Fétichisme



(A) Généralités.



(a) Apparition. Le nom masculin <fétichisme> est un terme de 1760 sous la plume de Charles de Brosses (1709-1777), juriste de Dijon, dans sa "Dissertation sur le culte des Dieux Fétiches". Le texte est réédité et le mot est décliné par Denis Diderot dans l'Encyclopédie. Le contenu de l'ouvrage est repris par Benjamin Constant dans "De la religion considérée dans sa source, ses formes et son développement".


- <<L'auteur y combat les opinions de Jamblique et des derniers platoniciens sur le figurisme et les allégories égyptiennes et cherche à établir que l'ancienne religion de l'Egypte n'était autre chose dans l'origine que l'idolâtrerie actuelle des peuples de la Nigritie. Cette dissertation a été réimprimée dans l'Encyclopédie méthodique (Dictionnaire de la philosophie ancienne). [...] Cet ouvrage fut suivi d'une production d'un genre tout différent qui annonçait l'étendue et la variété des connaissances de son auteur : c'est le "Traité de la formation mécanique des langues", 1765, 2 vol. in-12, réimprimé en l'an IX (1801). Cet écrit, plus estimé des étrangers que des français, a été traduit en allemand, Leipzig, 1777, in-8° ; il renferme beaucoup de recherches neuves et profondes, des hypothèses et des aperçus ingénieux, mais il n'est pas exempt de cet esprit de système qui semble s'attacher à tous ceux qui recherchent l'origine des choses, et qui s'occupent de la science étymologique. (Joseph Fr. Michaud, Louis Gabriel Michaud, "Biographie universelle ancienne et moderne ou Histoire par ordre alphabétique de la vie publique et privée de tous les hommes qui se sont distingués par leurs écrits leurs actions leurs talents leurs vertus et leurs crimes. Ouvrage entièrement neuf rédigé par une société de gens de lettres et de savants", éditions Michaud frères, Paris, 1812)>>.


(b) Définition. <Fétichisme> désigne :


- le "culte des fétiches" ; c'est la signification la plus ancienne ;


- une "déviation sexuelle consistant à considérer comme objet sexuel une partie du corps ou un objet qui n'ont pas en eux-mêmes de pouvoir sexuel" ; cette acception a été introduite par la psychiatrie (Alfred Binet) et popularisée par Sigmund Freud.


(c) Etymologie. Le nom <fétiche> apparaît en 1605 sous la forme <fetisso> et s'écrit <fétiche> en 1669. Le mot portugais <feitiço> signifie "artificiel". Puis il a pris le sens de "sortilège". Il vient de l'adjectif latin <facticius, a, um> "artificiel", "factice", qui a donné le français <factice>.


(d) Référence historique. Ayant obtenu une chaussure de l'impératrice Messaline, épouse de Claude, le sénateur Lucius Vitellius (trois fois consul) la porte sur lui, entre sa tunique et sa toge.


- <<Il avait d'ailleurs un talent merveilleux pour la flatterie. C'est lui qui le premier imagina d'adorer Caligula comme un dieu. À son retour en Syrie, il n'osa l'aborder que la tête voilée, en se tournant, se retournant et se prosternant. Pour n'omettre aucun moyen de faire sa cour à Claude, qui était entièrement livré à ses femmes et à ses affranchis, il demanda à Messaline, comme une grâce insigne, la permission de la déchausser. Après lui avoir ôté le brodequin droit, il le porta constamment entre sa toge et sa tunique, et le baisait de temps en temps. (Suétone, "Vie des Douze Césars", Vitellius)>>.


(e) Références d'usage du terme :


- <<La théorie des échanges chez les économistes classiques est donc étroitement associée à la théorie de la valeur. Cette association se retrouve chez Marx, mais ce dernier y introduit la dimension historique et sociale. Il dénonce chez les classiques le «fétichisme de la marchandise», qui dissimule derrière l'apparence d'un rapport des choses entre elles la réalités des rapports sociaux qu'impliquent la production et les échanges dans la société capitaliste. (Encyclopædia Universalis 2007, article "Echanges")>>.


- <<Le fétichisme, ce que M. Max Müller appelle dédaigneusement le «culte des brimborions», a joué dans le développement des religions un rôle capital. Quand même il serait vrai, comme on l'a prétendu dernièrement, que les religions n'ont pas commencé par le fétichisme, il est certain que toutes le côtoient, et quelques-unes y aboutissent. La grande querelle des images, qui a été agitée dès les premiers siècles de l'ère chrétienne, qui a passé à l'état aigu à l'époque de la réforme religieuse, et qui a produit non seulement des discussions et des écrits, mais des guerres et des massacres, prouve assez la généralité et la force de notre tendance à confondre la divinité avec le signe matériel et palpable qui la représente. Le fétichisme ne tient pas une moindre place dans l'amour : les faits réunis dans cette étude vont le montrer. Le fétichisme religieux consiste dans l'adoration d'un objet matériel auquel le fétichiste attribue un pouvoir mystérieux : c'est ce qu'indique l'étymologie du mot fétiche : il dérive du portugais fetisso, qui signifie chose enchantée, chose fée, comme l'on disait en vieux français ; fetisso provient lui-même de fatum, destin. Pris au figuré, le fétichisme a un sens un peu différent. On désigne généralement par ce mot une adoration aveugle pour les défauts et les caprices d'une personne. Telle pourrait être, à la rigueur, la définition du fétichisme amoureux. Mais cette définition est superficielle et banale : elle ne peut nous suffire. Pour la préciser un peu, nous nous bornerons à mettre sous les yeux du lecteur certains faits qui peuvent être considérés comme la forme pathologique, c'est-à-dire exagérée, du fétichisme de l'amour. MM. Charcot et Magnan ont publié les meilleures observations de fétichisme, et notre étude ne sera qu'un commentaire de ces observations, auxquelles nous en avons joint de nouvelles ; elles sont relatives à des dégénérés qui éprouvent une excitation génitale intense pendant la contemplation de certains objets inanimés qui laissent complètement indifférent un individu normal. Ces perversions sont assez répandues, car on en trouve la mention et parfois même l'analyse assez bien faite dans quelques romans contemporains. L'objet de l'obsession est particulier et toujours le même pour chaque sujet. Nous en donnerons ces quelques exemples, qui paraissent bizarres à première vue : un bonnet de nuit, - les clous de souliers de femmes, - les tabliers blancs. Le terme de fétichisme convient assez bien, ce nous semble, à ce genre de perversion sexuelle. L'adoration de ces malades pour des objets inertes comme des bonnets de nuit ou des clous de bottines ressemble de tous points à l'adoration du sauvage ou du nègre pour des arêtes de poissons ou pour des cailloux brillants, sauf cette différence fondamentale que, dans le culte de nos malades, l'adoration religieuse est remplacée par un appétit sexuel. On pourrait croire que les observations précédentes, que nous avons résumées d'un mot, et sur lesquelles nous aurons à revenir, sont des monstruosités psychologiques ; il n'en est rien ; ces faits existent en germe dans la vie normale : pour les y trouver, il suffit de les chercher ; après une étude attentive, on est même étonné de la place qu'ils y occupent. Seulement, dans ces cas nouveaux, l'attrait sexuel prend pour point de mire non un objet inanimé, mais un corps animé ; le plus souvent, c'est une fraction d'une personne vivante, comme un œil de femme, une boucle de cheveux, un parfum, une bouche aux lèvres rouges ; peu importe l'objet de la perversion ; le fait capital, c'est la perversion elle-même, c'est le penchant que les sujets éprouvent pour des objets qui sont incapables de satisfaire normalement leurs besoins génitaux. Aussi tous ces faits appartiennent-ils à un même groupe naturel : ils offrent en commun ce caractère bien curieux de consister dans un appétit sexuel qui présente une insertion vicieuse, c'est-à-dire qui s'applique à des objets auxquels normalement il ne s'applique pas. (Alfred Binet, "Le fétichisme dans l'amour", Études de psychologie expérimentale, Bibliothèque des actualités médicales et scientifiques, Octave Doin, Paris, 1888)>>.


- <<Cette partie positive de l'œuvre de Tylor n'a pas été controversée. Les critiques portent sur sa définition de l'animisme en tant que première expression de l'expérience religieuse, et sur sa reconstitution linéaire de l'évolution de la religion, celle-ci débutant avec l'animisme, continuant avec le fétichisme, puis le naturisme (ou culte de la nature) et le polythéisme. Certes, le progrès marqué par la théorie de Tylor a été incontestable, si l'on se rappelle qu'Auguste Comte et Herbert Spencer voyaient, respectivement, dans le fétichisme et dans le culte des ancêtres, l'origine de la religion. Il est évident que la croyance en des esprits précède le culte des ancêtres ; on vénérait les morts justement parce qu'ils étaient devenus des «esprits». Tylor estimait que le fétichisme impliquait également l'animisme. Selon lui, un objet devenait «fétiche» parce qu'on croyait qu'un esprit l'animait, mais cette explication ne s'impose pas toujours. (Encyclopædia Universalis 2007, article "Animisme")>>.


(f) Références littéraires :


- Charles Perrault, "Cendrillon ou la petite pantoufle de verre", in "Contes ou Histoires du temps passé", 1697.


- Wilhelm Grimm (1786-1859), "Cendrillon", un prince fétichiste de la pantoufle de vair.


- <<Ô toison, moutonnant jusque sur l'encolure !

Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !

Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure

Des souvenirs dormant dans cette chevelure,

Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir ! »

(Charles Baudelaire, "La chevelure", in Les Fleurs du mal)>>.


- <<Chaque champ était alors une forteresse, chaque arbre méditait un piège, chaque vieux tronc de saule creux gardait un stratagème. Le lieu du combat était partout. Les fusils attendaient au coin des routes les Bleus que de jeunes filles attiraient en riant sous le feu des canons, sans croire être perfides ; elles allaient en pèlerinage avec leurs pères et leurs frères demander des ruses et des absolutions à des vierges de bois vermoulu. La religion ou plutôt le fétichisme de ces créatures ignorantes désarmait le meurtre de ses remords. Aussi une fois cette lutte engagée, tout dans le pays devenait-il dangereux : le bruit comme le silence, la grâce comme la terreur, le foyer domestique comme le grand chemin. Il y avait de la conviction dans ces trahisons. C'était des Sauvages qui servaient Dieu et le roi, à la manière dont les Mohicans font la guerre. Mais pour rendre exacte et vraie en tout point la peinture de cette lutte, l'historien doit ajouter qu'au moment où la paix de Hoche fut signée, la contrée entière redevint et riante et amie. Les familles, qui, la veille, se déchiraient encore, le lendemain soupèrent sans danger sous le même toit. (Honoré de Balzac, "Les Chouans", 1829, L'embuscade)>>.


- Chevalier Leopold Von Sacher Masoch, 1835-1895, "La Vénus à la fourrure" (1870, présentation de Gilles Deleuze, éditions de Minuit, 1967) ; "La Fausse Hermine" (1887).


- <<Le fétichisme, le polythéisme, le monothéisme sont les trois grandes étapes de la superstition. Chacune de ces synthèses, en prenant le caractère d'un dogme impératif, est devenue un obstacle au progrès physique, moral et intellectuel de l'Humanité." (Charles Vaudet, "Le Procès du Christianisme", 1933)>>.


(g) Tout fétichisme pathologique est une forme extrême d'un processus beaucoup plus général, à la base de nos représentations et, a fortiori, des croyances voire des cultes.


- <<Le fétichisme renvoie donc à un culte, qu'il soit spirituel ou sexuel ou les deux. L'objet fétiche représente la divinité et permet aussi de communiquer avec elle, il est à la fois symbole et médium, et cette fragmentation réduit le danger réel ou supposé d'une interaction directe avec la divinité. (Catherine Cudicio, Psychanalyste, Patrice Cudicio, Médecin Sexologue, "Comprendre le Fétichisme")>>.


- <<Il nous reste à conclure en résumant ce que cette maladie de l'amour nous apprend sur l'amour normal. Il n'y a point de fétichiste dont on ne retrouve la forme atténuée dans la vie régulière. Tous les amants sont épris de la beauté des yeux de leur maîtresse, comme le malade de M. Ball ; ils sont en extase devant la beauté de sa main, comme M. R… ; ils adorent ses cheveux, ils respirent avec délices son parfum favori. Le fétichisme ne se distingue donc de l'amour normal que par le degré : on peut dire qu'il est en germe dans l'amour normal ; il suffit que le germe grossisse pour que la perversion apparaisse. [...] L'amour normal est harmonieux ; l'amant aime au même degré tous les éléments de la femme qu'il aime, toutes les parties de son corps et toutes les manifestations de son esprit. Dans la perversion sexuelle, nous ne voyons apparaître en somme aucun élément nouveau ; seulement l'harmonie est rompue ; l'amour, au lieu d'être excité par l'ensemble de la personne, n'est plus excité que par une fraction. Ici, la partie se substitue au tout, l'accessoire devient le principal. Au polythéisme répond le monothéisme. L'amour du perverti est une pièce de théâtre où un simple figurant s'avance vers la rampe et prend la place du premier rôle. (Alfred Binet)>>.


(h) Le sens que nous attachons à un mot relève du même mécanisme. Il en est de même pour la charge affective d'un symbole. C'est une différence essentielle entre l'ordinateur et nous.


- <<Les phénomènes du symbolisme érotique sont ceux qui sont le plus spécifiquement humains (Henry Havelock Ellis, 1859-1939)>>.


(i) Références bibliographiques :


- Nicolas Edme Rétif de la Bretonne (1734-1806), "Le Pied de Fanchette" ;


- Paul-Laurent Assoun, psychanalyste, "Le Fétichisme", PUF, Que Sais-je ?, 2006 ;


- Jean Streff, "Traité du fétichisme à l'usage des jeunes générations", Denoël, 2005.


(j) Voir Château en Espagne. Croyance. Fanchette. Fantasme de la plus-value. Mercantilisme bullioniste. Opium du peuple. Or. Tableau.



(B) Développements.



(a) A côté de la pathologie ou de la marge choisie, il existe de nombreuses formes du fétichisme ordinaire : fétichisme de la monnaie, fétichisme de la marchandise, de l'ordinateur, du corps plein. Autant d'objets qui jouent le rôle de fétiches. Le fétichisme est toujours une forme de fascination, qui permet donc une séduction.


(b) Fascination pour un outil (ordinateur, monnaie) empêchant d'en user sainement. A la différence des biens d'usage banal, les biens de luxe sont des fétiches.


(c) Fascination pour un phénomène (circulation monétaire) empêchant de le critiquer scientifiquement et d'en comprendre les causes.


(d) Fascination pour le corps biologique considéré dans l'aspect extérieur de la silhouette et de la peau d'inscription sociale qui constituent le corps plein, au détriment de l'intériorité et du corps virtuel. Narcisse tombe amoureux de son propre corps. Le fétichiste est plus fasciné par le ballet et la joute des corps pleins que par la peau d'échange et les corps virtuels. Citation :


- <<Perversion sexuelle qui confère à un objet particulier (vêtement, etc) ou à une partie du corps du partenaire le pouvoir exclusif de susciter l'excitation érotique (Hachette)>>.


(e) Le fétichisme suppose un spectacle qui se superpose à la réalité comme un double du réel. Le fétichiste préfère le signe à l'objet réel. L'objet de son désir n'est pas l'objet global, mais le signe iconique, chargé d'affect. Par une relation de métonymie, le fétichiste reporte sur une partie (détail, indice, image) son attachement pour le tout (c'est à dire une globalité considérée comme une totalité). Le corps plein est ainsi un fétiche totalisant du corps biologique.


(f) Mais la sémantique utilise en permanence ce mécanisme de la métonymie. La nominalisation consiste à donner à un mot le sens de tout un discours. A l'inverse, la définition consiste à développer le sens d'un mot ou d'un terme. L'élasticité du discours serait impossible sans ce mécanisme. Le Président de Brosses qui a introduit le fétichisme est aussi, avec son "Traité de la formation mécanique des langues" (1765), le précurseur de la linguistique de Ferdinand de Saussure.


(g) Le langage naturel et la monnaie ont la propriété commune d'être signes d'autre chose.


(h) Le fétichisme de la monnaie reporte sur celle-ci la fascination pour la totalité de la richesse.

En tenant compte des sémiotiques discontinues, le fétichisme pourrait se comprendre comme la domination d'une sémiotique sur les autres. Par exemple, parmi les sémiotiques corporelles, celle du sens de la vision qui permet une relation à distance dominerait souvent celle du sens du toucher, qui implique une relation sans distance géographique. Mais chaque dominance éventuelle d'une sémiotique sur les autres est propre à un individu donné.


(i) Conséquentialisme. Dans sa discussion avec John Rawls ("biens premiers"), Amartya Sen ("système de droits-buts", "capabilité") fait un nouvel usage du terme <fétichisme>. En effet, un système d'évaluation peut avoir des conséquences qui n'étaient pas voulues par son créateur. Il peut donc y avoir un fétichisme, comme conséquence lointaine d'un point de vue.


- <<Juger l'avantage uniquement en termes de biens premiers mène à une morale partiellement aveugle. On peut même soutenir que le cadre d'analyse de Rawls comporte un élément de "fétichisme". Rawls envisage les biens premiers comme une représentation de l'avantage, au lieu de considérer l'avantage comme une relation entre les personnes et les biens. L'utilitarisme, le leximin, et plus généralement la théorie du bien-être, ne comportent pas cet élément fétichiste, puisque les utilités reflètent un type particulier de relation entre les personnes et les biens. Par exemple, l'utilitarisme n'évalue pas les revenus et la richesse en tant qu'unités matérielles, mais en fonction de leur capacité à produire du bonheur ou à satisfaire les désirs humains. Même si l'on estime que l'utilité ne constitue pas la meilleure façon de décrire la relation entre les personnes et les biens, le fait d'adopter un cadre entièrement défini par les biens produit une manière très particulière de juger l'avantage. (Amartya Sen, "Ethique et économie. Et autres essais", traduit de l'anglais par Sophie Marnat, Quadrige, PUF, 2002, page 208)>>.


- <<Rainwater donne une analyse sociologique du fétichisme de la marchandise. Il décrit le rêve d'un publicitaire, car c'est le message central de la publicité moderne : les marchandises véhiculent des significations bien au-delà de leur sens obvie, et nous avons besoin d'elles pour assurer notre statut et notre identité. On peut toujours dire au publicitaire qu'il exagère ou même qu'il ment, quant à l'importance de cette automobile ou de cette marque de whisky. Mais si, derrières ces mensonges particuliers, il y avait une vérité plus profonde ? Les marchandises signifient l'appartenance ; le statut et l'identité sont distribués à travers le marché, vendus contre du liquide dans les queues des magasins (mais aussi à la disposition des spéculateurs qui peuvent ouvrir des crédits). D'un autre côté, dans une société démocratique, on ne peut pas acheter de cette manière les définitions de soi les plus fondamentales. (Michael Walzer, "Sphères de Justice. Une défense du pluralisme et de l'égalité", 1983, Seuil, La couleur des idées, Paris, 1997, page 157)>>.


(j) Fétichisme mathématique :


- <<L'étude mathématique de la nature a débuté dans le contexte de la science du mouvement (la mécanique), de l'astronomie et, plus généralement, de l'étude des phénomènes physiques. [...] Dans la formation de la mécanique et plus généralement de la physique, les mathématiques ont eu un rôle constitutif. On comprend ainsi non seulement que la physique est liée d'une façon indissoluble aux images mathématiques, mais qu'en outre, dans les descriptions mathématiques des phénomènes, les images physiques sont les images privilégiées et, pour ainsi dire, "naturelles". D'où le recours "spontané" à l'analogie mécanique, car la mécanique a été, tant du point de vue historique que du point de vue conceptuel, le noyau de formation de la physique. (Giorgio Israel, "Mathématisation du réel")>>.


(k) C'est un mécanisme psychique proche du fétichisme qui est à la base de tout cadre de pensée, même le plus abstrait, comme les Mathématiques ou la logique d'identité.


(l) Le fétichisme, par son évidence, est opposé au processus de clarification de la motivation.


- <<Ce qui est certain, c'est que la contradiction à l'égard des valeurs et de leur origine culmine à l'heure actuelle dans un degré de désorientation jamais atteint auparavant au cours de l'histoire. Si l'on admet que toutes les cultures ont été fondées sur leur vision des valeurs, guide essentiel de la conduite humaine tant individuelle que sociale, on ne peut s'empêcher de penser que la cause la plus secrète du désarroi de l'époque présente est due à la scission intervenue entre la survivante métaphysique spiritualiste et le matérialisme mécaniciste, fondement idéologique des sciences. La psychologie elle-même est à la remorque d'une idéologie rationaliste pour laquelle, paradoxalement, la raison n'est qu'un épiphénomène et le raisonnement une illusion. L'avènement de la psychologie des profondeurs est l'une des conséquences de cette situation conflictuelle. Il importe dès lors de démontrer que l'étude de l'extraconscient apporte, en effet, un élément nouveau à la recherche essentielle qui traverse l'histoire. Mais la psychologie de l'extraconscient risque de demeurer inefficace si elle ne s'avise pas que les maladies de l'esprit, qui à des degrés divers d'intensité assaillent tous les individus, résultent en premier lieu du malaise de l'esprit incapable de valorisation pondératrice, permettant de maîtriser l'exubérance des désirs matériels, sexuels et spirituels et d'établir ainsi une juste hiérarchie des valeurs. (Paul Diel, "Psychologie et philosophie", document du web)>>.


(m) La vision qu'à Sigmund Freud du fétichisme est fortement influencée par sa peur du sexe de la femme, dans la mesure où (horresco referens) elle n'a pas de pénis.


- <<Dans l'instauration d'un fétiche, il semble bien plus que l'on a affaire à un processus qui rappelle la halte du souvenir dans l'amnésie traumatique. Ici aussi l'intérêt demeure comme laissé en chemin ; la dernière impression de l'inquiétant, du traumatisant, en quelque sorte sera retenue comme fétiche. Ainsi si le pied ou la chaussure ou une partie de ceux-ci sont les fétiches préférés, ils le doivent au fait que dans sa curiosité le garçon a épié l'organe génital de la femme à partir des jambes ; la fourrure et le satin fixent - comme on le suppose depuis longtemps - le spectacle des poils génitaux qui auraient dû être suivis du membre féminin ardemment désiré ; l'élection si fréquente des pièces de lingerie comme fétiche est due à ce qu'est retenu ce dernier moment du déshabillage, pendant lequel on a pu encore penser que la femme est phallique. Mais je ne veux pas affirmer qu'on peut chaque fois parvenir à connaître avec certitude la détermination du fétiche. Il faut recommander instamment l'étude du fétichisme à tous ceux qui doutent encore de l'existence du complexe de castration ou qui peuvent penser que l'effroi devant l'organe génital de la femme a une autre base qu'il dérive, par exemple, du souvenir hypothétique du traumatisme de la naissance. (Freud)>>.


(n) En donnant à l'homme (le mâle) l'apanage du fétichisme, Freud ne pouvait comprendre l'impact et l'emprise de la mode chez nombre de femmes.


(o) Voir Ballet de deux corps pleins. Captation visuelle du désir. Captation auditive du désir. Deux désirs. Échec de l'intersémioticité. Exercice d'intersémioticité. Fétiche de la totalité. Fétiche de l'individu. Fétichisme de la marchandise. Fétichisme de la totalité. Fétichisme de l'individu. Fétichisme économique. Fétichisme en psychanalyse. Fétichiste. Généralisation intersémiotique. Goethe. Intersémioticité. Joute pour la reconnaissance. Les voies de la régression. Michael Balint. Ocnophilie. Philobatisme. Psychanalyse ocnophile. Reconnaissance mono-sémiotique. Refus de voir. Refus du réel. Rétif de la Bretonne. Séduction féminine. Séduction masculine.


(p) Lire "Seigneurs Marchands". "Villes Corporations". "Propriété Possession". "Production Appropriation". "Réalité Représentations".



(C) Hypothèse de recherche.



(a) Le fétichisme pourrait être le mécanisme même qui fait qu'Homo Sapiens Demens, qui vit dans la nature, ne perçoît celle-ci que dans sa culture.


(b) D'où le danger d'élaborer une culture sans nature, comme nous le rappelle la nature à travers le réchauffement climatique.


(c) Un mythe est une histoire, purement imaginaire, que l'on raconte et qui devient "vraie" dans la société dont elle est le mythe fondateur.


(d) La Main invisible d'Adam Smith a eu le succès que l'on connait et elle est le mythe de l'Economie Politique. Elle n'en est pas moins une fable qui fera rire nos descendants (les plus proches possibles !). A propos de nos XVIII ème, XIX ème et XX ème siècles, ils se demanderont si nous y croyions vraiment, comme nous nous le demandons pour les Anciens, à propos de la Mythologie Grecque. Sur les marchés financiers (distincts de l'économie réelle), la Bulle Internet et les Subprimes ont été des versions récentes de cette même croyance collective.


(e) Pur mensonge commercial, pour éviter de reconnaître une antériorité à Jean Martin Charcot (1825-1893), la guérison imaginaire d'Anna O. (tandis que Bertha Pappenheim souffrait toujours) est le mythe fondateur de la Psychanalyse historique. Plus surement que la thèse du trauma, il fonde la réalité psychique.


- <<La vérité de cette histoire tient donc à sa légende et renvoie à la manière dont le mouvement psychanalytique se raconte à lui-même les fantasmes initiaux d'une naissance. (Elisabeth Roudinesco, "Histoire de la psychanalyse en France", à propos du cas princeps imaginaire, "Anna O.")>>.


(f) L'Histoire est peuplée de faits qui ont quitté la nature des choses pour peupler l'imaginaire et dicter les justifications a posteriori d'une politique. Du passage du Rubicon au 11 Septembre 2001, en passant par la Nuit du 4 Août 1789, ces faits devenus mythiques sont légion.


(g) A posteriori, la question de l'existence historique de Gautama, de Socrate, de Jésus de Nazareth et de Mahomet, n'a plus beaucoup de sens, une fois qu'ils sont devenus Bouddha, le thème de l'écriture de Platon, Jésus-Christ et le Prophète de l'Islam.


(h) Il en va tout autrement de la formation de la Lune à partir d'un impact de Theia avec la proto-Terre, car, outre notre compréhension du processus d'accrétion, c'est notre compréhension de l'histoire, de la composition et de l'évolution de l'atmosphère qui est en jeu. C'est pourquoi le fétichisme joue un rôle important dans les Sciences humaines, alors que le concept est inutile dans les Sciences Physique, sauf pour rappeler que l'hypothèse de la conservation de l'énergie n'est jamais qu'un postulat indémontrable.


(i) Voir Convention financière. Incertitude épistémique. Mimétisme autoréférentiel. Texte fondateur.


(j) Blog "Equilibre des Economistes". "Equilibre économique".



(D) A contrario.



(a) Il est des situations dans lesquelles le mécanisme fétichiste ne fonctionne pas. Sur certains thèmes, nous ne croyons pas ce que nous savons.


- <<Nous sommes la première société qui sache qu'elle peut se détruire de façon absolue. Il nous manque néanmoins la croyance qui pourrait étayer ce savoir. [...] Non seulement Clausewitz a raison contre Hegel et toute la sagesse moderne, mais cette raison a des implications terribles pour l'humanité. Ce belliciste a vue des choses qu'il est le seul à avoir vues. En faire un diable, c'est

s'endormir sur un volcan (René Girard, "Achever Clausewitz")>>.


(b) C'est la raison pour laquelle Jean-Pierre Dupuy, grand lecteur de René Girard, cherche à formuler un catastrophisme éclairé, une pensée de la catastrophe qui croît à ce qu'elle sait possible, pour repousser la catastrophe à la possibilité de laquelle elle croît. Dans ce cas là, le rejet inhérent à tout projet passe au premier plan : repousser l'auto-destruction de l'humanité.


(c) En ce sens-là, et en ce sens-là seulement :


- <<L'apocalypse n'annonce pas la fin du monde ; elle fonde une espérance. (René Girard, "Achever Clausewitz")>>.


(d) Pour cela, il faut comprendre le fétichisme, la production d'un double imaginaire qui se substitue au réel. Or la production de ce double est à la base même du christianisme qu'invoque René Girard. Faire de Jésus de Nazareth (en supposant qu'il ait réellement existé) le Christ, c'est transformer un homme (en supposant qu'...) en un fétiche. C'est ainsi que l'on passe de Jésus au Christ et de son enseignement humaniste à la religion chrétienne.


- <<Pour rendre la situation encore plus démente, la révélation chrétienne est la victime paradoxale du savoir qu'elle apporte. On la confond de manière absurde avec le mythe, que visiblement elle n'est pas, doublement méconnue et par ses ennemis et par ses partisans, qui tendent à la confondre avec une de ces religions archaïques qu'elle démystifie. Or toute démystification vient du christianisme. (René Girard, "Achever Clausewitz")>>.


(e) Il serait plus juste de dire :


- <<Pour rendre la situation encore plus démente, la leçon de Jésus est la victime paradoxale du savoir qu'elle apporte. Le christianisme la confond de manière absurde avec le mythe, que visiblement elle n'est pas, doublement méconnue et par ses ennemis et par ses partisans, qui tendent à la confondre avec une de ces religions archaïques qu'elle démystifie. Or toute démystification vient de la double leçon de la mort de Jésus et de la mort de Socrate. (Hubert Houdoy, paraphrasant René Girard)>>.


(f) En effet, il ne faut pas oublier d'appliquer au christianisme la théorie mimétique dont Socrate et Jésus seraient les fondateurs.


- <<La victime est toujours divinisée après qu'elle a été sacrifiée : le mythe est donc le mensonge qui dissimule le lynchage fondateur, qui nous parle de dieux mais jamais des victimes que ces dieux ont été. (René Girard, "Achever Clausewitz")>>.


(g) Et pourtant, Girard est proche de cette analyse.


- <<Je crois que l'affaire Judas est une tentative d'excuses des disciples pour leur abandon de Jésus lors de la Passion. (René Girard, conférence du Centre Bernanos, octobre 2007, présentant son livre "Achever Clausewitz")>>.


(h) On peut alors adhérer totalement à la formule :


- <<Les seuls chrétiens qui parlent encore de l'apocalypse sont les fondamentalistes, mais ils s'en font une idée complètement mythologique. Ils pensent que la violence de la fin des temps viendra de Dieu lui-même : ils ne peuvent pas se passer d'un Dieu méchant. Ils ne voient pas, chose étrange, que la violence que nous sommes en train d'amasser sur nos propres têtes a toutes les qualités requises pour déclencher le pire. Ils n'ont aucun sens de l'humour. (René Girard, "Achever Clausewitz")>>.


(i) De même, la théorie mimétique peut totalement faire disparaître un problème très mal formulé par saint Augustin :


- <<Le péché originel, c'est la vengeance, une vengeance interminable. (René Girard, "Achever Clausewitz")>>.


- <<C'est au cercle vicieux de la violence qu'il faudrait pouvoir renoncer, à cet éternel retour d'un sacré de moins en moins contenu par les rites et qui se confond maintenant avec la violence. (René Girard, "Achever Clausewitz")>>.


(k) Voir Refus de voir. Refus du réel.


* * *


Auteur. Hubert Houdoy le Samedi 24 Mai 2008



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