Séduction féminine


(a) Contrairement à la séduction masculine (principalement sur les enfants) qui participe à la domination masculine (toute domination est une forme de perversion et réciproquement), la séduction féminine est une stratégie de survie sur les marchés d'esclaves ou d'enchère sur le marché matrimonial (les échanges de femmes, entre hommes).


- << Mais en Troylus je vois mille fois plus

Que dans le miroir des éloges de Pandarus ;

Et pourtant je résiste. Les femmes sont des anges quand on les courtise.

Chose conquise est perdue ; l'âme du plaisir réside dans la poursuite.

Femme aimée ne sait rien qui ne sait pas ceci :

A l'objet non encore gagné les hommes donnent plus que son prix.

Celle-là n'est pas née qui a pu trouver

Un amour satisfait aussi délicieux que lorsque le désir implorait.

Le livre de l'amour m'enseigne ce précepte :

«Jouissance est domination ; résistance, prière.»

Même si mon cœur porte un amour vigoureux,

Rien de cela ne doit paraître dans mes yeux.

(Shakespeare, "Troylus et Cressida", Acte I, scène 2, 289-300)

Cressida ne s'ouvre pas à son oncle du désir qui est le sien, car elle a sagement décidé de ne point céder à la tentation. Elle manque d'expérience, mais elle est intelligente et comprend d'instinct les contraintes qu'une femme doit s'imposer si elle veut survivre dans la jungle de la stratégie érotique. La stratégie veut qu'une femme avisée se refuse à son amant ; la sagesse lui dicte de prendre en compte la nature mimétique du désir masculin. Cressida fait de manière consciente ce qu'Olivia, dans la Nuit des Rois, fait, elle, spontanément, écœurée qu'elle est par la passion d'Orsino. En refusant de désirer ouvertement Troïlus, Cressida enflamme davantage encore le désir de celui-ci et se désigne elle-même (et non lui) comme objet désirable. (René Girard, "Shakespeare, les feux de l'envie", page 156)>>.


(b) La séduction féminine est, pour l'objet sexuel, un moyen de durer. La femme, dont l'identité dynamique est niée par l'exclusion de la femme, utilise ses (ch)armes pour ne pas être jetée, abandonnée ou mise à mort après la consommation. Shéhérazade n'a-t-elle pas tenu Mille et Une Nuits auprès du cruel sultan Shahriyar ? La belle et sage fille du vizir réussi même à devenir la reine et l'épouse du sultan, après lui avoir donné trois fils.


(c) La séduction féminine est la recherche d'un degré de liberté ou d'une marge de manœuvre dans un système de domination. Elle a pour effet secondaire d'introduire la concurrence entre les femmes.


(d) Analogie stratégique. Dans une société de domination féodale, les marchands et les financiers, exclus des signes de l'appartenance et des symboles du pouvoir, sauront utiliser cette stratégie de séduction par les biens de luxe. Ils en récolteront, comme les femmes, l'implacable concurrence, mais sur les marchés.


- <<Constance Pillerault était la première demoiselle d'un magasin de nouveautés nommé le Petit-Matelot, le premier des magasins qui depuis se sont établis dans Paris avec plus ou moins d'enseignes peintes, banderoles flottantes, montres pleines de châles en balançoire, cravates arrangées comme des châteaux de cartes, et mille autres séductions commerciales, prix fixes, bandelettes, affiches, illusions et effets d'optique portés à un tel degré de perfectionnement que les devantures de boutiques sont devenues des poèmes commerciaux. Le bas prix de tous les objets dits Nouveautés qui se trouvaient au Petit-Matelot lui donna une vogue inouïe dans l'endroit de Paris le moins favorable à la vogue et au commerce. (Honoré de Balzac, "Grandeur et décadence de César Birotteau", 1837, Partie I, Chapitre II, Antécédents de César Birotteau)>>.


- <<Dans le salon, il faisait très chaud. Les clientes, qui s'y étouffaient, avaient des visages pâles aux yeux luisants. On eût dit que toutes les séductions des magasins aboutissaient à cette tentation suprême, que c'était là l'alcôve reculée de la chute, le coin de perdition où les plus fortes succombaient. Les mains s'enfonçaient parmi les pièces débordantes, et elles en gardaient un tremblement d'ivresse. (Emile Zola, "Au Bonheur des dames", 1883, Chapitre IX)>>.


(e) Pierre Bourdieu note que les femmes qui interviennent dans les média ou dans un débat public subissent une "minoration" qui "s'exerce avec l'innocence parfaite de l'inconscience". La séduction est une arme de défense, qui ne supprime pas la domination masculine. Au contraire, elle lui donne sa justification :


- <<Cette sorte de déni d'existence les oblige souvent à recourir, pour s'imposer, aux armes des faibles, qui renforcent les stéréotypes : l'éclat voué à apparaître comme caprice sans justification ou exhibition immédiatement qualifiée d'hystérique ; la séduction qui, dans la mesure où elle repose sur une forme de reconnaissance de la domination, est bien faite pour renforcer la relation établie de domination symbolique. (Pierre Bourdieu, La domination masculine, page 66)>>.


(f) C'est dans un tel contexte, de conflit et de surenchère entre la domination et la séduction, que l'acte sexuel est perçu comme une prise de possession du corps de la femme.


- <<Presque toutes les femmes parlent bien sur l'amour : c'est la grande affaire de leur vie ; elles y appliquent tout leur esprit d'analyse et cette finesse d'aperçus dont la nature les a douées pour les dédommager de la force. Mais comme elles ont un intérêt immédiat, elles ne sauraient être impartiales. Plus elles ont de pureté d'âme, plus elles sont portées à mettre aux liaisons de ce genre une importance, je ne dirai pas, pour ne scandaliser personne, exagérée, mais cependant en contraste avec l'état nécessaire de la société. Je crois bien que Julie, lorsqu'il s'agissait d'elle-même, n'était guère plus désintéressée qu'une autre ; mais elle reconnaissait au moins qu'elle était injuste, et elle en convenait. Elle savait que ce penchant impérieux, l'état naturel d'un sexe, n'est que la fièvre de l'autre ; elle comprenait et avouait que les femmes qui se sont données et les hommes qui ont obtenu sont dans une position précisément inverse. Ce n'est qu'à l'époque de ce qu'on a nommé leur défaite, que les femmes commencent à avoir un but précis, celui de conserver l'amant pour lequel elles ont fait ce qui doit leur sembler un grand sacrifice. Les hommes, au contraire, à cette même époque, cessent d'avoir un but : ce qui en était un pour eux leur devient un lien. Il n'est pas étonnant que deux individus placés dans des relations aussi inégales arrivent rapidement à ne plus s'entendre ; c'est pour cela que le mariage est une chose admirable, parce qu'au lieu d'un but qui n'existe plus, il introduit des intérêts communs qui existent toujours. Julie détestait la séduction ; elle pensait à juste titre que les ruses, les calculs, les mensonges qu'elle exige dépravent tout autant que des mensonges, des calculs et des ruses employés pour servir tout autre genre d'égoïsme ; mais, partout où elle apercevait la bonne foi, elle excusait l'inconstance, parce qu'elle la savait inévitable, et qu'en prodiguant des noms odieux aux lois de la nature, on ne parvient pas à les éluder. Julie parlait donc sur l'amour avec toute la délicatesse et la grâce d'une femme, mais avec le sens et la réflexion d'un homme. Je l'ai vue plus d'une fois entre deux amants, confidente de leurs peines mutuelles, consolant, avec une sympathie adroite, la femme qui s'apercevait qu'on ne l'aimait plus, indiquant à l'homme le moyen de causer le moins de douleur possible, et leur faisant ainsi du bien à tous deux. (Benjamin Constant, Lettre à Madame Lindsay)>>.


(g) Références littéraires :


- <<- Les femmes ne sont pas faites pour séduire, dit-il.

- Elles sont faites pour quoi ?

- Pour la même chose que nous : essayer de rendre le monde un peu plus vivable...

(Jacques Poulin, "La Tournée d'Automne", Actes Sud, 1993)>>.


- <<Après le spectacle, Lucien revenait les yeux baissés, ne regardant point dans les rues alors meublées de séductions vivantes. Peut-être lui arriva-t-il quelques-unes de ces aventures d'une excessive simplicité, mais qui prennent une place immense dans les jeunes imaginations timorées. Effrayé de la baisse de ses capitaux, un jour où il compta ses écus, Lucien eut des sueurs froides en songeant à la nécessité de s'enquérir d'un libraire et de chercher quelques travaux payés. (Honoré de Balzac, "Illusions perdues", 1837, Partie II, Un grand homme de province à Paris)>>.


- <<Vous êtes dans un moment de la vie où il faut choisir bien ! Soyez de votre parti. Surtout, ajouta-t-elle en riant, quand il triomphe. Je fus vivement touché par ces paroles où la profondeur politique se cachait sous la chaleur de l'affection, alliance qui donne aux femmes un si grand pouvoir de séduction; elles savent toutes prêter aux raisonnements les plus aigus les formes du sentiment. (Honoré de Balzac, "Le Lys dans la vallée", 1836, Partie II, Les premières amours)>>.


- <<Milady se voyant devinée s'enfonça les ongles dans la chair pour dompter tout mouvement qui eût pu donner à sa physionomie une signification quelconque, autre que celle de l'angoisse. Lord de Winter continua : "L'officier qui commande seul ici en mon absence, vous l'avez vu, donc vous le connaissez déjà, sait, comme vous voyez, observer une consigne, car vous n'êtes pas, je vous connais, venue de Portsmouth ici sans avoir essayé de le faire parler. Qu'en dites-vous ? Une statue de marbre eût-elle été plus impassible et plus muette ? Vous avez déjà essayé le pouvoir de vos séductions sur bien des hommes, et malheureusement vous avez toujours réussi ; mais essayez sur celui-là, pardieu ! si vous en venez à bout, je vous déclare le démon lui-même." Il alla vers la porte et l'ouvrit brusquement. "Qu'on appelle M. Felton, dit-il. Attendez encore un instant, et je vais vous recommander à lui." Il se fit entre ces deux personnages un silence étrange, pendant lequel on entendit le bruit d'un pas lent et régulier qui se rapprochait; bientôt, dans l'ombre du corridor, on vit se dessiner une forme humaine, et le jeune lieutenant avec lequel nous avons déjà fait connaissance s'arrêta sur le seuil, attendant les ordres du baron. "Entrez, mon cher John, dit Lord de Winter, entrez et fermez la porte." Le jeune officier entra. "Maintenant, dit le baron, regardez cette femme; elle est jeune, elle est belle, elle a toutes les séductions de la terre, eh bien ! c'est un monstre qui, à vingt-cinq ans, s'est rendu coupable d'autant de crimes que vous pouvez en lire en un an dans les archives de nos tribunaux ; sa voix prévient en sa faveur, sa beauté sert d'appât aux victimes, son corps même paye ce qu'elle a promis, c'est une justice à lui rendre ; elle essayera de vous séduire, peut-être même essayera-t-elle de vous tuer. Je vous ai tiré de la misère, Felton, je vous ai fait nommer lieutenant, je vous ai sauvé la vie une fois, vous savez à quelle occasion ; je suis pour vous non seulement un protecteur, mais un ami ; non seulement un bienfaiteur, mais un père ; cette femme est revenue en Angleterre afin de conspirer contre ma vie ; je tiens ce serpent entre mes mains ; eh bien ! je vous fais appeler et vous dis : Ami Felton, John, mon enfant, garde-moi et surtout garde-toi de cette femme ; jure sur ton salut de la conserver pour le châtiment qu'elle a mérité. John Felton, je me fie à ta parole ; John Felton, je crois à ta loyauté. (Alexandre Dumas père, "Les Trois mousquetaires", 1844, Chapitre 50, Causerie d'un frère avec sa soeur)>>.


- <<Jamais il n'avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu'elle avait portées, les gens qu'elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n'avait pas de limites. (Gustave Flaubert, "L'Education sentimentale", 1869, Partie I, Chapitre I)>>.


- <<Ce qui suivit acheva d'empoigner la salle. Diane s'en était allée, furieuse. Tout de suite, assise sur un banc de mousse, Vénus appela Mars auprès d'elle. Jamais encore on n'avait osé une scène de séduction plus chaude. Nana, les bras au cou de Prullière, l'attirait, lorsque Fontan, se livrant à une mimique de fureur cocasse, exagérant le masque d'un époux outragé qui surprend sa femme en flagrant délit, parut dans le fond de la grotte. Il tenait le fameux filet aux mailles de fer. Un instant, il le balança, pareil à un pêcheur qui va jeter un coup d'épervier ; et, par un truc ingénieux, Vénus et Mars furent pris au piège, le filet les enveloppa, les immobilisa dans leur posture d'amants heureux. (Emile Zola, "Nana", 1880, Chapitre I)>>.


(h) Voir Carmen. Complicité des dominés. Consécration symbolique. Construction sociale des corps. Construction symbolique. Désir mimétique. Différence. Division sexuelle du travail. Eva Prima Pandora. Homosexualité de Laïos. Hospitalité sexuelle. Méphistophélès. La beauté du diable. Pandore. Pouvoir symbolique. Près des remparts de Séville. Rivalité homosexuelle. Rivalité homosexuelle féminine. Séducteur.


(i) Lire "Domination Masculine". "Inclusion Exclusion".







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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Mardi 24 Juin 2008



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