Péjoratif


(a) Définition. L'adjectif <péjoratif, péjorative>, terme de 1784 dans Rivarol, signifie "pris en mauvaise part", "de mauvaise manière".


(b) Parent linguistique. La péjoration est le fait d'empirer ou de rendre pire un état ou une situation.


- <<La place de la noblesse dans la société n'était plus justifiée par son rôle militaire. Beaucoup de seigneurs végétant dans les campagnes faisaient figure de privilégiés, au sens moderne et péjoratif du terme, face aux bourgeois dont le rôle économique ne cessait de croître. (Encyclopaedia Universalis, Article "Ancien droit français")>>.


(c) La péjoration est aussi l'action mentale consistant à conférer un sens mauvais, une connotation négative à un terme. Le mot concerné est alors employé péjorativement. Le mot devient polysémique ou ambigu, avec deux acceptions de significations contraires.


- <<En dernière analyse, le génie d'Andersen est pessimiste, et certains contes atteignent à un désespoir profond, comme "L'Ombre" au titre éloquent. Il faut le souligner, pour manifester sans équivoque que la naïveté, au sens péjoratif du terme, et la fadeur ne sont pas les traits caractéristiques des "Contes" d'Andersen. (Encyclopaedia Universalis, Article "Hans Christian Andersen")>>.


(d) L'effet des connotations peut se mesurer sur un axe allant du mélioratif au péjoratif.


(e) Certains mots, comme <charité>, <manière>, <amour>, <sauvage>, <rhétorique>, <émulation>, <infini>, <dogme> ou <idéologie> sont passés ou portent simultanément une acception noble, laudative et un sens critique, péjoratif ou méprisant.


- <<- Dans la Bible, il y a aussi le fameux "Cantique des Cantiques", qui fait l'éloge de l'amour et de la passion.

- Il loue en effet l'amour conjugal, la fièvre amoureuse et même l'érotisme ! Par sa beauté littéraire, les sentiments

qu'il exalte, il subjugue : au XII ème siècle, c'est d'ailleurs le livre de l'Ancien Testament qui a le plus de succès (au XI°, c'était l'Apocalypse), ce qui dénote une certaine transformation de l'état d'esprit, en relation avec le développement de l'idéal courtois. Bien sûr, cela inquiète l'Eglise. Alors, pour mettre fin aux propos jugés dangereux et blasphématoires de ce beau texte, des théologiens orthodoxes vont trouver une parade en lui donnant une interprétation allégorique : la «bien-aimée» dont il est question dans le "Cantique des Cantiques", prétendent-ils, c'est... l'Eglise ! L'amour doit uniquement aller vers Dieu.

- Le mot «amour» est même utilisé, à ce moment-là, au sens péjoratif. La passion est vue comme destructrice, nocive...

- Oui. C'est l'une des différences considérables entre l'amour au Moyen Age et l'amour aujourd'hui. En ce temps-là, on faisait la distinction entre amor, qui indiquait la passion sauvage, violente, condamnable, et caritas, le bon, le bel amour, terme proprement chrétien qui s'est diffusé dans le vocabulaire du Moyen Age et signifiait le soin accordé au prochain, au pauvre, au malade (il sera par la suite terriblement dévalué, et prendra le sens de charité, d'aumône). (Dominique Simonet et alii, La plus belle histoire de l'amour, Seuil, Paris, 2003, page 65)>>.


- <<L'anglais <emulation> est péjoratif à l'époque élisabéthaine et il signifie tout simplement rivalité mimétique ; c'est le terme que Shakespeare utilise le plus pour désigner ce phénomène — avec «envie», bien entendu, qui figure aussi dans notre texte. Tel quel ou sous la forme adjectivale d'emulous, émulation apparaît sept fois dans Troylus et Cressida. Si l'on songe à la façon dont Shakespeare voit la rivalité mimétique, on comprend sans peine pourquoi il qualifie cette émulation de pâle et livide (pale and bloodless) : elle dévore insidieusement la substance de tout ce qu'elle touche et ne laisse après coup qu'une coquille vide. (René Girard, "Shakespeare, les feux de l'envie", page 203)>>.


(f) Un de ces retournements de valeur peut en illustrer d'autres.


- <<Freud affirme également l'existence d'un rapport entre l'art et l'infantilité ; toutefois, l'infantilité n'est pas prise ici dans un sens péjoratif, elle permet au contraire d'accéder à ce royaume idéal du plaisir dont l'art sait retrouver le chemin. «Cette euphorie à laquelle nous nous efforçons d'atteindre n'est rien d'autre que l'humeur d'un âge où notre activité physique s'exerçait à peu de frais, l'humeur de notre enfance, temps durant lequel nous ignorions le comique, étions incapables d'esprit et n'avions que faire de l'humour pour goûter la joie de vivre.» La fonction de l'art — Freud dit ici «l'esprit» — consiste à «rouvrir les sources de plaisir que les inhibitions avaient interdites», par suite de cette capitulation devant le principe de réalité que nous appelons éducation ou maturité. Freud emploie aussi l'expression «retrouver le rire perdu de l'enfance». Cette notion de l'art considéré comme tendant à retrouver l'enfance perdue exige une préparation philosophique. Elle ouvre la voie à une nouvelle expression, psychanalytique, de la vérité contenue dans la doctrine platonicienne de l'anamnesis. Dans le "Phèdre", l'une des plus belles études qui aient été faites sur la psychologie de la beauté, Platon, non seulement tient pour admise l'affinité existant entre l'amour de la beauté et la folie, mais il considère également que l'homme, en s'acharnant à la poursuite de la beauté, cherche à retrouver une vision perdue de la perfection. (Norman O. Brown, "Eros et Thanatos", Denoel, Paris, 1972, pages 83-84)>>.


(g) En art, les termes <gothique>, <maniérisme>, <baroque>,<rococo>, <pompier>, <impressionnisme> furent d'emblée péjoratifs, avant d'être repris, par ceux qui en étaient affublés, comme des enseignes glorieuses, à la manière de <Fronde>, de <Gueux de la mer>, de <groupuscule> ou de <Juif allemand>.


(h) Etymologie. L'adjectif latin <pejor, pejus> est le comparatif de l'adjectif <malus, mala, malum> qui signifie "mauvais", "de mauvais qualité", "contrefait", laid", "en mauvais état", "malade", "méchant", "pervers", "vicieux", "malhonnête", "mal pensant", "démagogue", "malin", "rusé", "espiègle", "malheureux", "pernicieux", "de mauvais augure".


(i) L'adverbe latin <pejus> est le comparatif de l'adverbe <male> signifiant "mal", "malheureusement", "de mauvaise manière", "mal à propos", "autrement qu'il ne faut", "à tort", "tristement", "cruellement".


(j) Dans le spectacle social, les enjeux de la péjoration sont considérables, pour l'acquisition de la distinction et pour la reproduction du capital social.


(k) Mépris et complicité. Dans le monde de la guerre, le but stratégique le plus courant est de tuer l'adversaire (soldat) voire les ennemis (civils, femmes, enfants, vieillards). En conséquence, l'emploi de termes péjoratifs n'est pas un hasard, ni un folklore gratuit. Il contribue au sentiment d'appartenance et à la construction préventive d'une forme d'unanimité belliqueuse. Les soldats doivent être complices avant de commettre des actes qu'un tribunal civil nommerait "crimes". Un dégât collatéral (ou interarmes du même camp) est une terribles méprise. Cette complicité entre soldats se fabrique pendant les "classes". On transforme une collection statistique en groupe puis en unité combattante, ce qui suppose un changement d'échelle et de point de vue.


- <<Le camp militaire est situé à l'écart de la collectivité pour éviter toute possibilité d'ingérence d'autorités rivales. Récompenses et punitions sont réparties selon le degré de soumission de la recrue. L'entraînement dure plusieurs semaines. Bien que son objet avoué soit de donner au futur soldat la maîtrise de la technique militaire, son but fondamental est d'abolir en lui toute trace d'individualité. Les heures passées sur le terrain de manœuvre sont moins destinées à lui apprendre à défiler de façon impec qu'à lui inculquer la discipline, à donner une forme visible à son intégration totale dans un mode organisationnel. Compagnies et sections marchent bientôt comme un seul homme, chacune d'elles obéissant strictement à l'autorité représentée par le sergent instructeur. Ce ne sont plus des groupes d'individus, mais des unités d'automates. Le véritable objet de cet entraînement est de réduire le fantassin à l'état de robot, d'éliminer en lui toute survivance du moi et, grâce à un temps d'instruction prolongé, de lui faire intérioriser l'acceptation de l'autorité militaire. Avant de transporter les hommes dans la zone de combat, les chefs prennent soin de définir la signification de leur action en la liant aux idéaux reconnus et aux objectifs supérieurs de la société. On répète au nouveau soldat que ceux qu'il va combattre sont les ennemis de sa patrie et qu'elle est en danger tant qu'ils ne sont pas exterminés. La situation est définie de façon telle que l'action la plus cruelle et la plus inhumaine paraît justifiée. Dans le cas de la guerre du Vietnam, il existait un élément supplémentaire qui facilitait cette action : l'ennemi était d'une autre race. On appelait couramment les Vietnamiens des «gooks» [Gook : en argot américain, ce terme très péjoratif désignait à l'origine le soldat coréen et par extension tout Asiatique. A rapprocher des "nha-qués", "chintoques" et "macaques" employés par les soldats français] comme s'il s'agissait de sous-hommes qui, à ce titre, ne méritaient aucune pitié. A l'intérieur de la zone des combats, de nouvelles réalités s'imposent : le soldat affronte maintenant un adversaire qui a subi un entraînement et un endoctrinement similaires. Tout acte d'insubordination constitue un danger pour l'unité car il diminue l'efficacité de celle-ci dans l'action et l'expose à la défaite. Aussi le maintien de la discipline devient-il une question de vie ou de mort et l'homme de troupe n'a guère d'autre choix que d'obéir. Dans l'accomplissement routinier de ses devoirs, le soldat n'éprouve pas d'inhibitions personnelles lui interdisant de tuer, blesser ou mutiler des êtres humains, qu'ils soient civils ou militaires. Par son action directe, des hommes, des femmes, des enfants subissent l'angoisse et la mort, mais il ne voit aucun lien entre ces événements et lui. Il (Stanley Milgram, "Soumission à l'autorité", Calmann-Lévy, 1974, pages 223-224)>>.


(l) C'est un abus de l'usage de mots positivement connotés qui aboutit à leur donner, aussi, une valeur négative. De même, les prouesses de Roland, dans "La Chanson de Roland" puis dans le roman de chevalerie ont fini par onner un aspect parodique au genre, avec L'Arioste puis Cervantès. L'aspect péjoratif du mot <développement> vient de l'emploi hypocrite de l'adjectif <développé>, dans l'expression <pays développés>, pour désigner les pays ayant une économie en croissance sans trop chercher à creuser ce que cela voulait dire. A dire vrai, le développement et le développement durable restent à inventer.


- <<Ce qui fut appelé «développement» au cours de la seconde moitié du vingtième siècle se résume à une qualité : l'accès à l'abondance pétrolière bon marché pour produire du travail mécanique. C'est pourquoi les Etats-Unis furent et demeurent le premier des «pays développés». Pendant la majeure partie de ce dernier siècle, ils possédèrent, avant et plus que tout autre, cet accès au pétrole sur leur territoire et par l'intermédiaire de leurs compagnies transnationales. Mais les temps changent. Découvertes en chute, offre stagnante, demande croissante, guerres pour l'accès. Telle est la formule de la déplétion pétrolière qui s'annonce. Le choix des pays industrialisés est binaire : ou bien ils décident leur sevrage immédiat et rigoureux, ou bien ils continuent leur addiction par la force. La première alternative est la seule manière de sauvegarder la solidarité, la démocratie et la paix, mais nous avons choisi la seconde : la guerre (Irak, Afghanistan, Darfour…). (Yves Cochet, "La fin du monde tel que nous le connaissons", in Actu-Environnement.com - 30 mai 2008)>>.


(m) Voir Bougre. Capitaine. Dépréciation verbale. Dépréciation. Ébloui. Faire de la sémantique. Gabelou. Hiérarchies des travaux agricoles. Manichéisme. Maniérisme. Machiavélisme. Pathos. Paraphrase. Tourbe. Vagin. Vision cognitive du développement. Vision économique du développement.





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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Jeudi 26 Juin 2008



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