle plus sombre des montagnes sur le ciel de jade. Il faisait doux, et c'est tout juste si les traces des pas sur la neige, devant le refuge, avaient gelé. Le guide hocha la tête d'un air soucieux.

« Faudra faire vite aujourd'hui si on veut réussir la course ; tu te sens en forme, Georges ?

- Ça ira, Jean ! Ça ira, répondit le porteur qui s'affairait à allumer la lanterne et à ployer régulièrement des anneaux de corde dans sa main. Tu m'as suffisamment fait les jambes cette saison. Bon sang ! Pas le temps de souffler, pas le temps de dormir, d'une cabane à l'autre... Dis ? je garde cinq mètres entre nous, sur la moraine c'est suffisant et ça évitera de mouiller la corde... Ah oui ! Tu m'en as fait voir du pays : l'Oberland, le Valais, l'Oisans... Crois-tu qu'une bougie ce soit suffisant ? Ça nous mènera toujours à l'Epaule, surtout qu'avec celui-là je crois que ça ne traînera pas ! »

Celui-là, c'était le client : Bradford Warfield Junior de Oahamas, Nebraska, U.S.A., un grand fifre de près de deux mètres, sec comme un coup de trique, qui n'ouvrait jamais la bouche et qui parcourait les Alpes le chronomètre en main, marquant sur son calepin les cimes gravies et l'horaire record établi. Une formidable aubaine, en somme, pour ses guides, car il était volontiers généreux et doublait le prix de la course ; en outre, avec sa manie des records il n'était pas gênant, on était toujours de retour à la cabane pour le déjeuner et le porteur n'emportait dans son sac que le strict nécessaire. Son camarade de club, Douglas Willys Slane Sr, lui avait passé guide et porteur sur le quai de la gare de Brigue, au retour d'une course commune dans l'Oberland. Slane avait bondi dans l'Orient-Express, à destination de Bucarest où on l'attendait pour une chasse à l'ours dans les Alpes transylvaines. Warfield et ses deux nouveaux compagnons gagnèrent directement, par Chamonix, le refuge de la Charpoua.

Warfield s'était prononcé pour les Drus sur un simple coup d'oeil au tarif des courses du Bureau des Guides. C'était l'ascension la mieux payée... (Roger Frison-Roche, 1941, "Premier de Cordée", Arthaud, 1971, Illustrations de Marc Berthier, Gallimard 1973, Chapitre VIII)>>.


(b) Histoire. Georges à la Clarisse est inspiré d'un acteur réel, le porteur chamoniard, Michel Bozon. Doté d'une force herculéenne, Michel Bozon participa à l'équipement du refuge Vallot en portant la cuisinière de 80 kilos. Il avait eu les pieds gelés. Pendant la Seconde Guerre mondiale, bûcheron, résistant de l'Armée Secrète, sous le nom clandestin de Jérôme, il est un héros de la tragédie du Plateau des Glières, en 1944. Dénoncé, arrêté par la Gestapo, il est déporté en Allemagne, d'où il reviendra.


- <<Sacré Jérôme ! Il était parmi eux, dans cette même chambre, hier soir, surgi du col des Auges comme s'il terminait une agréable promenade de digestion. Jérôme, l'un des agents de liaison du camp, c'est le fameux guide chamoniard Michel Bozon. Nul autre que lui n'aurait osé s'aventurer à travers les mailles serrées des postes de garde de la milice et des incessantes patrouilles allemandes. Cent fois, il a du se jeter à plat ventre et faire le mort, escalader les rochers abrupts, dégringoler dans des ravins, se tirer des trous profonds que ses pas avaient creusés dans la neige pourrie avant d'atteindre le Plateau par un sentier humainement impraticable. Au bout de cette expédition, il s'est présenté au bureau d'Anjot à son heure habituelle, traînant son sac de courrier, lesté de son inséparable bidon de "gnôle". Il a rapporté les dernières informations recueillies dans la vallée - aussi peu rassurantes que possible :

- Les " chleuhs " sont fortement implantés dans la région. Depuis mardi dernier, ils sont partout, dans les villages et les moindres hameaux. Ils ont réquisitionné les hôtels, les chambres chez l'habitant, les granges et les étables. C'est un déferlement d'uniformes vert-de-gris évoluant dans un concert de cris rauques et de cliquetis d'armes. Avec eux, dans leur ombre, se montrent les "forces du maintien de l'ordre" qui sont à leur solde. Tout cela cerne le Plateau en un mouvement lent, lourd, voyant et continu. Leurs blindés et leurs camions s'embouteillent aux carrefours et défoncent les chemins. Ils ont garni toutes les crêtes alentour d'artillerie de campagne, hissée par les méthodes les plus brutales...

Ces renseignements n'ont pas appris grand-chose aux défenseurs du camp retranché. Mais Jérôme a donné des précisions :

- La concentration de la Wehrmacht est particulièrement poussée dans la vallée du Borne. À Morette, deux pièces de 77 sont installées dans la cour de l'entreprise Monnier. Sur toutes les pentes entre le Parmelan et la Dent du Cruet, des fantassins allemands prennent position dans des nids de mitrailleuses...

Parmi ses multiples fonctions, Gilbert Lacombe assume celle de vaguemestre. Ayant vidé le sac de Bozon des colis et des lettres adressés aux maquisards, il le lui a rapporté, chargé seulement de rares messages hâtivement griffonnés. Un bref repos, une rasade d'alcool et Jérôme est reparti sur un paisible "au revoir à tous", qui a réchauffé les coeurs. Il a disparu, comme il était venu, par un chemin secret, après s'être laissé glisser tout au long d'une muraille à pic. C'était fini. Dernière liaison avec le monde extérieur, le dernier courrier des Glières s'était enfoncé dans la neige et la nuit de la vie clandestine. (Vivre libre ou mourir, "Les Glières", document du web)>>.


(c) Toute la famille Bozon est riche en alpinistes et skieurs de renom. En 1926, Marcel Bozon, né aux Pèlerins en 1901, guide de haute montagne, accompagne Armand Charlet à la première, celle de l'Aiguille Verte par l'arête de la Sans Nom. Il est à l'origine de la création de l'ENSA.


- <<Natif des Pélerins, d'une carrure puissante et d'une résistance peu commune, Marcel Bozon se fait remarquer très tôt comme montagnard mais aussi comme skieur de talent, en participant avec succès aux courses locales et régionales. Au cours de son service militaire à Briançon, il retrouve Armand Charlet, son aîné d'un an. Profitant de leur temps libre, les deux amis réalisent ensemble une série de belles courses dans l'Oisans : Meije , Barre des Ecrins... C'est aussi avec Armand Charlet qu'il réussit, en 1926, une magnifique première, celle de l'Aiguille Verte par l'arête de la Sans Nom avec une cliente, Melle de Lonchamp. Aussi bon en rocher qu'en glace, il conduit ses clients dans toutes les grandes voies classiques du massif du Mont Blanc, de l'Oisans, du Valais.. Reconnu par ses pairs comme l'un des meilleurs, Marcel Bozon participe en 1942 à la création du premier centre de formation de chefs de cordée, le Collège des Praz, qui donnera plus tard naissance à l'ENSA. Acceptant d'assumer les plus hautes responsabilités, il devient en 1960 le premier Président national du Syndicat des Guides, fondé avec Armand Charlet. La vie de Marcel Bozon n'a, en soi, rien d'exceptionnel : c'est celle d'un guide chamoniard intelligent et particulièrement doué au plan sportif, mais sa carrière exemplaire (il participe à plus de 50 opérations de sauvetage à une époque où n'existait pas l'hélicoptère...) lui vaudra, malgré sa modestie, d'être promu Chevalier de la Légion d'Honneur. (Alpinisme.com, "Figures de l'alpinisme")>>.


- <<Je taillais pour traverser un pente de glace recouverte de neige peu solide. A mi-chemin, Marcel Bozon me relaya. Je me sentais si fatigué pendant qu'il taillait que je faillis m'endormir sur la pente. Garnier de même... seul Marcel se trouvait dans une situation normale. (Armand Charlet, "Vocation Alpine", 1949)>>.


(d) Littérature. Pendant plusieurs années, Georges à la Clarisse est le porteur préféré du guide Jean Servettaz. Il s'apprête à devenir guide, pour la saison suivante. En septembre 1925, à peine rentré de Suisse, Jean et Georges prennent en charge un riche américain, fanatique du chronomètre. La course prévue doit les conduire au sommet des Drus, dans le massif de l'Aiguille Verte. Au vu des ravoures matinales puis de l'âne du Mont-Blanc, Servettaz conseille un repli stratégique. Devant l'entêtement (<je paye, donc vous montez>) de Bradford Warfield Junior, Servettaz conduit la cordée au sommet, pour constater que l'orage est sur la Madone des Drus. Attendant son tour pour saisir le rappel, le guide est foudroyé. C'est Georges qui sauve et ramène le client, à demi fou, après une terrible nuit de bivouac. Mais les extrémités de ses deux pieds sont gelées. Soigné à l'hôpital de Genève, il bénéficie des meilleurs soins de l'époque, grâce à la reconnaissance financière de l'Américain.


- <<Quelques minutes après, ils arpentaient l'avenue de la Gare en compagnie de Boule et de Fernand et, sans qu'il sût pourquoi, Pierre se sentait tout à coup infiniment heureux d'avoir retrouvé ses amis.

Le puissant klaxon du courrier de Genève les avertit de l'arrivée du car. Pierre cherchait déjà à reconnaître le blessé parmi la foule des voyageurs.

Georges descendit le dernier, lentement, s'aidant à peine d'une canne. Son visage amaigri témoignait encore des souffrances qu'il avait endurées. A part cela, il paraissait normal ; seulement, en regardant ses pieds, on s'apercevait qu'il était chaussé de deux bizarres chaussures, plus courtes qu'on ne les fait habituellement, en solide cuir souple, renforcé d'épaisses semelles en caoutchouc.

Il marchait ainsi avec une relative aisance et, tout fier devant ses amis, tapait de grands coups de canne sur le bout renforcé pour montrer qu'il ne sentait plus rien.

Les autres ne disaient rien ; ils regardaient l'infirme, le coeur serré, l'émotion à fleur de lèvres.

« C'est tout cicatrisé ? interrogea Boule pour dire quelque chose.

- Presque tout ! mais avec ces bottes spéciales, je ne sens plus rien.

- On t'a coupé les pieds presque au ras du talon ? demanda Fernand.

- Pas tout à fait, mais presque ; on a fait une régularisation, m'a dit le chirurgien. Pour ça, on m'a bien désossé...

- Et tu peux marcher ?

- Tiens ! regarde ! » Et jetant sa canne, Georges à la Clarisse esquissa un entrechat.

« Ça fait me pi pas pi ! T'es un type, Georges, dit Boule en souriant.(Roger Frison-Roche, 1941, "Premier de Cordée", Arthaud, 1971, Illustrations de Marc Berthier, Gallimard 1973, page 179)>>.


(e) Décidé à vivre en montagne, Georges s'entraîne à grimper sur ses moignons. Ce faisant, avec Boule, Paul, Fernand et Aline, il contribue à la renaissance morale de Pierre Servettaz. Fils de Jean, Pierre est devenu sujet au vertige, après une chute et blessure au cerveau (entraînant une trépanation). C'est dans les Drus qu'il est tombé, en tentant l'impossible pour arracher le corps de son père à la montagne.


(f) Voir Ce que Verte veut, Mont Blanc ne peut. Coup de foudre. La Verte. Longueur de corde. Ukulele Lady.


(g) Lire "Chapitre-Renaissance du Réseau d'Activités à Distance".




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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Lundi 11 Août 2008.



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