Gué


(a) Un gué est un lieu où l'on peut traverser un cours d'eau (comme l'Yzeron ou le ruisseau de Chorsin), à la marche ou à cheval, sans emprunter de pont ni de bac. Pour cela, un gué est un point important, recherché à la fois par les marchands (opportunité de franchissement aisé) et par les guerriers (point stratégique de contrôle).


- <<Le site commandait sans doute un passage à gué de la rivière sur une voie de communication très ancienne dont certains pensent qu'elle est antérieure à l'époque romaine et qui aurait été empruntée pour le commerce des métaux précieux. En 1407, un pont est attesté à Chantemille dans le testament de Pierre d'Espagnac, ancien curé de Saint-Laurent près Guéret, il en reste les piles qui supportent la passerelle actuelle. De vieilles cartes postales de la fin du 19ème siècle montrent encore une ou deux arches qui subsistaient alors du pont médiéval. ("Le Château de Chantemille", dans le département de la Creuse)>>.


(b) Un gué est favorisé par le relief dans lequel coule le ruisseau ou la rivière. Contrairement à la prise d'eau d'un béal, un gué ne sera jamais entre deux barres rocheuses qui canalisent l'écoulement de l'eau. Un gué se trouve plutôt entre deux pentes douces, sur lesquelles se situent les deux section du chemin qui traverse "à gué".


(c) L'aménagement d'un gué consiste à mettre la roche à nu pour éviter tout embourbement. Un gué est parfois équipé de grosses pierres espacées, pour faciliter le passage "à pied sec".


(d) Fontaines, gués et rochers semblent faire l'objet d'un culte dès le Néolithique. Comme une bifurcation ou un treyve, un gué est un lieu symbolique et son franchissement est un acte important.


- <<Comme la plupart des offrandes gauloises, ces objets étaient intentionnellement confiés à la terre (dépôt de figurines de Thorigné-en-Charnie, Mayenne, dernier quart du VIIe ou début du VIe siècle), offerts aux divinités des confluents ou des gués (tête de griffon, vers 600, et anse de bassin aux duellistes de Sainte-Gemmes-sur-Loire, Maine-et-Loire, et grande fibule a navicella de Nantes), ou dédiés à celles des zones humides ou des marais (situle ou seau de Donges ou dépôt de fibules a navicella et a sanguisuga avec rasoir villanovien de Saint-Pierre-du-Lac, Maine-et-Loire), mais le contexte précis de toutes ces découvertes anciennes reste incertain. (Musée Dobrée, Jacques Santrot, L'antique voyageuse de Nivillac, un bronze archaïque méditerranéen sur les rives de la Vilaine, Le contexte archéologique, document du web)>>.


(e) Dans l'Antiquité, on faisait des dons aux divinités des gués. C'est ainsi qu'on y a trouvé des épées ou des haches de bronze.


- <<A Balazuc [<baladunum>, "roche élevée", "roche citadelle", en 1077], le gué, un peu en aval du pont actuel, était utilisé au VIII e siècle av. J.-C. car une hache en bronze votive a été déposée dans la rivière à cette date. (Aimé Bocquet, "Balazuc et ses vieilles pierres")>>.


- <<Sur moins de vingt kilomètres, le goulet exigu de Vienne le long du Rhône est un passage obligé, incontournable entre le bassin de Lyon et le nord Dauphiné. A ce niveau du Couloir rhodanien, les hautes collines orientées est-ouest, dont les sédiments pliocènes et morainiques stériles forment le Plateau de Bonnevaux en bas Dauphiné et barrent toutes voies nord-sud . Au sortir du défilé de Vienne on atteint Saint-Clair-du-Rhône où la vallée s'élargit et surtout ses abords en rive gauche ont des reliefs adoucis qui ne font pas obstacle à la circulation. Au sud de cette barrière naturelle se développe d'est en ouest la large et fertile plaine de Bièvre-Valloire qui ouvre toutes les Alpes du Nord à la Cluse de Voreppe. Le Rhône, fleuve puissant et rapide, ne pouvait être traversé qu'un peu en amont du confluent avec le Gier, au gué de Grigny où les dragages ont amené au jour de très nombreux objets de bronze, datés d'une période où les offrandes aux eaux étaient fréquemment pratiquées, à l'âge du Bronze final ; il est évident que ce passage a existé de tout temps. (Aimé Bocquet, "Allobroges et Allobrogie", document du web)>>.


- <<Vu l'importance du culte des rivières chez les Celtes, cet établissement comportait probablement un endroit réservé aux Dieux. La traversée de la Moder présentait les mêmes difficultés dans les deux sens, on donc peut imaginer un tel abri sur les deux berges. Christianisés par la suite pour les besoins de la cause, on pourrait chercher là l'origine de l'église Saint Nicolas, et aussi celle de Saint Georges qui était placée sur une colline en face du gué. (Haguenau, Alsace, "Sur les traces du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle")>>.


(f) Les offrandes aux gués ne sont pas aussi surprenantes qu'il pourrait sembler au premier abord. Elles ressemblent à d'autres pratiques, dont certaines sont encore courantes.


- <<La pierre, la petite pierre, que les voyageurs jetaient autrefois aux carrefours, et qui s'ajoutait, jusqu'à former des cairns, au tas de marques pareilles que leurs prédécesseurs avaient jetées au même endroit, semble n'avoir eu d'autre fonction que d'affirmer un passage, surtout aux endroits où la route droite abordait des courbures ou des zigzags au-delà desquels rôdaient tous les dangers. On sait la hantise du passage chez les peuples anciens, qui sacralisaient par de nombreux rites cet instant fugitif où l'après succède à l'avant : où l'intérieur succède à l'extérieur, et vice versa, où l'âge mûr efface la jeunesse, où le printemps surgit de l'hiver, où la porte s'ouvre sur le monde, où la vie plonge dans la mort. (Danielle Porte, Sorbonne, "Alésia, citadelle jurassienne, la colline où soufflait l'esprit", Chapitre, A la recherche des Mandubiens fantômes)>>.


(g) Par la suite, les gués n'ont pas fait l'objet de la même Christianisation que les carrefours. Néanmoins, Vibraye, commune de la Sarthe, garde les vestiges de l'abbaye du Gué de Launay. On peut citer aussi Saint-Étienne-du-Gué-de-l'Isle (département des Côtes-d'Armor).


(h) Pour les voyageurs, la traversée à gué reste un moindre mal, à côté du fait de payer une taxe ou du danger des mariniers voleurs ou naufrageurs.


- <<Le seul chemin carrossable, de Fontaine et d'autres villages pour aller à Gray, passait sur le pont de la Tour. Pour s'exempter du droit de péage, on traversait la Vingeanne au gué de Rosières et, par des chemins vraiment impraticables, on gagnait Autrey et Gray. ("Historique de Saint-Seine-sur-Vingeanne")>>.


- <<La traversée à gué des rivières était particulièrement appréciée des pèlerins car l'avidité des bateliers était un des nombreux périls de leur route. La vallée de la Moder, marécageuse et parfois inondée, n'était pas toujours franchissable à gué, d'où la nécessité impérative d'un hébergement de part et d'autre de la rivière, ceci d'autant plus que ce passage se situe à une journée de marche entre Wissembourg et Strasbourg. On sait que jusque vers l'année 980, la sécurité du pèlerinage vers Compostelle s'accroît, et aussi sa renommée. A cette époque, l'hébergement s'organise dans les monastères des diverses régions que les pèlerins doivent traverser. Il en allait probablement de même dans la région de Haguenau. A l'heure actuelle, on ne peut faire que des hypothèses sur les premiers habitants du site, mais l'origine de l'agglomération est peut-être à chercher dans ces auberges qui accueillaient les voyageurs qui arrivaient au bord de la Moder, fatigués d'une journée de marche ou arrêtés par les crues. ("Sur les traces du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle")>>.


(i) En souvenir de la fuite de Io vers l'Asie, le Bosphore est le gué de la vache.


(j) Shakespeare témoigne de ce que les gués sont longtemps restés des lieux maléfiques :


- <<KENT, à l'entrée de la hutte. — Qui es-tu, toi qui grognes là dans la paille ? Sors.

Entre Edgar, vêtu avec le désordre d'un homme en démence.

EDGAR. — Arrière ! le noir démon me suit ! A travers l'aubépine hérissée souffle le vent glacial. Humph ! va donc te réchauffer sur un lit si froid.

LEAR. — Tu as donc tout donné à tes deux filles, que tu en es venu là ?

EDGAR. — Qui donne quelque chose au pauvre Tom ? Le noir démon l'a promené à travers feu et flamme, à travers gués et tourbillons, par les bourbiers et les fondrières ; il a placé des couteaux sous son oreiller, une hart sur son banc à l'église, a mis de la mort aux rats dans son potage ; il l'a rendu orgueilleux de cœur, et l'a fait chevaucher sur un trotteur bai, par des ponts larges de quatre pouces, à la poursuite de son ombre, prise pour un traître... Le ciel bénisse tes cinq sens !... Tom a froid. Oh ! doudi, doudi, doudi !... Le ciel te préserve des trombes, des astres néfastes et des maléfices !... Faites la charité au pauvre Tom que le noir démon tourmente. Tenez ! je pourrais l'attraper là, et là, et là, et là encore, et là ! (L'orage continue.)

(Shakespeare, "Le Roi Lear", Acte III, Scène IV)>>.


(k) Poursuivi par le spectre de Banquo, Macbeth découvre tout l'inconfort qu'il y aurait à rester au milieu du gué. Les crimes d'hier le poussent aux crimes d'aujourd'hui et à ceux de demain.


(l) Le gué dans la chanson populaire. Venu au manoir de la Bonaventure, situé au confluent du Loir et du ruisseau du Boulon, près duquel le gué de Loir est un carrefour de routes, Pierre de Ronsard aurait contribué à l'émergence du refrain "La Bonne Aventure au Gué", repris par Molière dans "Le Misanthrope".


(m) Toponymie celtique. Le nom gaulois pour désigner un gué est <ambo>. On le retrouve dans <Ambon>, le nom d'une paroisse, en Bretagne (dans l'actuel arrondissement de Vannes). <Ambo> a aussi donné Ambert (<ambe ritos>, le gué de la rivière, dans le Puy-de-Dôme, chez les Arvernes) voire Angérieux.


(n) Peuplement. Le nom du gué est aussi à l'origine du nom d'un peuple celtique de Gaule, les Ambarres, "cousins des Eduens". Ambérieux (Rhône), Ambérieu-en-Bugey (Ain), Ambutrix, Ambérieux-en-Dombes (Ain) appartiennent tous au pays des Ambarres. Au nord du Rhône, ils occupaient la rive est de la Saône. Pour la littérature, Honoré d'Urfé fait de Policandre le roi des Boïens et des Ambarres.


- <<Les Helvètes avaient déjà franchi les défilés et traversé le pays des Séquanes ; ils étaient parvenus chez les Héduens, et ravageaient leurs terres. Ceux-ci, ne pouvant se défendre ni protéger leurs biens, envoient une ambassade à César pour lui demander secours : «Ils s'étaient, de tout temps, assez bien conduits envers le peuple romain pour ne pas mériter que presque sous les yeux de notre armée leurs champs fussent dévastés, leurs enfants emmenés en esclavage, leurs villes prises d'assaut. En même temps les Ambarres, peuple ami des Héduens et de même souche, font savoir à César que leurs campagnes ont été ravagées, et qu'ils ont de la peine à défendre leurs villes des agressions de l'ennemi. Enfin des Allobroges qui avaient sur la rive droite du Rhône des villages et des propriétés cherchent un refuge auprès de César et lui exposent que, sauf le sol même, il ne leur reste plus rien. Ces faits décident César il n'attendra pas que les Helvètes soient arrivés en Saintonge après avoir consommé la ruine de nos alliés. (Jules César, "La Guerre des Gaules", Livre I)>>.


(o) Patronyme celtique. Ambigatus est un roi des Bituriges. Il est cité par Tite-Live, à propos d'une alliances entre Sénons, Arvernes, Eduens, Ambarres, Carnutes et Aulerques.


(p) Etymologie. Puisque la notion de "gué" se dit <ambo> en langue celtique, le mot <gué> n'est pas d'origine celtique. Apparu en 1080 dans "La Chanson de Roland", sous la forme <guez>, le mot vient du francique <wad> désignant un "endroit peu profond". Le verbe <guéer> date du début du XII ème siècle et l'adjectif <guéable> de 1160, sous la forme <gaable>. A la fin du XV ème siècle, Commynes écrit <guéble>. Les Guez de Balsac ou Guez de Balzac tiendraient leur nom d'un fief établi pour garder le passage d'un gué.


(q) Une fois n'est pas coutume, <gué> n'est donc pas d'origine latine. Le nom latin est le masculin <vadum, i> signifiant "gué", "endroit guéable", "bas-fond", "eau", "mer", "danger", "le fond de la mer, d'un puits, d'un cours d'eau". Cette racine latine peut se combiner à des radicaux d'autres origines. Ainsi, en Bourbonnais, à Arfeuilles, un toponyme comme <Guérande> (formé du latin <vadum>, "gué" et du gaulois <randa>, "limite") marque la fin (Fix) du pays des Ségusiaves. Mais ce n'est pas le cas partout, y compris à proximité de la Bretagne. Le nom de Guérande (pays du sel) évoque une frontière celtique. Mais la forme actuelle du nom n'est pas antique.


- <<À l'âge du fer terminal (La Tène) la presqu'ile guérandaise est à la frontière entre les Vénètes et les Namnètes. (Wikipédia, Guérande)>>.


- <<Formes anciennes du nom Guérande :

- Werran 854,

- Uuenran 8 juillet 857,

- Uuerran 10 juillet 865,

- Uuenrann 5 février 870,

- Guarranda et Guerrandioe 1070,

- Gerran 1112, 1114 et 1139,

- Guerrandia 1112,

- Varrandi 1178-1241,

- Garrande 1305,

- Guerrande 1311.

(Wikipédia, Guérande)>>.


(r) Voir Bifurcation. Courreau. Egarande. Gué d'Izeron. Gué de la Chaux. Gué des Planches. Guémené. Hache crétoise. Hache des dolmens. Mauvais lieux. Route grecque de l'étain.






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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Jeudi 10 Juillet 2008



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