Pis-aller


(a) Apparition. L'expression toute faite <pis aller> est attestée, au plus tard, en 1526 sous la plume de Clément Marot. Elle est longtemps utilisée sous cette forme, avant de devenir le nom composé masculin invariable, <pis-aller>. Rousseau utilise les deux écritures.


- <<Je vous en croy si je vous ay mesfaict.

Encor posé le cas que l'eusse faict,

Au pis aller n'escherroit que une Amende.

(Clément Marot, "Les Epîtres", 1526, épître XI, Marot, Prisonnier, escript au Roy pour sa délivrance)>>.


- <<En outre, c'est icy chez nous, et non ailleurs, que doivent estre considerées les forces et les effects de l'ame: tout le reste de ses perfections, luy est vain et inutile : c'est de l'estat present, que doit estre payée et recognue toute son immortalité, et de la vie de l'homme, qu'elle est comtable seulement : Ce seroit injustice de luy avoir retranché ses moyens et ses puissances, de l'avoir desarmée, pour du temps de sa captivité et de sa prison, de sa foiblesse et maladie, du temps où elle auroit esté forcée et contrainte, tirer le jugement et une condemnation de durée infinie et perpetuelle : et de s'arrester à la consideration d'un temps si court, qui est à l'adventure d'une ou de deux heures, ou au pis aller, d'un siecle (qui n'ont non plus de proportion à l'infinité qu'un instant) pour de ce moment d'intervalle, ordonner et establir definitivement de tout son estre. (Michel Eyquem, seigneur de Montaigne, "Les Essais", 1595, Livre II, Chapitre XII, Apologie de Raimond de Sebonde)>>.


- <<Et combien qu'elles nous conduisent aussi toutes d'un commun accord à mespriser la douleur, la pauvreté, et autres accidens, à quoy la vie humaine est subjecte, ce n'est pas d'un pareil soing : tant par ce que ces accidens ne sont pas de telle nécessité, la pluspart des hommes passent leur vie sans gouster de la pauvreté, et tels encore sans sentiment de douleur et de maladie, comme Xenophilus le Musicien, qui vescut cent et six ans d'une entiere santé : qu'aussi d'autant qu'au pis aller, la mort peut mettre fin, quand il nous plaira, et coupper broche à tous autres inconvenients. Mais quant à la mort, elle est inevitable. (Michel Eyquem, seigneur de Montaigne, "Les Essais", 1595, Livre I, Chapitre XIX, Que Philosopher, c'est apprendre à mourir)>>.


- <<Le changement de mon amitié pour vous n'est pas un ouvrage de la philosophie, ni des raisonnements humains ; je ne cherche point à me défaire de cette chère amitié. Ma bonne, si dans l'avenir, vous me traitez comme on traite une amie, votre commerce sera charmant; j'en serai comblée de joie, et je marcherai dans des routes nouvelles. Si votre tempérament, peu communicatif, comme vous le dites, vous empêche encore de me donner ce plaisir, je ne vous en aimerai pas moins. N'êtes-vous pas contente de ce que j'ai pour vous ? En désirez-vous davantage ? voilà votre pis aller. Vous ne serez point moins aimée. (Marquise de Sévigné, "Lettres", Lettre à sa fille, Madame de Grignan, de Paris, le vendredi 20 octobre 1679)>>.


- <<Cette aventure ne laissa pas de faire du bruit, et c'eût été réellement une anecdote merveilleuse, que la cruauté d'une fille d'Opéra eût fait mourir un homme de désespoir. Cette belle passion mit Grimm à la mode ; bientôt il passa pour un prodige d'amour, d'amitié, d'attachement de toute espèce. Cette opinion le fit rechercher et fêter dans le grand nombre, et par là l'éloigna de moi, qui jamais n'avais été pour lui qu'un pis aller. (Jean-Jacques Rousseau, "Les Confessions", 1782, Partie II, Livre VIII)>>.


(b) Définition. Un pis-aller est "ce qu'on accepte, faute de mieux". C'est pour éviter que les choses n'aillent "de mal en pis". Le pis est le pire. Un pis-aller est un moindre mal. On dit aussi <faire contre mauvaise fortune, bon cœur>.


(c) Références d'usage du terme :


- <<Au pis aller. Façon de parler qui se dit dans le même sens. Posant les choses au pire état où elles puissent être. Au pis aller nous y vivrons de ce que nous y trouverons. Au pis aller nous reviendrons sur nos pas. On dit aussi, C'est votre pis aller, pour dire, C'est le pis qui vous puisse arriver. Et on dit, Je ferai votre pis aller, pour dire, Si vous ne trouvez rien de mieux, vous pouvez toujours compter sur moi. Qui pis est. Façon de parler, pour dire, Ce qu'il y a de pire, de plus fâcheux. De mal en pis, de pis en pis. Façons de parler adverbiales, pour dire, que Le mal va toujours en augmentant. Ses affaires vont de mal en pis, de pis en pis. (Dictionnaire de l'Académie française, édition Garnery, 1765)>>.


- <<Au-delà de ces débats techniques, la question essentielle réside dans la portée internationale d'une telle modification du traité ABM et dans un éventuel effet domino sur les autres traités de désarmement. La plupart des experts français s'attachent, avec d'autres, à souligner la réaction en chaîne que ce programme est susceptible de déclencher dans les programmes balistiques ou nucléaires nationaux. S'agissant du traité ABM, la question de savoir si la remise en cause de ce traité porterait atteinte à l'équilibre stratégique international a été largement débattue. Tous les opposants à la NMD ont rappelé avec force qu'il s'agissait de la pierre d'angle en la matière, ce que ne contestent pas d'ailleurs les Etats-Unis. On notera toutefois avec intérêt la thèse dissidente avancée par le négociateur du traité ABM, Henry Kissinger, qui rappelle qu'en définitive, ce traité n'était qu'un pis-aller permettant de maintenir un système minimal de défense antimissile face à un Congrès qui n'en voulait aucun à l'époque. (Assemblée nationale, rapport Pierre Lellouche sur "la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs", 4 octobre 1958)>>.


(d) Références littéraires :


- <<Il est vrai encore qu'il ne les avait jamais que comme son pis-aller, parce qu'il craignait naturellement Monsieur le Prince et comme offensé et comme supérieur, sans proportion, en gloire, en courage, en génie... (Cardinal de Retz, "La Vie du cardinal de Rais", 1717)>>.


- <<J'étais monté sur un bon cheval qui m'appartenait, et je portais dans ma valise deux cents pistoles dont la meilleure partie me venait des bandits tués et des trois mille ducats volés à Samuel Simon; car don Alphonse, sans me faire rendre ce que j'avais touché, avait restitué cette somme entière de ses propres deniers. Ainsi, regardant mes effets comme un bien devenu légitime, j'en jouissais sans scrupule. Je possédais donc un fonds qui ne me permettait pas de m'embarrasser de l'avenir, outre la confiance qu'on a toujours en son mérite, à l'âge que j'avais. D'ailleurs, Tolède m'offrait un asile agréable. Je ne doutais point que le comte de Polan ne se fît un plaisir de bien recevoir un de ses libérateurs et de lui donner un logement dans sa maison. Mais j'envisageais ce seigneur comme mon pis-aller, et je résolus avant que d'avoir recours à lui, de dépenser une partie de mon argent à voyager dans les royaumes de Murcie et de Grenade, que j'avais particulièrement envie de voir. Dans ce dessein, je pris le chemin d'Almansa, d'où, poursuivant ma route, j'allai de ville en ville jusqu'à celle de Grenade, sans qu'il m'arrivât aucune mauvaise aventure. Il semblait que la fortune, satisfaite de tant de tours qu'elle m'avait joués, voulût enfin me laisser en repos. Mais elle m'en préparait bien d'autres, comme on le verra dans la suite. (Alain-René Lesage, "Histoire de Gil Blas de Santillane", 1735, Tome III, Livre VII, Chapitre II, Ce que devint Gil Blas après sa sortie du château de Leyva ; et des heureuses suites qu'eut le mauvais succès de ses amours)>>.


- <<Enfin je me rappelai le pis-aller d'une grande princesse à qui l'on disait que les paysans n'avaient pas de pain, et qui répondit : "Qu'ils mangent de la brioche." J'achetai de la brioche. Encore, que de façons pour en venir là ! Sorti seul à ce dessein, je parcourais quelquefois toute la ville, et passais devant trente pâtissiers avant d'entrer chez aucun. Il fallait qu'il n'y eût qu'une seule personne dans la boutique, et que sa physionomie m'attirât beaucoup, pour que j'osasse franchir le pas. Mais aussi quand j'avais une fois ma chère petite brioche, et que, bien enfermé dans ma chambre, j'allais trouver ma bouteille au fond d'une armoire, quelles bonnes petites buvettes je faisais là tout seul, en lisant quelques pages de roman ! Car lire en mangeant fut toujours ma fantaisie, au défaut d'un tête-à-tête. C'est le supplément de la société qui me manque. Je dévore alternativement une page et un morceau : c'est comme si mon livre dînait avec moi. (Jean-Jacques Rousseau, "Les Confessions", 1782, Partie I, Livre VI)>>.


- <<Encore dans votre dernière lettre, si vous ne m'y parlez pas de cette femme uniquement, c'est que vous ne voulez me rien dire de vos grandes affaires ; elles vous semblent si importantes, que le silence que vous gardez sur elles, vous le croyez une punition pour moi. Et c'est après ces mille preuves de votre préférence décidée pour une autre, que vous me demandez tranquillement s'il y a encore quelque intérêt commun entre vous et moi ! Prenez-y garde, Vicomte ! si une fois je réponds, ma réponse sera irrévocable ; et craindre de la faire en ce moment, c'est déjà peut-être en dire trop. Aussi je n'en veux absolument plus parler. Tout ce que je peux faire, c'est de vous raconter une histoire. Peut-être n'aurez-vous pas le temps de la lire, ou celui d'y faire assez attention pour la bien entendre ? libre à vous. Ce ne sera, au pis-aller, qu'une histoire de perdue. (Pierre Choderlos de Laclos, "Les Liaisons dangereuses", 1782, Lettre 141, La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont)>>.


- <<La comtesse pâlit.

"Nous y sommes ! se dit en lui-même Derville. Bien, je te tiens, l'affaire du pauvre colonel est gagnée."

"D'ailleurs, madame, reprit-il à haute voix, il aurait d'autant moins de remords, qu'un homme couvert de gloire, général, comte, grand-officier de la Légion d'honneur, ne serait pas un pis-aller ; et si cet homme lui redemande sa femme... (Honoré de Balzac, "Le colonel Chabert", 1835)>>.


- <<- Birotteau, mon cher, va dépenser cent mille francs pour son bal, il engage sa fortune dans cette affaire des terrains malgré mes conseils. Dans six semaines ces gens-là n'auront pas de pain. Epouse mademoiselle Lourdois, la fille du peintre en bâtiments, elle a trois cent mille francs de dot, je t'ai ménagé ce pis-aller ! Si tu me comptes seulement cent mille francs en achetant ma charge, tu peux l'avoir demain. (Honoré de Balzac, "Grandeur et décadence de César Birotteau", 1837, Partie I, César à son apogée, Chapitre VI, Les deux astres)>>.


- <<Une fois la frontière dépassée, Andrea faisait argent de ses diamants, réunissait le prix qu'il en tirait à une dizaine de billets de banque qu'il portait toujours sur lui en cas d'accident, et il se retrouvait encore à la tête d'une cinquantaine de mille livres, ce qui ne semblait pas à sa philosophie un pis-aller par trop rigoureux. (Alexandre Dumas père, "Le Comte de Monte-Cristo", 1845, Chapitre 98, L'auberge de la Cloche et de la Bouteille)>>.


- <<Il la regardait ; un fragment de la fresque apparaissait dans son visage et dans son corps, que dés lors il chercha toujours à y retrouver soit qu'il fût auprès d'Odette, soit qu'il pensât seulement à elle; et bien qu'il ne tînt sans doute au chef-d'oeuvre florentin que parce qu'il le retrouvait en elle, pourtant cette ressemblance lui conférait à elle aussi une beauté, la rendait plus précieuse. Swann se reprocha d'avoir méconnu le prix d'un être qui eût paru adorable au grand Sandro, et il se félicita que le plaisir qu'il avait à voir Odette trouvât une justification dans sa propre culture esthétique. Il se dit qu'en associant la pensée d'Odette à ses rêves de bonheur, il ne s'était pas résigné à un pis-aller aussi imparfait qu'il l'avait cru jusqu'ici, puisqu'elle contentait en lui ses goûts d'art les plus raffinés. Il oubliait qu'Odette n'était pas plus pour cela une femme selon son désir, puisque précisément son désir avait toujours été orienté dans un sens opposé à ses goûts esthétiques. Le mot d'"oeuvre florentine" rendit un grand service à Swann. Il lui permit, comme un titre, de faire pénétrer l'image d'Odette dans un monde de rêves où elle n'avait pas eu accès jusqu'ici et où elle s'imprégna de noblesse. Et tandis que la vue purement charnelle qu'il avait eue de cette femme, en renouvelant perpétuellement ses doutes sur la qualité de son visage, de son corps, de toute sa beauté ; affaiblissait son amour, ces doutes furent détruits, cet amour assuré quand il eut à la place pour base les données d'une esthétique certaine; sans compter que le baiser et la possession qui semblaient naturels et médiocres s'ils lui étaient accordés par une chair abîmée, venant couronner l'adoration d'une pièce de musée, lui parurent devoir être surnaturels et délicieux. (Marcel Proust, "Du côté de chez Swann", 1913, Partie II, Un amour de Swann)>>.


(e) Voir Aveugle de Cheselden. Dostoievski. Ferdinand I er de Médicis. Fille d'Eve. Lou Andéas Salomé. Marion de Lorme. Mentisme. Paramètres supplémentaires. Polarisation. Rodomont. Timon d'Athènes. Variables cachées.


(f) Lire "Economie Temps".









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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Mercredi 25 Juin 2008



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