Adamas


(a) Inspiration. Selon "L'Astrée", la pastorale forézienne d'Honoré d'Urfé, le nom Adamas signifie "diamant". L'auteur s'est inspiré du personnage réel de Jean Papon, jurisconsulte, fidèle et précieux collaborateur de son père, Jacques I er d'Urfé, puis de son frère aîné, Anne d'Urfé, bailli du Forez. C'est un homme solide et précieux. C'est aussi un théoricien de l'amour. Son rôle est l'homologue de celui de la magicienne Félicia, dans "La Diana" de Jorge de Montemayor, dont s'inspire d'Urfé.


- <<Si la beauté estoit la source de l'amour, il s'ensuivroit que toutes les belles personnes seroient aimées de tous et que les autres ne le seraient de personne. C'est pourquoi nous voyons que non point les plus beaux et les plus dignes, mais ceux là seulement qui reviennent le plus à nostre humeur, et avec lesquels nous avons le plus de conformité, sont ceux que nous aimons le plus (Adamas, in "L'Astrée", III, 5)>>.


(b) Localisation. Le druide Adamas réside à Goutelas. Sans être en altitude, comme Saint-Bonnet-le-Courreau, ce château est en balcon sur la plaine du Forez.


- <<A ce mot, ils furent interrompus par Adamas, qui convia Daphnide et le reste de la compagnie d'aller au promenoir, puisque la chaleur du jour étant abattue l'on aurait plus de plaisir dehors que dedans la maison. Et parce que la plus grande partie était bien-aise de prendre un peu d'air, et que la beauté du lieu les y conviait, toute la troupe s'y achemina, les uns chantant et les autres discourant de ce qui leur était le plus agréable. (Partie III)>>.


(c) Identité. Frère de Belizar, Adamas est l'oncle de la nymphe Léonide. Le vénérable Adamas est un fidèle de la reine Amasis. Fils de Pelion, Adamas est un lointain parent de Céladon. Il a une très grande influence sur son protégé.


- <<Les traits qui caractérisent les personnages sont si limités et si généraux qu'ils posent parfois des problèmes d'identité. Un matin, Silvandre trouve sur lui une lettre dont la signature est : «le plus infortuné comme le plus fidelle de vos serviteurs. O ! s'escria-t'il, il n'en faut plus douter, c'est moy sans doute qui ay fait ceste lettre». L'épître est de Céladon, mais la fidélité et l'infortune sont aussi le lot de Silvandre, si bien qu'il se reconnaît dans le discours. En plus, les personnages paraissent dépourvus d'autonomie. Lorsque Céladon se dit désespéré parce qu'Astrée est irritée contre lui, c'est Léonide qui le rassure en lui expliquant que le tombeau qu'Astrée a voulu dresser à sa mémoire est une «declaration d'amitié» (II, 10, p. 396). Lorsqu'il ne sait comment se rapprocher d'Astrée, c'est Adamas qui trouve la solution en lui proposant de se déguiser en fille. Dans "L'Astrée", les personnages se réduisent au rôle qui leur est échu et exécutent un ballet dont ils sont rarement les chorégraphes. La critique a reconnu dans les figures de ce ballet nombre de «traits traditionnels» inspirés du code de la «fin'amor». La «loi supérieure du donnoi» qui repose sur une relation de vasselage de l'amant à sa maîtresse, l'amour qui s'exprime, sinon se réalise en dehors du mariage, la nécessité de la séparation des amants qui permet d'exalter l'amour et de le transfigurer à travers une ascèse, voire la fatalité qui soumet les amants à leur passion sont autant de caractéristiques de l'amour courtois qui se retrouvent dans "L'Astrée". Mais chez Honoré d'Urfé, le code amoureux participe d'une métaphysique néoplatonicienne qui en modifie le sens et qui problématise le personnage. (Pierre Berthiaume, Université d'Ottawa, "Psychodoxie du personnage dans L'Astrée")>>.


(d) Intrigue. Adamas est le père de la nymphe Alexis, pour qui se fera passer Céladon, afin d'approcher Astrée.


- <<Bientôt Astrée, dans la douleur qu'elle a de la mort de son amant, veut se faire vestale ou druidesse ; «et, comme Chrysanthe, la grande druidesse, ne veut pas la recevoir sans le consentement de ses parents,» alors, dit-elle, elle n'a plus qu'à mourir, et elle y est résolue. Heureusement que, pour calmer son désespoir, le grand druide Adamas prie Astrée de vouloir bien recevoir dans sa chaumière sa fille Alexis. Cette Alexis n'est autre que Céladon lui-même, déguisé en fille, et qu'Adamas n'a pu tirer de son désespoir qu'en l'engageant à revoir Astrée, sans pourtant enfreindre l'arrêt qui défend à Céladon de jamais se montrer à ses yeux. Selon Adamas, le déguisement suffit à tout. Céladon se laisse aisément persuader, et, chose extraordinaire, Astrée elle-même s'y trompe de bonne foi. Seulement, comme elle trouve que la bergère Alexis ressemble beaucoup à Céladon, elle se prend pour Alexis de la plus vive amitié ; (Saint-Marc Girardin, "Cours de littérature dramatique ou de l'usage des passions dans le drame", édition Charpentier, 1862, Tome III)>>.


(e) Suspens. Adamas est aussi le père de Pâris, un enfant disparu, qui se trouvera être Sylvandre, amoureux de Diane. Adamas finira par reconnaître son fils disparu, qu'il croit mort.


- <<La grande chaleur du jour estoit fort abatue, lors que Diane donna son jugement, de sorte qu'Adamas, desireux qu'Alcidon et Daphnide peussent estre à temps pour avoir le plaisir des divers exercices de ces bergers, se levant de son siege, fut cause que chacun en fit de mesme, et les prenant par la main, leur dit qu'il estoit temps de se mettre en chemin, pour aller de jour aux hameaux de ces belles bergeres. Mais parce que Phillis et Silvandre disputoient entr'eux pour sçavoir à qui Diane avoit donné l'advantage, et que le druide vit bien que cette dispute ne se termineroit pas facilement, il leur dit que l'on ne laisseroit d'en parler par les chemins, et que ce seroit un passe-temps pour en adoucir l'incommodité, et pour en accourcir la longueur.

Et cela fut cause que l'on n'eut pas plustost commencé de marcher, que Phillis attaqua le berger, luy disant : Et bien, Silvandre ! que te semble-t'il du jugement de Diane ? où est l'outrecuidance qui te persuadoit de pouvoir obtenir quelque advantage par dessus moy ? - Bergere, respondit froidement Silvandre, je n'ay jamais esperé d'en tant avoir que nostre maistresse m'en a donné, mais aussi je soustiendray bien qu'il n'y eut jamais un jugement prononcé avec plus d'équité, ny avec une plus meure consideration que celuy duquel vous parlez. - Et quoy ? berger, adjousta Phillis en sousriant, vous croyez que Diane vous ait advantage par dessus moy ? - Et qui peut en douter ? respondit Silvandre, il faudroit bien avoir peu de jugement pour n'entendre pas son jugement. - Quant à moy, reprit la bergere, je ne l'entends pas seulement, mais aussi je l'admire, car j'entends fort bien que j'ay obtenu par luy la victoire de la gageure que nous avions faite, et j'admire qu'il n'y eut jamais jugement comme celuy-cy, puis qu'il contente les deux parties, ayant tousjours ouy dire qu'en tous les autres l'une se plaint et l'appelle injuste. - En cecy, comme en toute autre chose, respondit Silvandre, se monstre le bel esprit de Diane. - Et toutesfois, dit Phillis, c'est moy qui suis declarée la plus aymable, et c'est à moy à qui le siege de Diane a esté donné, comme à celle qui le merite le mieux, et pour faire entendre que c'est à moy à qui Silvandre doit rendre les mesmes devoirs et les mesmes honneurs que nostre maistresse avoit auparavant receus de nous. - O bergere ! s'écria Silvandre, que ce mystere est profond, et qu'il vous faut encore estudier long temps pour le scavoir entendre ! Et si nostre belle maistresse s'establissoit encores un juge pour declarer l'intention qu'elle a eue, je vous monstrerois bien-tost que tout ce que vous venez de dire est plus à mon advantage qu'au vostre. Et s'il luy plaist de nous ouyr à ceste heure mesme, vous verrez que c'est à moy à la remercier de la victoire qu'equitablement elle m'a adjugée. - Silvandre, dit alors Diane, il n'est pas raisonnable que l'autheur mesme s'explique, et puis il me semble d'avoir parlé si clairement que, quoy que j'y peusse adjouster n'y serviroit de rien. Mais je vous supplieray bien, puis que vous n'avez plus de gageure contre Phillis, et que je ne dois plus estre vostre juge, ny vostre maistresse, que vous vous souveniez que je m'appelle Diane.

Et ces dernieres paroles furent proferées avec un visage si serieux que Silvandre cogneut bien qu'elle le vouloit ainsi ; et toutesfois, feignant de le prendre d'autre façon, il respondit : Je sçay bien que vous estes ceste belle Diane que Phillis et moy avons servie quelque temps, mais je sçay bien aussi que vous m'avez autrefois permis de vous tenir pour ma maistresse. Et me pensez-vous estre de l'humeur d'Hylas ? Pardonnez-moy, s'il vous plaist, je hay trop l'inconstance et ceste humeur volage, pour changer de ceste sorte ; permettez-moy que je vous sois celuy que j'ay commencé de vous estre, et vueillez estre celle que vous m'avez esté. (Honoré d'Urfé, "L'Astrée", Partie III, Livre X, Introduction)>>.


(f) Postérité. Pour la génération de L'Astrée, Adamas est une figure. A propos de l'abbé Jacques de Bayard, un ami du comte François Motier de La Fayette, la marquise de Sévigné évoque "l'Adamas de cette contrée" (à Vichy, en 1676).


- <<Mon Dieu, que vous m'étonnez de me faire entendre que le sage Gauthier, que je croyais l'Adamas de la contrée, soit tombé dans la confusion que vous me représentez ! (Madame de Sévigné, 1694, lettre à la comtesse de Guitaut, à Epoisses)>>.


(g) Origine. Adamas-Lumière est un des personnages de la grande synthèse mythologique de Mani. Ce principe du bien lutte contre un monstre marin du Prince des Ténèbres.


(h) Etymologie. Le nom latin <adamas, adamantis> signifie "métal très résistant", "fer", "acier", "caractère inflexible", "diamant".


(i) Parent linguistique. Un autre personnage littéraire est Adamastor. Il s'agit de l'esprit du Cap de Bonne-Espérance qui serait apparu au navigateur Vasco de Gama lors de son audacieux passage.


(j) Références littéraires :


- <<Qui engendra Etion, lequel premier eut la verolle pour n'avoir beu frayz en esté, comme tesmoigne Bartachim,

Qui engendra Encelade,

Qui engendra Cée,

Qui engendra Typhoe,

Qui engendra Aloe,

Qui engendra Othe,

Qui engendra Aegeon,

Qui engendra Briaré, qui avoit cent mains,

Qui engendra Porphfrto,

Qui engendra Adamastor,

Qui engendra Antée,

Qui engendra Agatho,

Qui engendra Pore, contre lequel batailla Alexandre le Grand,

(François Rabelais, "Pantagruel", 1532, Chapitre 1, De l'origine et antiquité du grand Pantagruel)>>.


- <<J'irais, messieurs, chercher votre renommée sur ces mers orageuses que gardait autrefois le géant Adamastor, et qui se sont apaisées aux noms charmants d'Éléonore et de Virgile. Tibi rident aequora. (François-René de Chateaubriand, "Mémoires d'Outre-Tombe")>>.


(k) Art.


- "Adamas réunit Céladon et Astrée" est une tapisserie de Bruges, Flandres, vers 1640.


- <<Au XVIIe siècle, la tapisserie brugeoise est l'une des plus appréciées et des plus raffinées. Les ateliers produisent pour les églises et couvents de la ville, mais aussi pour des commanditaires étrangers, tout particulièrement pour la France. Parmi les sujets profanes illustrés dans les ateliers de Bruges, deux séries de tapisseries s'inspirent de l'Astrée. L'une, au dessin plus minutieux et soigné, est exécutée dans des teintes contrastées où les ors et rouges dominent. L'autre, tissée de façon plus grossière dans des teintes pastel fut commandée par la famille brugeoise Parmentier. Elle est aujourd'hui conservée à Anvers au Musée van den Bergh. Les deux séries de tapisseries portent sur la bordure latérale droite la marque de la ville de Bruges. Leur bordure ornée de médaillons, de vases sur socles et de têtes de lion est similaire à deux tentures (la "Tenture de Psyché" conservée au Crédit Communal de Bruges et une autre faisant partie de la suite "La Vie de Marie" conservée à l'Hôpital de la Poterie) que les spécialistes datent des années 1640-1650. Il est donc fort probable que les tapisseries de l'Astrée leur soient contemporaines. Le plus souvent, les artistes ont inventé des cartons originaux. Pourtant, quelques pièces font exception. Contrairement à ce qui est encore admis, certaines tapisseries s'inspirent d'un modèle gravé. À la manière, des faïenciers de Nevers ou de Marseille, les liciers puisent dans le répertoire iconographique imaginé par Daniel Rabel en 1632, comme le prouvent les tapisseries "Céladon discute avec Léonide et Silvie" (localisation inconnue) et "Adamas réunit Céladon et Astrée" (localisation inconnue). (L'Astrée et la tapisserie, "L'Astrée et la tapisserie brugeoise", document du web)>>.


(l) Sans les reconnaître, Silvandre surprend un des entretiens nocturnes de Céladon avec Adamas, dans un bois, sur la rive du Lignon, près de l'abbaye de Bonlieu :


- <<Le lieu solitaire, le silence, et l'agréable lumière de cette nuit, eussent été cause que le berger eût longuement continué, et son promenoir, et le doux entretien de ses pensées, sans que, s'étant enfoncé dans le plus épais du bois, il perdit en partie la clarté de la lune qui était empêchée par les branches, et par les feuilles des arbres, et que revenant en lui-même, voulant sortir de cet endroit incommode, il n'eut pas sitôt jeté les yeux d'un côté et d'autre pour choisir un bon sentier, qu'il ouït quelqu'un qui parlait auprès de lui ... Se laissant conduire par la voix à travers les arbres et les ronces qui s'épaississaient davantage en ce lieu, il ne se fut avancé quinze ou vingt pas qu'il se trouva dans le plus obscur du bois, assez près de deux hommes, qu'il lui fut impossible de reconnaître, tant pour l'obscurité du lieu, que pour ce qu'ils avaient le dos tourné contre lui. ("L'Astrée", Partie II)>>.


(m) Première mention du nom et de l'existence d'Adamas. C'est au cours d'une discussion entre Céladon et Méril, que le nom d'Adamas est mentionné pour la première fois dans le roman pastoral. <Les deux Nymphes, dit-il, que vous vîtes ici hier, dont l'une est Léonide, nièce d'Adamas, l'autre est Silvie, fille de Déante le glorieux ; (Méril)>. Dans le même temps a lieu une délicate conversation entre Galathée et Léonide. Cette dernière rappelle à Galathée que Céladon est éperdument amoureux d'Astrée et non de son hôte du palais d'Issoure. Jusqu'à ce moment, le druide dont parlent les nymphes est un faux druide, un imposteur utilisé par Polémas pour séduire la princesse héritière, Galathée.


- <<Peu après Galathée se tourna, et lui dit : - Je n'ai point cru jusques ici que vous eussiez opinion d'être ma gouvernante, mais à cette heure je commence d'avoir quelque créance que vous le vous figurez. - Madame, répondit-elle, je ne me méconnaîtrai jamais tant que je ne reconnaisse toujours ce que je vous dois ; mais puisque vous trouvez si mauvais ce que mon devoir m'a fait vous dire, je proteste dès ici, que je ne vous donnerai jamais occasion d'entrer pour ce sujet en colère contre moi. - C'est une étrange chose que de vous, répliqua Galathée, qu'il faille que vous ayez toujours raison en vos opinions ! Quelle apparence y a-t-il que l'on puisse savoir que Céladon soit ici ? Il n'y a céans que nous trois, Méril, et ma nourrice, sa mère. Pour Méril, il ne sort point, et outre cela il a assez de discrétion pour son âge. Pour ma nourrice, sa fidélité m'est assez connue, et puis ç'a été en partie par son dessein que le tout s'est conduit de cette sorte. Car lui ayant raconté ce que le Druide m'avait prédit, elle, qui m'aime plus tendrement que si j'étais son enfant propre, me conseilla de ne dédaigner cet avertissement ; et parce que je lui proposai la difficulté du grand abord des personnes qui viennent céans quand j'y suis, elle-même m'avertit de feindre que je me voulais purger. - Et quel est votre dessein ? dit Léonide. - De faire en sorte, répondit-elle, que ce Berger me veuille du bien, et jusques à ce que cela soit de ne le point laisser sortir de céans ; que si une fois il vient à m'aimer, je laisserai conduire le reste à la fortune. - Madame, dit Léonide, Dieu vous en donne tout le contentement que vous en désirez ; mais permettez-moi de vous dire encore pour ce coup que vous vous ruinez de réputation. Quel temps faut-il pour déraciner l'affection si bien prise qu'il porte à Astrée, la beauté et la vertu de laquelle on dit être sans seconde ? - Mais, interrompit incontinent la Nymphe, elle le dédaigne, elle l'offense, elle le chasse : pensez-vous qu'il n'ait pas assez de courage pour la laisser ? - Ô Madame, rayez cela de votre espérance, dit Léonide ; s'il n'a point de courage, il ne le ressentira pas, et s'il en a, un homme généreux ne se divertit jamais d'une entreprise pour les difficultés. Ressouvenez-vous pour exemple de combien de dédains vous avez usé contre Lindamor, et combien vous l'avez traité cruellement, et combien il a peu fait de cas de tels dédains, ni de telles cruautés. Mais qu'il soit ainsi, que Céladon, pour être enfin un Berger n'ait pas tant de courage que Lindamor et qu'il fléchisse aux coups d'Astrée, qu'espérez-vous de bon pour cela ? Pensez-vous qu'un esprit trompé soit aisé à retromper une seconde fois en un même sujet ? Non, non, Madame, quoiqu'il soit et de naissance et de conversation entre des hommes grossiers, si ne le peut-il être tant qu'il ne craigne de se rebrûler à ce feu dont la douleur lui cuit encore en l'âme. Il faut, et c'est ce que vous pouvez espérer de plus avantageux, que le temps le guérisse entièrement de cette brûlure, avant qu'il puisse tourner les yeux sur un autre sujet semblable, et quelle longueur y faudra-t-il ? Et cependant, sera-t-il possible d'empêcher si longtemps que les gardes qui ne sont qu'en cette basse cour ne viennent à le savoir ? Ou en le voyant, car encore ne le pouvez-vous pas tenir toujours en une chambre, ou par le rapport de Méril, qui, encore qu'assez discret pour son âge, est enfin un enfant ? - Léonide, lui dit-elle, cessez de vous travailler pour ce sujet, ma résolution est celle que je vous ai dite ; que si vous voulez me faire croire que vous m'aimez, favorisez mon dessein en ce que vous pourrez, et du reste laissez-m'en le souci. Ce matin, si le mal de Céladon le permet - il me sembla qu'hier il se portait bien - vous pourrez le conduire au jardin, car, pour aujourd'hui, je me trouve un peu mal, et difficilement sortirai-je du lit que sur le soir. Léonide, toute triste, ne lui répondit sinon qu'elle rapporterait toujours tout ce qu'elle pourrait à son contentement.

Cependant qu'elles discouraient ainsi, Méril fit son message, et ayant trouvé le Berger éveillé lui donna le bonjour de la part de la Nymphe, et lui présenta ses papiers. Ô combien promptement se releva-t-il sur le lit ! Il fit ouvrir les rideaux et les fenêtres, n'ayant le loisir de se lever, tant il avait de hâte de voir ce qui lui avait coûté tant de regrets. Il ouvre le petit sac, et après l'avoir baisé plusieurs fois : - Ô secrétaire, dit-il, de ma vie plus heureuse ! Comment t'es-tu trouvé entre ces mains étrangères ? À ce mot, il sort toutes les lettres sur le lit, et, pour voir s'il en manquait quelqu'une, il les remit en leur rang selon le temps qu'il les avait reçues, et voyant qu'il restait un billet, il l'ouvre et lut tels mots : "Céladon, je veux que vous sachiez que Galathée vous aime, et que le Ciel a permis le dédain d'Astrée pour ne vouloir que plus longtemps une Bergère possédât ce qu'une Nymphe désire. Reconnaissez ce bonheur, et ne le refusez". L'étonnement du Berger fut très grand, toutefois voyant que le petit Méril considérait ses actions, il n'en voulut faire semblant. Les resserrant donc toutes ensemble, et se remettant au lit, il lui demanda qui les lui avait baillées. - Je les ai prises, dit-il, dans la toilette de Madame, et n'eût été que je désirais de vous ôter de la peine où je vous voyais, je n'eusse osé y aller, car elle se trouve un peu mal. - Et qui est avec elle ? demanda Céladon. - Les deux Nymphes, dit-il, que vous vîtes ici hier, dont l'une est Léonide, nièce d'Adamas, l'autre est Silvie, fille de Déante le glorieux ; certes elle n'est pas sa fille sans raison, car c'est bien la plus altière en ses façons que l'on puisse voir. Ainsi reçut Céladon le premier avertissement de la bonne volonté de Galathée, car encore qu'il n'y eût ni chiffre ni signature au billet qu'il avait reçu, si jugea-t-il bien que cela n'avait point été fait sans qu'elle le sût. Et dès lors il prévit que ce lui serait une surcharge à ses ennuis et qu'il s'y fallait résoudre. Voyant donc que la moitié du jour était presque passée et se trouvant assez bien, il ne voulut demeurer plus longtemps au lit, croyant que plus tôt il en sortirait, plus tôt aussi pourrait-il prendre congé de ces belles Nymphes. S'étant levé en cette délibération, ainsi qu'il sortait pour s'aller promener, il rencontra Léonide et Silvie, que Galathée, n'osant se lever ni se montrer encore à lui de honte du billet qu'elle lui avait écrit, lui envoyait pour l'entretenir. Ils descendirent dans le jardin. Et parce que Céladon leur voulait cacher son ennui, il se montrait avec le visage le plus riant qu'il pouvait dissimuler, et feignant d'être curieux de savoir tout ce qu'il voyait : - Belles Nymphes, leur dit-il, n'est-ce-pas près d'ici où se trouve la fontaine de la vérité d'Amour ? Je voudrais bien, s'il était possible, que nous la vissions. - C'est bien près d'ici, répondit la Nymphe, car il ne faut que descendre dans ce grand bois ; mais de la voir il est impossible, et il en faut remercier cette belle qui en est cause, dit-elle en montrant Silvie. - Je ne sais, répliqua-t-elle, pourquoi vous m'en accusez ; car quant à moi je n'ouïs jamais blâmer l'épée si elle coupe l'imprudent qui met le doigt dessus. - Il est vrai, répondit Léonide, mais si ai bien moi celui qui en blesse, et votre beauté n'est pas de celles qui se laissent voir sans homicide. - Telle qu'elle est, répondit Silvie, avec un peu de rougeur, elle a bien d'assez forts liens, pour ne lâcher jamais ce qu'elle étreint une fois. Elle disait ceci en lui reprochant l'infidélité d'Agis, qui, l'ayant quelque temps aimée, pour une jalousie ou pour une absence de deux mois, s'était entièrement changé, et pour Polémas qu'une autre beauté lui avait dérobé ; ce qu'elle entendit fort bien. (Honoré d'Urfé, "L'Astrée", Partie I, Livre III)>>.


(n) Le premier attribut du personnage, lors de la seconde apparition de son nom, est <sage>.


- <<Toutefois, comme j'ai appris du sage Adamas, votre oncle, toute personne est sujette à une certaine force dont elle ne peut éviter l'attrait quand une fois elle en est touchée. Et quelle puis-je penser que puisse être celle de cette Belle, si ce n'est la grandeur et la puissance ? Et ainsi, si je crains, c'est la fortune, et non les mérites de Clidaman, sa grandeur, et non point son affection. (Ligdamon à Léonide, à propos de son malheureux amour pour Silvie, in "L'Astrée", Partie I, Livre III)>.


(o) La troisième référence à Adamas est le désir de Léonide de se retirer chez lui.


- <<- Il est vrai, Madame, il m'a émue de pitié, et me semble, puisqu'il a tant d'envie de s'en aller, que vous ne devez point le retenir par force, car l'Amour n'entre jamais dans un cœur à coups de fouets. - Je n'entends pas, répliqua Galathée, qu'il vous ait émue de pitié, mais n'en parlons plus ; peut-être quand il sera bien sain, ressentira-t-il aussitôt les effets du dépit qu'il a fait naître en moi, que ceux de l'Amour qu'il a produits en vous. Cependant, pour parler franchement, qu'il se résolve de ne partir point d'ici à sa volonté mais à la mienne. Léonide voulut répondre, mais la Nymphe l'interrompit : - Or sus, Léonide, lui dit-elle, c'est assez, contentez-vous que je n'en dis pas davantage, allez seulement, ma résolution est celle-là. Ainsi Léonide fut contrainte de se taire et de s'en aller, ressentant de telle sorte cette injure qu'elle résolut dès lors de se retirer chez Adamas, son oncle, et ne recevoir jamais plus le souci des secrets de Galathée, qui en même temps appela Silvie qui se promenait en un autre allée, toute seule, à qui contre son dessein, elle ne peut s'empêcher, en se plaignant de Léonide, de faire savoir ce que jusques alors elle lui avait caché. ("L'Astrée", Partie I, Livre IV)>.


(p) C'est lorsque Galathée craint pour la vie de Céladon que l'on apprend, de la bouche de sa nièce, qu'il est le prince des druides.


- <<Mais prenons toutes choses au pis, et qu'on sache que ce Berger est céans : et quoi, pour cela ne pourrez-vous pas couvrir votre dessein de celui de la compassion à laquelle notre naturel nous incline toutes ? Et toutefois s'il vous plaît de vous reposer de cette affaire sur moi, je m'assure de la conduire si discrètement que personne n'en découvrira rien ; car, Madame, j'ai comme vous savez, mon oncle Adamas, Prince des Druides de cette contrée, à qui nul des secrets de nature, ni des vertus des herbes ne peut être caché. Il est homme plein de discrétion et jugement, je sais qu'il a particulière inclination à vous faire service : si vous l'employez en cette occasion, je tiens pour certain que le tout réussira à votre contentement. Galathée demeura quelque temps sans répondre, mais Silvie qui voyait que c'était le meilleur expédient, et prévoyait que, par le moyen du sage Adamas, elle divertirait Galathée de cette honteuse vie, répondit assez promptement que cette voie lui semblait la plus assurée. À quoi Galathée consentit, n'en pouvant élire une meilleure. - Il reste, reprit Léonide, de savoir, Madame, afin que je n'outre-passe votre commandement, que c'est que vous voulez que je dise ou que je taise à Adamas. - Il n'y a rien, répondit Silvie, voyant que Galathée demeurait interdite, qui oblige tant à se taire que de faire paraître une entière fiance, ni rien au contraire qui dispense plus à parler que la méfiance reconnue. De sorte qu'il me semble, pour rendre Adamas secret, qu'il lui faut dire avant qu'il vienne tout ce qu'il pourra découvrir quand il sera ici.- Je suis, répondit Galathée, tant hors de moi qu'à peine sais-je ce que je dis. C'est pourquoi je remets toute chose à votre discrétion. ("L'Astrée", Partie I, Livre IV)>.


(q) Voir Adamantin. Manichéisme.






* * *


Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Dimanche 15 Juin 2008



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