Bruyère


(a) Etages de la végétation. Dans les hauts des monts du Forez, la bruyère est une des plantes de la lande à callunes qui couvre les Hautes Chaumes.


(b) Usages. En décoction, la bruyère est un diurétique aussi rapide que puissant. Ses fleurs donnent un miel sombre et corsé. Utilisés en teinture, ses rameaux donnent à la laine une couleur brun noisette.


(c) Fauchée et brûlée, la bruyère est un amendement des sols. Cet apport se combine à la fumade des jasseries. Pour les ayants-droit de la montagne pastorale qui n'avaient plus assez de vaches pour faire paître un troupeau en estive, le moyen de perpétuer leurs droits par l'usage continu était de récolter la bruyère. Faucher la bruyère est le moyen de préparer un pré. Il est alors possible de faire du foin avec l'herbe au milieu de laquelle poussait la bruyère. Depuis la sécheresse de 1976, cette pratique est redevenue plus courante sur les pentes des monts du Forez, de la Grande Pierre Bazanne à Pierre-sur-Haute.


(d) Pour le paysan, la bruyère et les genêts sont les symboles de l'abandon de la terre. Il n'en va plus de même avec la forêt, surtout si elle reçoit un minimum d'entretien. Pour le promeneur, le touriste, le chasseur ou le nostalgique, la bruyère a un tout autre sens :


- <<Qu'ils soient enveloppés de brumes, ou fouillés dans tous leurs détails par la lumière, les Monts du Forez m'enchantent. Ces montagnes ne sont jamais grandioses. Elles sourient toujours. Ce sont des "montagnettes", comme on dirait en Provence. Les petites routes s'élèvent en lacets, délicieuses et toujours pittoresques. Elles vous découvrent ces routes, tout à coup, quelques villages montagnards, rudes et solides comme des paysans... Les pins dispensent une ombre légère. Leur masse est épaisse. Les fougères déploient leurs petites branches. Les digitales balancent leurs clochettes roses. Des rochers, ça et là, dans les airelles et la bruyère. C'est là que l'on retrouve, dans ces sentiers perdus, le goût perdu d'une vie saine. Qu'ils soient enveloppés de brumes, ou fouillés dans tous leurs détails par la lumière, les Monts du Forez m'ont toujours enchanté. (Joannès Verchery, "Si Palogneux m'était conté...")>>.


(e) Formation des Hautes Chaumes. Sur les Hautes Chaumes, la bruyère ne correspond pas au climax de cette altitude (entre 1300 et 1600 mètres). En effet, les Hautes Chaumes sont largement le résultat d'une déforestation humaine. Amorcée dès le Paléolithique, elle est forte après la conquête romaine de la Gaule. Quand les prés des jasseries sont abandonnés, la bruyère pousse dans les lieux les moins irrigués. Elle est alors un précurseur de la forêt. Puis viennent, selon les lieux, les genêts et le sorbier des oiseleurs. A l'abri des sorbiers, quelques pins réussissent à résister au gel et à la morsure du vent chargé de cristaux de neige. Alors, avec la pinède, une forêt clairsemée retrouve ses droits.


(f) La terre de bruyère désigne un humus qui se forme dans des conditions défavorables (une végétation acidifiante, des résineux, dans un climat humide et froid). Succédant parfois aux tourbières (l'azote est bloqué sous une forme qui n'est pas assimilable), elle convient aux rhododendrons et aux azalées. Aussi la bruyère est-elle dans son climax, dans les anciennes tourbière du col de Baracuchet.


(g) Etymologie. <Bruyère> est la déformation du mot celtique <bruca>. Il a donné des toponymes comme Bruchet ou le Bruchet. Le bas latin <brucus> qui désigne la bruyère, est issu du nom gaulois.


(h) A Roche-en-Forez, au village le Bouchet, un domaine agricole se nommait Chez Bruyère. En 1814, Claude Rondel reprend l'exploitation du Bouchet. Il laisse le domaine à ses deux beaux-frères, Georges et Jean Durand. Un village se nomme la Fougère.


(i) Bruyère est encore un patronyme. Le 3 décembre 1793, Pierre Bruyère, ancien chanoine du chapitre de Notre-Dame d'Espérance à Mont Brisé, est exécuté à Feurs, lors de la Terreur de Claude Javogues.


(j) Références littéraires :


- <<Ce matin-là, jamais le ciel frais du jour levant n'avait été plus charmant. Un vent tiède remuait les bruyères, les vapeurs rampaient mollement dans les branchages, la forêt de Fougères, toute pénétrée de l'haleine qui sort des sources, fumait dans l'aube comme une vaste cassolette pleine d'encens ; le bleu du firmament, la blancheur des nuées, la claire transparence des eaux, la verdure, cette gamme harmonieuse qui va de l'aigue-marine à l'émeraude, les groupes d'arbres fraternels, les nappes d'herbes, les plaines profondes, tout avait cette pureté qui est l'éternel conseil de la nature à l'homme. Au milieu de tout cela s'étalait l'affreuse impudeur humaine ; au milieu de tout cela apparaissaient la forteresse et l'échafaud, la guerre et le supplice, les deux figures de l'âge sanguinaire et de la minute sanglante ; la chouette de la nuit du passé et la chauve-souris du crépuscule de l'avenir. En présence de la création fleurie, embaumée, aimante et charmante, le ciel splendide inondait d'aurore la Tourgue et la guillotine, et semblait dire aux hommes : Regardez ce que je fais et ce que vous faites. (Victor Hugo, "Quatre-vingt-treize", 1874, Partie III, Livre VII, Chapitre VI, Cependant le soleil se lève)>>.


- <<La voie Cassia qui me conduisoit vers l'Etrurie, perd bientôt le peu de monuments dont elle est

ornée, et passant entre une antique forêt et le lac de Volsinium, elle pénètre dans des montagnes

noires, couvertes de nuages, et toujours infestées de brigands. Un mont de qui le sommet est planté

de roches aiguës, un torrent qui se replie vingt-deux fois sur lui-même, et déchire son lit en s'écoulant, forment de ce côté la barrière de l'Etrurie. A la grandeur de la campagne romaine,

succèdent ensuite des vallons étroits et des monticules tapissés de bruyère, dont la pâle verdure

se confond avec celle des oliviers. J'abandonnai les Apennins pour descendre dans la Gaule cisalpine. Le ciel devint d'un bleu plus dur, et je cherchai vainement sur les montagnes cette espèce de pluie de lumière qui enveloppe les monts de la Grèce et de la haute Italie. (François-René Chateaubriand, "Les Martyrs", Livre V)>>.


- <<La route sur laquelle nous voyagions pendant ces discussions avait pris un aspect plus agreste à deux milles de Glascow, et plus nous avancions, plus le pays me paraissait sauvage. Devant, derrière et autour de nous s'étendaient de continuelles et vastes bruyères, dont la désespérante aridité tantôt offrait aux regards un espace de terrain plat et coupé par des flaques d'eau qui se cachent sous une verdure perfide ou sous une tourbe noire, et qu'on appelle peat-bogs en Écosse, tantôt formait des élévations énormes qui manquaient de la dignité des montagnes, quoique plus pénibles encore à gravir pour le voyageur. Pas un arbre, pas un buisson ne reposait l'oeil fatigué de ce sombre tableau d'une stérilité uniforme. La bruyère elle-même était de cette espèce rabougrie qui ne parvient tout au plus qu'à une floraison imparfaite, et qui, autant que je puis le savoir, couvre la terre de son vêtement le plus commun par sa qualité et sa nuance. Aucun être vivant ne s'offrit à nos regards, si ce n'est quelques moutons dont la laine était d'une étrange diversité de couleur, noire, bleue et orange ; c'était principalement sur leurs têtes et leurs jambes que le noir dominait. Les oiseaux mêmes semblaient fuir ce désert, d'où ils auraient eu peine à s'échapper, et je n'y entendis que le cri monotone et plaintif du vanneau et du courlis. (Sir Walter Scott, "Rob-Roy", 1817, traduction Auguste Defauconpret, édition Furne, Paris, 1830, Chapitre XXVII)>>.


(k) Opposition paradigmatique. On oppose la bruyère au foin odorant comme la misère au luxe.


- <<Pendant que les scènes que nous venons de décrire se passaient dans l'autre partie du château, la juive Rébecca attendait son sort dans une tourelle éloignée et isolée. Elle y avait été conduite par deux de ses ravisseurs déguisés ; et, quand on l'eut jetée dans sa cellule, elle se trouva en présence d'une vieille sibylle qui grommelait un chant saxon, comme pour battre la mesure de la danse tournoyante que traçait son fuseau. La sorcière leva la tête à l'entrée de Rébecca, et regarda la belle juive avec cette envie méchante dont la vieillesse et la laideur unies à de mauvais penchants ont coutume de gratifier la jeunesse et la beauté.

– Il faut te lever et t'en aller, vieux cricri de la maison, dit un des faux archers ; notre noble maître l'ordonne. Tu vas quitter cette chambre pour faire place à une locataire plus belle.

– Oui, grogna la sorcière, c'est ainsi que l'on récompense les services. J'ai connu le temps où l'une de mes paroles aurait jeté le meilleur homme d'armes d'entre vous autres hors de selle et hors de service, et maintenant il faut que je me lève et que je m'en aille sur l'ordre d'un valet d'écurie comme toi.

– Bonne dame Urfried, dit l'autre homme, ne reste pas ici à discuter, mais lève-toi et pars. Les ordres du maître, il faut les écouter avec une oreille prompte. Tu as eu ton jour, vieille dame ; mais, à présent, ton soleil est couché depuis longtemps. Tu es maintenant le véritable emblème d'un vieux cheval de bataille qu'on renvoie à la bruyère. Tu as bondi et galopé jadis ; mais, maintenant, tu es réduite à marcher au pas. Allons, pars et décampe.

– Que les mauvais présages vous poursuivent l'un et l'autre ! dit la vieille dame, et puissiez-vous mourir dans un chenil ! Puisse le vieux démon Zernebock m'arracher membre par membre si je quitte ma propre cellule avant d'avoir filé le chanvre de ma quenouille !

– Tu en répondras à notre seigneur, alors, vieille diablesse, dit l'homme en se retirant.

Il laissa Rébecca en la société de la vieille femme, à qui elle avait été ainsi involontairement imposée. (Sir Walter Scott, 1819, "Ivanohé", traduction d'Alexandre Dumas, Chapitre XXIV)>>.


(l) Voir Borne. Communauté familiale. Forêt gauloise. Fourme familiale. Fruit. Fumées. Hameaux de Roche en 1440. La Bruyère. Noisetier.




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Auteur.

Hubert Houdoy

Mis en ligne le Dimanche 13 Juillet 2008.



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