(a) L'adjectif <faustien, faustienne>, terme du XX ème siècle, signifie "relatif à Faust". Il s'agit d'un personnage de légende, à base historique (un chiromancien), repris dans la littérature allemande par Goethe et dans l'opéra français par Gounod.
- <<Méphistophélès : Maître, puisqu'une fois tu te rapproches de nous, puisque tu veux connaître comment les choses vont en bas, et que d'ordinaire tu te plais à mon entretien, je viens vers toi dans cette foule. Pardonne si je m'exprime avec moins de solennité : je crains bien de me faire huer par la compagnie ; mais le pathos dans ma bouche te ferait rire assurément, si depuis longtemps tu n'en avais perdu l'habitude. Je n'ai rien à dire du soleil et des sphères, mais je vois seulement combien les hommes se tourmentent. Le petit dieu du monde est encore de la même trempe et bizarre comme au premier jour. Il vivrait, je pense, plus convenablement, si tu ne lui avais frappé le cerveau d'un rayon de la céleste lumière. Il a nommé cela raison, et ne l'emploie qu'à se gouverner plus bêtement que les bêtes. Il ressemble (si ta Seigneurie le permet) à ces cigales aux longues jambes, qui s'en vont sautant et voletant dans l'herbe, en chantant leur vieille chanson. Et s'il restait toujours dans l'herbe ! mais non, il faut qu'il aille encore donner du nez contre tous les tas de fumier.
LE SEIGNEUR : N'as-tu rien de plus à nous dire ? ne viendras-tu jamais que pour te plaindre ? Et n'y a-t-il selon toi rien de bon sur la terre ?
MÉPHISTOPHÉLÈS : Rien, Seigneur : tout y va parfaitement mal, comme toujours; les hommes me font pitié dans leurs jours de misère, au point que je me fais conscience de tourmenter cette pauvre espèce.
LE SEIGNEUR : Connais-tu Faust ?
MÉPHISTOPHÉLÈS : Le docteur ?
LE SEIGNEUR : Mon serviteur.
MÉPHISTOPHÉLÈS : Sans doute. Celui-là vous sert d'une manière étrange. Chez ce fou rien de terrestre, pas même le boire et le manger. Toujours son esprit chevauche dans les espaces, et lui-même se rend compte à moitié de sa folie. Il demande au ciel ses plus belles étoiles et à la terre ses joies les plus sublimes, mais rien de loin ni de près ne suffit à calmer la tempête de ses désirs.
LE SEIGNEUR : Il me cherche ardemment dans l'obscurité, et je veux bientôt le conduire à la lumière. Dans l'arbuste qui verdit, le jardinier distingue déjà les fleurs et les fruits qui se développeront dans la saison suivante.
MÉPHISTOPHÉLÈS : Voulez-vous gager que celui-là, vous le perdrez encore ? Mais laissez-moi le choix des moyens pour l'entraîner doucement dans mes voies.
LE SEIGNEUR : Aussi longtemps qu'il vivra sur la terre, il t'est permis de l'induire en tentation. Tout homme qui marche peut s'égarer.
MÉPHISTOPHÉLÈS : Je vous remercie. J'aime avoir affaire aux vivants. J'aime les joues pleines et fraîches. Je suis comme le chat, qui ne se soucie guère des souris mortes.
LE SEIGNEUR : C'est bien, je le permets. Ecarte cet esprit de sa source, et conduis-le dans ton chemin, si tu peux ; mais sois confondu, s'il te faut reconnaître qu'un homme de bien, dans la tendance confuse de sa raison, sait distinguer et suivre la voie étroite du Seigneur.
MÉPHISTOPHÉLÈS : Il ne la suivra pas longtemps, et ma gageure n'a rien à craindre. Si je réussis, vous me permettrez bien d'en triompher à loisir. Je veux qu'il mange la poussière avec délices, comme le serpent mon cousin.
LE SEIGNEUR : Tu pourras toujours te présenter ici librement. Je n'ai jamais haï tes pareils. Entre les esprits qui nient, l'esprit de ruse et de malice me déplaît le moins de tous. L'activité de l'homme se relâche trop souvent ; il est enclin à la paresse, et j'aime à lui voir un compagnon actif, inquiet, et qui même peut créer au besoin comme le diable. Mais vous, les vrais enfants du ciel, réjouissez-vous dans la beauté vivante où vous nagez ; que la puissance qui vit et opère éternellement vous retienne dans les douces barrières de l'amour, et sachez affermir dans vos pensées durables les tableaux vagues et changeants de la création. (Le ciel se ferme, les archanges se séparent.)
MÉPHISTOPHÉLÈS : J'aime à visiter de temps en temps le vieux Seigneur, et je me garde de rompre avec lui. C'est fort bien, de la part d'un aussi grand personnage, de parler lui-même au diable avec tant de bonhomie. (Johann Wolfgang Goethe, "Faust", traduction de Gérard de Nerval, Garnier Flammarion, Paris, 1964, Prologue dans le Ciel, pages 44-46)>>.
- <<Oh ! que n'ai-je des ailes pour m'élever de la terre, et m'élancer après lui, dans une clarté éternelle ! Je verrais à travers le crépuscule tout un monde silencieux se dérouler à mes pieds, je verrais toutes les hauteurs s'enflammer, toutes les vallées s'obscurcir, et les vagues argentées des fleuves se dorer en s'écoulant. La montagne et tous ses défilés ne pourraient plus arrêter mon essor divin. Déjà la mer avec ses gouffres enflammés se dévoile à mes yeux surpris. Cependant le Dieu commence enfin à s'éclipser ; mais un nouvel élan se réveille en mon âme, et je me hâte de m'abreuver encore de son éternelle lumière ; le jour est devant moi ; derrière moi la nuit ; au-dessus de ma tête le ciel, et les vagues à mes pieds. - C'est un beau rêve tant qu'il dure ! Mais, hélas ! le corps n'a point d'ailes pour accompagner le vol rapide de l'esprit ! Pourtant il n'est personne au monde qui ne se sente ému d'un sentiment profond, quand, au-dessus de nous, perdue dans l'azur des cieux, l'alouette fait entendre sa chanson matinale ; quand, au-delà des rocs couverts de sapins, l'aigle plane, les ailes immobiles, et qu'au-dessus des mers, au-dessus des plaines, la grue dirige son vol vers les lieux de sa naissance. (Johann Wolfgang Goethe, traduction de Gérard de Nerval, "Faust", Garnier Flammarion, Paris, 1964, page 64)>>.
(b) Références d'usage du terme :
- <<L'un des éléments fondamentaux de l'esprit du capitalisme moderne, et non seulement de celui-ci, mais de la civilisation moderne elle-même, à savoir : la conduite rationnelle fondée sur l'idée de Beruf, est né de l'esprit de l'ascétisme chrétien - c'est ce que notre exposé s'est proposé de démontrer. Si nous relisons à présent le passage de Franklin cité au début de cette étude, nous verrons que les éléments essentiels de l'attitude que nous avons alors appelée «esprit du capitalisme» sont précisément ceux que nous avons trouvé être le contenu de l'ascétisme puritain du métier , mais dépourvus du fondement religieux déjà fort affaibli chez Franklin. L'idée que le travail moderne est marqué du sceau de l'ascétisme n'est certes pas nouvelle. Se borner à un travail spécialisé, et par suite renoncer à l'universalité faustienne de l'homme, telle est la condition de toute activité fructueuse dans le monde moderne ; ainsi, de nos jours, «action» et «renoncement» se conditionnent fatalement l'un et l'autre. Ce caractère foncièrement ascétique du style de vie bourgeois - il serait plus à propos de parler d'absence de style - Goethe, au sommet de sa sagesse, a voulu lui aussi nous l'enseigner, tant avec les Wanderjahre qu'avec la fin qu'il a donnée à la vie de son Faust . Cette connaissance avait pour lui le sens d'un adieu, d'un renoncement à un âge d'opulente et belle humanité, lequel ne pourra pas davantage se répéter, dans le cours de notre culture, que la floraison d'Athènes durant l'Antiquité. (Max Weber, "L'Ethique protestante et l'esprit du Capitalisme")>>.
- <<L'existence supposée d'un drame allemand autonome, directement dérivé de l'"Histoire de Faust" de Spiesz, n'a pu jusqu'ici être prouvée : ce fut certainement à travers le drame de Marlowe que la légende faustienne parvint sur les scènes allemandes ("Le Nouveau dictionnaire des oeuvres", page 2684)>>.
- <<En revanche, elle doit beaucoup à la résurrection par Goethe du personnage semi-historique du docteur Faust. Certes, dans ce Faust (1797-1808), la quête de l'amour, succédant à celle du savoir, n'était qu'un élément de la grande aventure faustienne, mais elle invitait à situer celle de don Juan à ce niveau d'héroïsme où la présomption humaine, secondée par le Diable, défie Dieu. Ainsi, dès 1809, le poème d'un Allemand, N. Vogt ("La Teinturerie", etc.) amalgamait les deux héros en un seul, successivement appelé des deux noms. Plus mémorablement, la tragédie "Don Juan et Faust" (1829) de son compatriote C. Grabbe confronte les deux personnages, dont elle fait deux rivaux se disputant la possession d'Anna. Celle-ci meurt étranglée par Faust qui, malgré ses artifices démoniaques, n'a pas su se faire aimer d'elle ; et l'Enfer engloutira pareillement Faust, puis don Juan. Mais, entre-temps, Grabbe aura donné le beau rôle à ce dernier, qui incarne la méditerranéenne joie de vivre, par opposition au sombre chercheur germanique, torturé autant que torturant. (Encyclopaedia universalis, article "Don Juan")>>.
- Faust <<incarne la figure du savant qui a vendu son âme au diable pour pénétrer les secrets de la nature et jouir de tous les plaisirs interdits… Par extension on a parlé du destin faustien de l’Allemagne nazie. Les potentialités apocalyptiques de la science contemporaine évoquent des craintes similaires. ("Faust, de la damnation médiévale à la consécration romantique", document du web)>>.
- <<Faust, c'est la jeunesse, c'est-à-dire le visage de Gérard Philippe et l'âge des désirs. Par la suite il a à choisir entre deux mondes, celui des grands rêves et de la réussite ou celui de l'amour, de la vie simple, de l'authenticité. Notre héros finit par renoncer à son destin de Faust, et gardant en prime sa jeunesse retrouvée, il part sur la route avec les forains. Ce dénouement désinvolte et l'ironie continuelle exercée sur ce sujet si grave devaient susciter en Allemagne bien des réserves. Par contre les marxistes devaient adopter ce film où le peuple incarne la santé et la révolte contre la fatalité, tandis que des critiques catholiques relevaient l'apologie du libre arbitre et le refus des ambitions orgueilleuses. Dans un dialogue pétillant d'intelligence, "La Beauté du Diable" offre une vision neuve, optimiste et un rien romantique, mais qui, comme le veut l'époque, démystifie les ambitions "faustiennes". ("Johann Wolfgang Goethe et Faust", document du web)>>.
- Michel Onfray, "Fééries anatomiques : généalogies du corps faustien" (éditions Grasset).
(c) Un désir faustien est une <ambition mégalomane>, un immense désir de puissance, de connaissance et de jouissance, au prix de la damnation. La vision faustienne veut "dépasser la condition humaine". Le dilemme faustien se présente ainsi : "la perte de l'âme ou de l'identité, en échange de la réussite sociale". Le prométhéisme (version grecque) est typiquement faustien (version allemande). La tentatrice et dangereuse beauté faustienne est la "beauté du Diable". Le désir romantique allemand de <Sturm und Drang> est littéralement faustien, puisqu'il est vécu par le jeune Goethe.
(d) Un pacte ou un marché faustien est un pacte avec le Diable. Encore mieux vaut accepter un contrat léonin !
(e) Voir Abandon. Demeure chaste et pure. Dorian. Du côté obscur de la force. Faust pervers. Fragmentation. Inquiétude. Interprétation tendancieuse. La Damnation de Faust. Marguerite. Pari faustien. Schéhérazade. Séducteur. Séduction. Séduction masculine. Séduction perverse.
* * *
Auteur.
Mis en ligne le Mardi 24 Juin 2008
Explorer les sites.
Consulter les blogs.
Nota Bene.
Les mots en gras sont tous définis dans le cédérom encyclopédique.