Emergence du mythe


(a) L'émergence historique du mythe est évoquée par Claude Lévi-Strauss et par René Girard, dans des termes différents.


- <<S'en tenir à une définition minimale du mythe présente par ailleurs de nouveaux inconvénients. Parmi tous les récits remplissant la condition de fournir un modèle explicatif à ce qui échappe à la rationalité scientifique, tous n'ont pas donné naissance à un mythe. Si Dracula a fixé le mythe du vampire, ce n'est pas le cas pour la nouvelle de Sheridan Le Fanu intitulée «Carmilla», qui l'a précédé de quelques années. Elle influença pourtant Bram Stoker au point que l'on en retrouve des échos troublants dans "Dracula". Les assertions de Lacan concernant le mythe, prolongeant l'analyse de Lévi-Strauss, permettent de repérer plus strictement les conditions d'émergence du mythe moderne. «Le savoir en place de vérité, indique Lacan dans "L'Envers de la psychanalyse", c'est le mythe» (Lacan 1969-70, 126). Il ajoute : «Je ne saurai là-dessus que vous recommander, dans l'"Anthropologie structurale", recueil d'articles de mon ami Claude Lévi-Strauss, de vous reporter au chapitre onze, "La structure des mythes". Vous y verrez évidemment énoncer la même chose que ce que je vous dis à savoir que la vérité ne se supporte que d'un mi-dire […] Bref, conclut-il, le mi-dire est la loi interne de toute espèce d'énonciation de la vérité, et ce qui l'incarne le mieux, c'est le mythe». La vérité est sœur de jouissance, indique-t-il dans le même séminaire (Lacan 1969-70, 76). Il souligne par ailleurs que le mythe d'Oedipe est un «énoncé de l'impossible». Le mythe, qui se supporte de la fiction, constitue cette écriture particulière, sur le mode du mi-dire, de la vérité. Celle-ci touche à l'inconscient ; elle concerne le réel de la jouissance. (Sophie Marret, Université de Rennes II, "L'inconscient aux sources du mythe moderne", in Cairn, "Etudes Anglaises")>>.


(b) Le fondateur de la théorie mimétique insiste sur la diabolisation de l'un, comme condition d'émergence de l'unanimité des autres. Le mythe a une fonction apotropaïque.


(c) Deux formes plus récentes du mythe sont le mythe littéraire (Faust, Don Juan, Robinson Crusoé) et le mythe urbain.


(d) Références bibliographiques :


- S. Moussa, 1994, «Une peur vaincue : L'émergence du mythe bédouin chez les voyageurs français du XVIIIème siècle», in J. Berchtold et M. Porret (éds), "La peur au XVIIIème siècle. Discours, représentations, pratiques", Genève, Droz, pages 193-212.


- <<La présente communication se penchera sur le problème des «origines» du mythe de la malédiction littéraire. On verra d'abord brièvement les principales thèses qui ont été proposées sur le sujet par différents chercheurs depuis une trentaine d'années, avant de présenter une nouvelle «histoire» de ce mythe. On s'intéressera à la fois aux topiques historiques qui ont donné lieu à l'émergence du mythe en France vers 1770, ainsi qu'aux conditions de son émergence et de sa perpétuation au XIXe siècle. (Pascal Brissette, Université McGill, Montréal, "La malédiction littéraire : Notes sur la constitution du mythe", in SFS Birmingham 2007 abstracts : Les poètes maudits)>>.


- Sébastien Hubier, "Lolitas Et Petites Madones Perverses. Emergence D'un Mythe Littéraire", éditions de l'université de Dijon, 2007.


- <<Grâce au rapprochement d'une centaine de fictions - d'auteurs célèbres (Cleland, Louis, Proust, Svevo, Pirandello, Nabokov, Matzneff, Giardinelli) ou méconnus en France (Heinz von Lichberg, Ian McEwan, Pia Pera, Emily Prager) - cet ouvrage se propose de retracer l'émergence du mythe littéraire de ce que Joyce a nommé la "petite madone perverse" et de ses avatars : nymphettes, femmes-enfants ou lolitas. Né, avec les Lumières, de débris anciens, le type romanesque de la jeune fille délurée, friponne et lascive subit une éclipse partielle à l'époque romantique avant que de connaître un nouvel âge d'or depuis la décadence du naturalisme. La postmodernité consacre son triomphe et en fait un emblème de la culture de masse, une icône de l'érotisme et de la pornographie autant qu'une figure centrale de la littérature savante. Tour à tour funeste, énigmatique et salvatrice, l'adolescente dégourdie est toujours désirable, non seulement parce qu'elle est fraîche et ravissante, mais aussi parce qu'elle détient - aux yeux du nympholepte qui en est entiché et du lecteur qui épouse son regard énamouré - le pouvoir fabuleux de ressusciter le passé et d'apaiser la crainte de l'avenir. (Présentation de l'ouvrage de Sébastien Hubier)>>.


(e) Des personnages historiques sont l'objet d'une mythification.


- <<Dès lors, l'homme ne pouvait échapper à son propre pouvoir mythificateur comme en témoigne l'émergence du mythe du Sauveur et la multiplicité des cas présentés par notre seul imaginaire national, attestant de cette part d'enchantement toujours présent dans nos sociétés. De Jeanne d'Arc à Napoléon, à Philippe Pétain et à Charles de Gaulle en passant par Clémenceau, Doumergue ou Poincaré, une même constellation d'images oniriques, de résonances et de significations semblables s'est ainsi formée autour d'un personnage privilégié. A travers les portraits de ces nombreux Hommes providentiels, les frontières entre histoire réelle et domaine de l'imaginaire, spontanéité créatrice et construction intentionnelle sont alors mouvantes, tandis que se croisent et s'enchevêtrent les aspirations et les exigences les plus diverses. Marqué, conditionné par le contexte événementiel dans lequel il se développe, l'appel au Sauveur, fréquent dans notre histoire, intervient par ailleurs lorsque la société est en crise de légitimité ou d'identité, dans un climat d'incertitude, de vacuité ou encore d'angoisse, attestant ainsi d'un besoin de toute une population de se rattacher, de croire encore et toujours à ce mythe, créateur de réalité sociale, et éclaire également la nature du pouvoir et des institutions politiques sur lesquelles il s'appuie, tout en renforçant le prestige des idées et des valeurs qui fondent la culture politique. Mais comme toute chose, il se prête par ailleurs à des abus, des manipulations, sans pour autant perdre de sa signification et cesser d'agir dans l'imaginaire politique... (Oboulo.com, Marine Delahaye, "Le mythe du sauveur : quels aspects et enjeux pour la société française ?", document du web, 8 décembre 2004)>>.


(f) Dans son "Histoire du Forez, le Montbrisonnais Auguste Bernard note certaines étapes de la construction d'un mythe, chez les Catholiques, proches de la Ligue, pendant les Guerres de Religion. Il s'agit de la destruction, lors d'un orage, de la "tour du baron des Adrets". Ceci se passait en 1582, l'année où Henri III interdisait les blasphèmes. Vingt ans plus tôt, cette tour du vieux château de Montbrison avait été le sinistre théâtre des sauteries de Montbrison, organisées par François de Beaumont, après sa prise de la ville, en juillet 1562. Au début, on se souvenait d'avoir dû déblayer les débris. Peu à peu, le mythe constitué, on a affirmé que la destruction de la tour avait été totale.


- <<De la Mure s'élevant sur ce sujet jusqu'à la prose poétique, dit «que la mesme tour de laquelle ces sanguinaires hérétiques firent précipiter en bas plusieurs catholiques, et les recevoieut en tombant sur des pointes de hallebarde (ceci est probablement pris au figuré), fut comme en horreur et exécration d'un si inouï forfait, qui couvrit d'opprobre et d'ignominie éternelle ses auteurs, foudroyée et renversée à fleur de rocher par le feu du ciel quelque temps après, et fut choisie par ce feu vengeur, entre les autres tours qui rendoient alors si fort agréable le château de Montbrison, comme pour l'expiation de la barbare cruauté qui y avoir été commise ; d'où vient la devise qu'on en fit après, et qu'on mit autour des armoiries de cette ville : Ad sapiandam hostile scelus (pour expier le crime des ennemis).» Nous donnons ici, comme plus authentique, l'extrait du procès-verbal rédigé le lendemain de l'accident. «Appert que le vendredy, dernier du mois d'aoust de ladicte année (1582), jour praecedent ledict verbail, sur les trois heures apres midy, fust renversée à fleur de rocher, par le foudre et feu du ciel, la tour du donjeon de Montbrison, qui estoit restée entiere des ruines du chasteau et forteresse dudict donjeon, de l'eschauguete (guérite) de laquelle on voyoit toute la plaine et la plus grande part des montagnes du pays ; et par sa ruine attira à soy l'encogneure des prisons royalles ayants regard sur ladicte tour, et enfônsa plusieurs maisons et caves voisines.» On voit par là que les choses ne se passèrent pas aussi paisiblement que le dit Fodéré. Ce lieu jouait de malheur : trente ans après, un autre coup de tonnerre vint bouleverser ces ruines, et mit le feu, au palais de justice, qui était placé dans les bâtiments du château, sur quoi un bel esprit du temps fit ce quatrain :

«Ne fust-ce pas un plaisant jeu,

Quand l'aultre jour dame Justice,

Pour avoir trop mangé d'espices,

Se mit tout le palais en feu».

Puisque nous voilà sur ce sujet, nous devons dire que c'est à tort qu'une mauvaise gravure faite quelques années après le saccagement de la ville de Montbrison par des Adrets, représente le donjon rond et couvert en forme de dôme. Le dessein que nous en avons vu à la Bibliothèque (Estampes), à Paris, lui donne la forme carrée ; avec un toit en tuiles creuses. Ce dessin porte la date de 1460. «En conseguence de l'edit faict sur la requisition des estats généraux de Blois, fut faicte à Montbrison, le 16 septembre 1582, la proclamation du rachat du domaine de Forez.» Cette mesure était sans importance alors, car le trésor se trouvait à sec. Insensiblement la Ligue empiète sur le pouvoir du roi et engage celui-ci dans un défilé, où il ne lui est plus possible que de faire des fautes. L'union prétendue sainte force Henri à se battre contre les protestants, qui étaient les moins à craindre. Le 5 avril 1585 furent publiées à Montbrison les lettres du roi portant ordre à tous les gentilshommes de sa maison demeurant en Forez de s'acheminer près de sa personne, et aux hommes de ses ordonnances de se rendre dans leurs compagnies, parce que les protestants, qui se voyaient menacés, avaient repris les armes. Le 18 juillet de la même année, il fut publié un édit contre eux. Dans ces circonstances difficiles, il fut tenu une assemblée des états du Forez à Montbrison le 11 avril. Le secrétain et le maître de choeur de l'église Notre-Dame de Montbrison se présentèrent pour le clergé, et tous les membres présents firent déclaration de vouloir vivre et mourir en la religion catholique, apostolique et romaine, service et obeyssance de leur roy.» C'était le serment d'exclusion de Henri IV. Les catholiques voyant Henri III sans enfants, commençaient à redouter la domination du protestant et s'engageaient par serment à lui résister. (Auguste Bernard, "Histoire du Forez", Tome II, Chapitre XVII, "Nouveau caractère des guerres religieuses. La

Ligue")>>.


(g) De fait, le mythe est souvent en contradiction avec les lois de la Physique, en particulier celles de la chute des corps. Dans ses mémoires, le docte médecin Claude de La Roue certifiait qu'avant les "sauteries", lors de l'entrée des Huguenots dans la ville, le cours du Soleil avait été abrégé pour épargner quelques Catholiques. La Roue ne le savait pas encore, mais le mouvement de la Terre autour du Soleil est le processus réel qui explique l'apparence de la course du Soleil. Et, après Galilée, il faudra attendre Isaac Newton pour faire le lien théorique de cette course avec la chute des pommes. Reste à savoir s'il y a universalité de la chute des corps, à la fois dans le temps (du XVI ème siècle au XXI ème siècle) et dans l'espace (à la tour de Pise, à la tour de Montbrison et même, aux trois tours, 1-2-7, du World Trade Center de Manhattan).


(h) Dans un contexte de guerre civile ou de lutte intense pour le pouvoir économique mondial, le phénomène extraordinaire (par son horreur et/ou par son anormalité physique) permet de distinguer les protagonistes. Par ailleurs, en frères ennemis ou doubles mimétiques qu'ils sont, les partisans se livrent à des actes identiques (les "sauteries" d'Annonay aux dépens des Protestants de cette ville).


(i) Dans l'émergence du mythe, de la légende et de la rumeur, il y a une symétrie du prodige (épreuve glorifiante) et de la diabolisation.


(j) Voir Genèse du mythe. Honoré d'Urfé. Jean Marie de La Mure. Josué. Poncenat. Te Deum. Tour de la Barrière.


(k) Lire "Robinson Crusoé". "Inclusion Exclusion





* * *


Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Lundi 2 Juin 2008



Explorer les sites.

Réseau d'Activités à Distance

A partir d'un mot

Le Forez

Roche-en-Forez



Consulter les blogs.

Connaître le monde

Géologie politique


Nota Bene.

Les mots en gras sont tous définis dans le cédérom encyclopédique.